Accueil- Débats, histoire et théoriesLa stratégie révolutionnaire et l’état canadien

La stratégie révolutionnaire et l’état canadien

Ce texte a été publié à l'origine dans la revue Révolution Permanente - la question nationale - automne 1978, LOR. Cette analyse demeure encore aujourd'hui l'une des plus élaborée en ce qui concerne la combinaison de la lutte de libération nationale au Québec dans le cadre d'une stratégie globale de changement social dans l'État canadien.

La conception marxiste de la stratégie révolutionnaire

“La stratégie révolutionnaire comprend un système combiné d’actions qui par leur association, leur con séquence et leur transcroissance doit amener le prolétariat à la conquête du pouvoir”.

(Trotsky, “La stratégie et la tactique à l’époque impérialiste”, in La troisième Internationale après Lénine).

Contrairement à la mythologie bourgeoise qui veut réduire le marxisme au déterminisme économique, la conception marxiste de la révolution prolétarienne a un caractère suprêmement politique. Le moment décisif dans la transition du capitalisme au socialisme est le moment de la lutte consciente et directe du prolétariat pour le pouvoir politique. La théorie marxiste définit très précisément la nature de cette lutte pour le pouvoir, ce qui constitue le point central de divergence entre le marxisme et les variétés diverses de réformisme. La conquête du pouvoir d’État par le prolétariat signifie rien de moins que la destruction des institutions étatiques de la bourgeoisie par la mobilisation de masse révolutionnaires du prolétariat et le transfert de toutes les fonctions étatiques aux conseils ouvriers armés, démocratiquement élus.

Tandis que la révolution prolétarienne est, dans un sens historique, le produit des contradictions économiques et sociales du mode de production capitaliste, et que sa tâche historique est la construction d’un mode de production socialiste, l’objet de la pratique révolutionnaire du prolétariat est l’État. D’un côté, le prolétariat se heurte à l’appareil d’État bourgeois comme principal instrument de défense des relations capitalistes de propriété à l’époque de l’agonie impérialiste. De l’autre côté, la destruction de cet appareil par les organes unitaires du prolétariat et la transformation de ces organes en un nouvel appareil d’État est le préalable de la réalisation des buts économiques et sociaux de la révolu tion. Ce nouvel appareil d’État prolétarien, c.a.d. le prolétariat lui-même organisé collectivement comme classe dominante pour l’exercice’ direct du pouvoir, est l’instrument nécessaire à l’assaut révolutionnaire des relations de propriété capitalistes.

La mobilisation du prolétariat pour la conquête du pouyoir d’État est le point culminant du processus politique révolutionnaire, processus qui se développe dans le cadre de la société capitaliste et de l’État bourgeois. Aucune stratégie pour la prise du pouvoir ne peut se limiter au moment final de ce processus. Une véritable stratégie révolutionnaire comprend toute la période de préparation de la révolution. Cette stratégie doit préciser la manière par laquelle les préoccupations politiques, sociales et économiques des masses prolétariennes, dans la période non révolutionnaire, peuvent se transformer en une conscience de classe politique pleinement développée, c’est-à-dire, la conscience nécessaire au renversement de l’État bourgeois et à l’établissement du pou voir ouvrier.

Voilà la signification du programme de transition de la Quatrième Internationale qui n’est pas un gadget propagandiste visant la «radicalisation » du prolétariat, mais une codification programmatique de la nécessité pour l’avant-garde révolutionnaire de jeter un pont entre les objectifs limités, partiels du prolétariat en réponse à ses problèmes immédiats, et le but stratégique de la prise du pouvoir.

 

Ainsi, on ne peut pas réduire le développement d’une stratégie révolutionnaire concrète à une tentative objectiviste de pré voir” le caractère d’une victoire révolutionnaire future. La formulation d’une stratégie révolutionnaire comprend toujours un élément de choix conscient de la part de l’avant-garde révolutionnaire. Ce choix exprime des choix réels auxquels se confronte le prolétariat dans son ensemble, que la majorité de notre classe en soit consciente ou non.

Il peut y avoir plusieurs scénarios de la victoire de la révolution socialiste dans un pays donné. Mais ceci ne justifie aucune ment une approche “agnostique” de la part de l’avant-garde révolutionnaire. Le “scénario” qui se réalise dépend largement de la réponse du prolétariat à des occasions historiques spécifiques si le prolétariat s’avère incapable de de faire son propre choix politique indépendant dans une période de crise capitaliste, ceci peut fort bien impliquer non seulement un «délai » de la révolution mais aussi un changement déterminant dans les conditions objectives qui déterminent le développement du processus révolutionnaire.

