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Une opacité qui mine l’intérêt public

Le gouvernement est une organisation complexe. Comprendre ses rouages, connaître les effets de ses politiques, voilà qui ne se fait pas d’un seul coup d’œil. Notre société s’est dotée d’outils pour comprendre le fonctionnement de l’État et pour jauger la pertinence de ses interventions. L’utilité de deux de ces outils, la Commission d’accès à l’information (CAI) et le recensement, est en ce moment grandement remise en question.

Au printemps 2010, j’étudiais les coûts et les conséquences des bonis dans le secteur public québécois. Dans le cadre de cette recherche, j’ai fait plusieurs dizaines de demandes d’accès à l’information dans nombre d’organismes publics. Dans la plupart des cas, on m’a servi avec cordialité et dans le respect des délais prescrits par la loi. J’ai cependant été confronté à d’inquiétantes exceptions.

Une de celles-ci concerne Hydro-Québec. Alors que je souhaitais obtenir les montants accordés en bonis à ses cadres, Hydro-Québec a refusé net l’accès à ces informations, prétextant que la diffusion d’une telle information mettrait en danger, entre autres choses, son secret industriel. Pourtant, après une recherche exhaustive dans le site de la Régie de l’énergie, une collègue m’a informé qu’Hydro-Québec rendait déjà publics une partie des documents auxquels elle me refusait l’accès. Comment expliquer ce refus de donner accès à des documents qu’on rend publics ailleurs? La suite de l’histoire le révèle.

Délais normaux?

Pour les informations qui n’étaient pas disponibles dans le site de la Régie de l’énergie, j’ai contesté le refus offert par Hydro-Québec. Et j’ai attendu. La réponse permettant simplement d’entamer les procédures d’appel m’est parvenue ce mois-ci, en juillet 2011, plus d’un an après le début des procédures et plus de six mois après… la publication de mon étude. On me dit, à la CAI, que ce sont les délais normaux pour le début d’une procédure.

Refuse-t-on de facto, chez Hydro-Québec et ailleurs, toutes les demandes d’accès à l’information? Comme on sait que, pour la plupart des chercheurs et plus encore des journalistes, de tels délais signifient l’impossibilité de poursuivre les recherches, se dit-on qu’il vaut mieux refuser toutes les demandes pour ainsi dévoiler le moins possible d’information?

Sans douter de la volonté de la CAI d’appliquer son mandat, on peut penser que les conditions effectives dans lesquelles elle l’exerce semblent faciliter la vie à ceux et celles qui préfèrent agir à l’abri du regard public. Le délai d’accès à l’information n’équivaut-il pas ici à un déni d’accès à l’information?

Un recensement sans fiabilité

Les Canadiens ont à peine fini de remplir le questionnaire du recensement de 2011 que nous en proviennent déjà d’inquiétantes nouvelles. La décision du gouvernement fédéral de rendre non obligatoire le questionnaire long avait déjà forcé Statistique Canada à en faire une étude comme une autre. On a ensuite appris, au début de juillet, que très peu d’efforts sont faits pour s’assurer que les questionnaires longs soient remplis au complet.

Or les informations tirées de ces questionnaires fonctionnent par recoupements, c’est-à-dire qu’on fait des déductions en liant plusieurs questions du questionnaire. On comprend donc que, si certains questionnaires sont incomplets, les recoupements ne tiennent plus. Ou, s’ils tiennent, ils ne sont pas nécessairement comparables aux données des années précédentes. Il faudra ainsi attendre quelques recensements pour évaluer l’impact réel de cette nouvelle politique sur les statistiques. Que devient alors notre capacité à évaluer les mesures mises en place par les gouvernements par rapport à leurs prédécesseurs?

Quelle autre impression peut-on avoir devant cette décision que celle d’être devant un gouvernement qui est prêt à tout pour ne pas être jugé sur les conséquences de ses politiques?

Deux visions de la gestion des affaires publiques se rejoignent ici dans une conjointe opacité. D’un côté, des technocrates qui ne veulent pas être dérangés dans la gestion de ce qu’ils semblent considérer comme leur propre entreprise. De l’autre, des conservateurs dont les propositions politiques sont d’abord et avant tout des affirmations idéologiques qu’ils ne veulent pas voir vérifiées par les faits.

Du point de vue d’un institut de recherche comme l’IRIS, c’est le sens même de notre travail qui est remis en question par cette opacité qui s’étend. Mais il y a un coût plus lourd encore que la collectivité doit assumer. En effet, cette obscurité jetée sur notre capacité de comprendre et de débattre des choix étatiques risque, à terme, de nous faire perdre de vue l’intérêt public lui-même.

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Simon Tremblay-Pepin, chercheur à l’IRIS

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