Il est évident qu’un tel changement peut bien dicter un changement fondamental dans la stratégie révolutionnaire. Et il est aussi évident pour la même raison, que l’avant-garde révolutionnaire ne peut pas déterminer sa stratégie et son programme sur la base de la “possibilité théorique” d’une « variante » ou d’une autre de la révolution. L’exigence la plus fondamentale de la stratégie est la détermination de la voie la plus favorable au prolétariat dans une période historique donnée.

II en découle qu’il n’y a pas de stratégie révolutionnaire universelle” qu’on ne fait qu’appliquer à des endroits différents et à des moments différents. Certes, il y a des éléments universels de la stratégie révolutionnaire.Ceux-ci découlent des aspects universels du mode de production capitaliste et de la fonction commune des différents États bourgeois dans la défense de ce mode de production. Toute stratégie révolutionnaire reconnaît le besoin de la mobilisation unitaire et indépendante du prolétariat et de ses al- liés autour de leurs revendications de classe, de l’auto-organisation des masses dans des structures démocratiques qui leur permettent d’affronter et de renverser l’État bourgeois, l’inévitabilité d’une confrontation année entre les organes du pouvoir ouvrier et l’appareil répressif de la bourgeoisie, et la construction d’un parti révolutionnaire des travailleurs qui lutte pour la direction politique du mouvement de masse sur la base du programme marxiste-révolutionnaire.

Cependant la concrétisation de ces éléments sous la forme d’une stratégie révolutionnaire spécifique n’est pas simplement une tâche “idéologique”. Une véritable stratégie révolutionnaire est une stratégie d’intervention dans une Situation historique donnée au sein d’une formation sociale donnée, intervention qui vise à exploiter au maximum le potentiel révolutionnaire de cette situation.

“Il n’est pas vrai que l’économie mondiale ne représente que la simple somme de fractions nationales similaires. Il n’est pas vrai que les traits spécifiques ne soient qu’un “supplément aux traits généraux”, une sorte de verrue sur la figure. En réalité les particularités nationales forment l’originalité des traits fonda mentaux de l’évolution mondiale. Cette originalité peut déterminer la stratégie révolutionnaire pour de longues années”.

(Trotsky, préface à l’édition française de la Révolution permanente. Souligné par nous).

Confrontée par la crise grandissante du régime et de l’économie capitaliste, l’avant-garde révolutionnaire ne peut pas se contenter de répéter des formules politiques universelles qui découlent de l’expérience collective du prolétariat international. Ces formules ne deviennent valables que dans la mesure ou on les fusionne avec une analyse des particularités fondamentales d’un pays donné : la nature dé l’insertion de pays dans le système mondial capitaliste, sa structure économique, le poids et le caractère des différentes classes sociales, et la forme de ses institutions étatiques, de son système de gouvernement. Et il faut ajouter à ces caractéristiques “objectives” les divers facteurs “subjectifs” qui deviennent objectifs du point de vue de l’avant-garde révolutionnaire : le caractère et l’évolution historique des organisations de masse, les idéologies qui façonnent leur conscience, et le rapport de forces entre les différentes classes sociales. Et bien sûr, ceci comprend aussi la manifestation spécifique de la question nationale dans ce pays.

Les marxistes-révolutionnaires considèrent toute question politique, sociale ou économique du point de vue de leur orientation stratégique à l’égard de la question du pouvoir d’État. La nécessité d’une position stratégique juste sur la question nationale acquiert une importance particulière de ce point de vue, car la question nationale pose dans presque tous les cas des questions liées à la structure, l’administration, à la composition nationale et aux frontières territoriales des institutions d’État, avant tout lorsque la question nationale a une dimension territoriale bien définie.

Lorsqu’on la pose de cette manière, il n’y a pas de “question nationale” distincte de, et subordonnée à une “question de classe” à moins qu’on ne définisse la notion d’intérêt de classe de la manière la plus étroitement économiste ou réformiste. Comme la question femmes, la question nationale est primordialement une question de classe.

“Notre attitude face à la question nationale, les me sures que nous avons prises pour la résoudre, constituent une partie intégrante de notre position de classe et pas quelque chose d’accessoire ou contradictoire. Vous dites que le critère de classe est suprême pour nous. Ceci est parfaitement juste. Mais seule ment dans la mesure où il s’agit véritablement d’un critère de classe, c-à-d., dans la mesure qu’il comprend des réponses à toutes les questions fondamentales du développement historique, y compris la question nationale. Un critère de classe moins la question nationale n’est pas un critère de classe mais seulement le croupion d’un tel critère, qui s’approche inévitable ment d’une vision étroitement syndicale ou trade unioniste”.

(Trotsky, “On the national question”, in International socialist review, été 58, p. 99-100. Notre traduction).

L’oppression nationale est la forme spécifique de la domination de classe, et ainsi la lutte contre l’oppression nationale est une forme spécifique de la lutte des classes. Le lien entre la lutte national e et les autres formes de la lutte des classes – lutte syndicale, lutte électorale, lutte pour les droits démocratiques, lutte des femmes, lutte agraire, etc. – peut largement varier d’un pays à l’autre et dépend du poids et des relations entre eux de plusieurs facteurs objectifs et subjectifs.

L’impérialisme canadien et son État

Pendant la plus grande partie de la période de l’après-guerre, le Canada a bénéficié d’un degré exceptionnellement élevé de stabilité sociale et politique comparé aux autres pays impérialistes. Mais en 1975-76, s’est ouverte une nouvelle période de crise pro fonde. Cette période se caractérise par une crise économique pro fonde d’où découle le développement de tensions sociales significatives, qui étaient auparavant essentiellement limitées au Québec, partout dans l’État canadien, et par la déstabilisation de l’État fédéral à la suite de la victoire électorale du Parti québécois en 76. Cette crise pose les plus grandes possibilités révolutionnaires qui ont existé dans ce pays depuis des décennies.

Les éléments de cette crise sont universels aux pays capitalistes avancés. La crise économique et sociale de l’État canadien est une expression directe de la crise générale de l’économie capitaliste mondiale et de la dégénérescence des relations sociales bourgeoises partout dans le secteur impérialiste. La montée des luttes des nationalités et des minorités nationales opprimées au sein des pays impérialistes est aussi un phénomène généralisé, caractéristique de la période actuelle de la lutte des classes mondiale.

Mais, tandis que ces éléments sont communs aux pays impérialistes, leur combinaison spécifique et leurs liens entre eux au sein de l’État canadien ne le sont pas. Le Canada est, aujourd’hui, le seul pays impérialiste où la lutte pour l’indépendance d’une nation opprimée est l’élément déterminant de la situation politique globale, dans la mesure où elle surdétermine la forme de la réponse politique des forces de classes différentes aux autres aspects de la crise de l’impérialisme.

La crise de la Confédération impérialiste établie en 1867, crise qui se développe autour de l’axe de la lutte pour la libération nationale du Québec, pose fondamentalement la question de la survie même de l’État canadien impérialiste. Il n’y a aucune possibilité immédiate d’une solution fondamentale de cet aspect de la crise de l’impérialisme canadien, soit une solution qui corresponde aux intérêts de la bourgeoisie impérialiste, soit une solution qui donne lieu à une véritable émancipation nationale de la nation opprimée. Les résultats des prochaines élections fédérales, du référendum québécois et des prochaines élections provinciales au Québec modifieront certainement l’évolution de cette crise, mais, ce qui est tout aussi certain, ne l’élimineront pas.

Ainsi nous faisons face à une période prolongée où la crise de la Confédération impérialiste, aggravée et imbriquée dans la crise de l’économie capitaliste, surdéterminera les options politiques de différentes classes des deux nations principales. Toute tentative par l’avant-garde révolutionnaire de développer des positions politiques cohérentes sur d’autres questions politiques centrales – surtout celles reliées à la question du gouvernement et à l’indépendance politique du prolétariat dans chaque nation – sans une claire compréhension de la dynamique de la crise de la Confédération est vouée à l’impertinence.

La bourgeoisie canadienne et son État sont complètement impérialistes

Le capitalisme canadien est, et a toujours été caractérisé depuis la fin du 19ème siècle, par la fusion entre le capital bancaire et le capital industriel, ce que les marxistes appellent le capital financier. De plus, le degré de cette intégration est beaucoup plus grand que dans plusieurs pays impérialistes plus importants – surtout les États-Unis – ce qui donne lieu à un taux exceptionnelle ment élevé de concentration et de monopolisation du capital. La bourgeoisie canadienne est une classe capitaliste monopolistique par excellence. Ses entreprises dans un certain nombre de secteurs économiques -chemins de fer, machinerie agricole, mines, produits forestiers, salaison et surtout banques et assurances – sont des géants selon les standards mondiaux. Ces caractéristiques monopolistiques ont permis à la bourgeoisie de commencer à investir outre-frontière d’une manière classiquement impérialiste très tôt dans son existence.

Du point de vue de sa structure sociale, le Canada partage les caractéristiques du capitalisme impérialiste. II n’y a aucun vestige pré-capitaliste que ce soit dans la société canadienne. Il y a un niveau d’industrialisation comparable, en termes quantitatifs, à la plupart des autres petites et moyennes puissances impérialistes, bien que cette industrialisation ait un caractère particulier. Le

Canada est un pays complètement urbanisé et prolétarisé. Étant donné son niveau de vie qui arrive au troisième rang à l’échelle mondiale, il serait absurde de parler en termes marxistes de quelque élément que ce soit de surexploitation.

Enfin, l’État canadien est pleinement indépendant. II ne constitue en aucun sens un État “client” malgré son alliance de longue date avec l’impérialisme US mais plutôt le principal instrument de défense des intérêts nationaux autonomes de l’impérialisme canadien au sein de son propre territoire et par rapport aux autres États, y compris les USA .

Le mouvement trotskyste pan -canadien a toujours pris la défense de la position résumée ci-haut contre la mythologie du “semi-colonialisme canadien” propagée par les nationaliste de gauche et, sous une forme plus diluée, par le Parti communiste et certains groupes maoïstes .

Il ne s’agissait pas d’un débat universitaire. L’enjeu de cette bataille politique était réel et ses implications considérables : la primauté de la lutte de classe contre la bourgeoisie canadienne et son État et le refus de quitter ce terrain au nom d’une lutte mythologique pour une “libération nationale de l’emprise de l’impérialisme US ; la communauté d’intérêts des travailleurs canadiens et américains dans la lutte pour une Amérique du nord socialiste ; la reconnaissance du statut du Canada-anglais comme nation opprimante par rapport au Québec et aux autres peuples opprimés au sein de l’État canadien, et la nécessité de la solidarité sans compromis avec leurs luttes de libération nationale ; et les tâches internationalistes du prolétariat canadien vis-à-vis des victimes de sa “propre” bourgeoisie impérialiste dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, surtout dans les Antilles.

La situation actuelle, où plusieurs courants de gauche influencés par le nationalisme e canadien se retrouvent dans un bloc politique avec ce grand ennemi de l’impérialisme US, Pierre Elliot Trudeau , contre les aspirations nationales des masses opprimées québécoises, justifie pleinement la longue bataille que nous avons mené contre le nationalisme canadien.

L’origine de l’État canadien

La consolidation entre 1840 et 1885 des possessions territoriales et des colonies de peuplement nord-américains de l’impérialisme britannique dans un État bourgeois unitaire était une opération complètement artificielle, du point de vue économique. Elle n’était nullement le reflet politique d’un développement interne “spontané” des forces productives vers un marché “national” de type européen, ou même américain. En réalité, le but premier de la Confédération de 1867 était d’arrêter l’évolution naturelle de l’économie nord-américaine vers la formation d’un marché continental unifié sous l’hégémonie économique, et ainsi potentiellement la domination politique, de la bourgeoisie américaine. La fondation de l’État canadien reposait fondamentale ment sur les intérêts économiques et politiques conjoncturels partagés par l’impérialisme britannique et la bourgeoisie anglo-canadienne naissante, provenant de la région canadienne centrale, plutôt que sur des fondements économiques plus durables.

Chaque pas dans l’établissement de la souveraineté territoriale, d’abord britannique et ensuite canadienne, et du peuple ment anglophone, a été précédé par la conquête et l’annexion des populations déjà établis sur ces territoires. Ce processus de conquête impliquait non seulement des peuples aborigènes et semi aborigènes (Amérindiens et Métis) comme aux E .U, Australie et en Nouvelle-Zélande, mais également de colonies de peuplement pré-existantes d’origine européenne dans lesquelles un processus de formation nationale avait déjà commencé : le Québec et à un moindre degré l’Acadie.

Ainsi, les diverses manifestations de la question nationale ne sont pas des “vestiges anachroniques” d’origine pré-capitaliste. Elles ne découlent ni du caractère féodal d’un État absolutiste multinational comme les empires tsaristes ou austro-hongrois (qui ont constitué le cadre de la plupart des débats sur la question nationale dans la tradition marxiste classique), ni de l’inachèvement de la formation d’une nation bourgeoise unifiée, comme en Espagne. Le Canada, contrairement aux États multinationaux européens, est un État bourgeois d’un type très pur, et l’a été depuis ses débuts. C’est précisément l’absence de tout obstacle pré-capitaliste significatif (sauf la tenure seigneuriale de la terre au Québec par rapport à une bourgeoisie québécoise) qui explique le rapidité du développement capitaliste après 1867).

D’autre part , la conquête et l’oppression des divers peuples non anglo-saxons n’était pas une séquelle du développement d’un État national bourgeois unifié, comme c’était le cas lors de l’annexion du Sud-ouest américain (qui a suivi deux cent ans de développement “organique” de la nation américaine) et de la conquête des colonies par les puissances impérialistes européennes. La conquête· et l’oppression des divers peuples était la précondition géopolitique à la fondation d’un État bourgeois unitaire au Canada. La poursuite de cette oppression reste une nécessité absolue à la survie de cet État.

Cependant, malgré la brutalité de ce processus, le capitalisme anglo-saxon en expansion n’a réalisé ni l’assimilation de ces peuples ni le peuplement d’une grande partie des terres qu’il a annexées. Dans le cas de l’Acadie, bien que les cultivateurs francophones aient été expulsés d’une grande partie de la région atlantique, ils ont gardé un territoire national acadien distinct dans le nord et au centre du Nouveau-Brunswick. De la même manière, les peuples indigènes restent majoritaires à travers la majeure partie du Nord du Canada, y compris la totalité des territoires du Nord-Ouest.

Mais les limitations de cette conquête sont les plus visibles au Québec, où les effets de la conquête furent précisément de stimuler et d’accélérer le développement d’une nation séparée, qui possède non seulement un territoire et une lange distincts, mais aussi bien que complètement dominée) une économie nationale distincte avec sa propre structure, insérée dans le cadre plus large de l’économie pan-canadienne.

Le rôle des États provinciaux

Le caractère spécifique de l’État canadien est le produit de ces divers facteurs économiques et nationaux.

On ne peut pas correctement parler, dans l’abstrait, d’un État canadien. Il serait plus précis de caractériser l’appareil politique bourgeois comme un système étatique canadien, avec plusieurs composantes distinctes :

a) l’État central reste, en dernière analyse, l’institution décisive de la domination bourgeoise. Contrôlé complètement par la bourgeoisie impérialiste canadienne, il retient les fonctions les plus fondamentales d’un État bourgeois “souverain”: le contrôle militaire, le contrôle de la politique monétaire, le monopole de la représentation du capitalisme canadien vis-à-vis les autres États, le contrôle du code criminel, et le contrôle sur une série de fonctions juridiques et régulatrices touchant l’économie. Il est absolument clair que l’État central est l’ultime instrument de défense des rapports de production capitalistes contre toute menace fondamentale.

b) Néanmoins, les États provinciaux ne sont nullement des éléments marginaux dans l’appareil global de la domination bourgeoise. Ils ne sont ni des vestiges des origines locales du développement capitaliste (comme par exemple peuvent l’être les États des USA, qui sont complètement subordonnés à l’État central depuis la guerre civile), ni des unités administratives locales subordonnées, pas plus que des appendices de l’autorité étatique centrale, comme c’est le cas pour les structures provinciales de plusieurs États bourgeois centralistes. Les États provinciaux sont précisément cela, des États et pas simplement des gouvernements locaux. Ils constituent des appareils institutionnels avec un poids considérable et un degré assez élevé d’autonomie par rapport à l’État central. Ils expriment, surtout dans l’Ouest, les intérêts de classe des couches bourgeoises régionales qui sont assez distincts de ceux de la bourgeoisie impérialiste canadienne centrale. Ils sont des instruments essentiels pour la représentation de ces intérêts distincts vis-à-vis autant la bourgeoisie impérialiste canadienne dominante que face à l’impérialisme US.

Ces institutions locales possèdent un poids réel, particulièrement au niveau économique. Ils contrôlent le gros du secteur des services sociaux, de l’industrie nationalisée et l’appareil juridique régulateur de l’économie capitaliste. Ils ont aussi été le principal instrument institutionnel bourgeois de répression contre le mouvement syndical depuis la Confédération.

En fait, ces appareils locaux contrôlent plusieurs des fonctions clés qui, dans la plupart des pays impérialistes, relèvent de la juridiction de l’État central.

c) Dans ce cadre, l’État “provincial” du Québec joue un rôle particulièrement important. Car cet État n’est pas, bien sûr, simplement un État “provincial” : c’est une institution de la nation québécoise, un État national tronqué et opprimé. Certes, il ne s’agit pas d’un véritable État national, car son statut subordonné au sein de la Confédération impérialiste lui interdit toute possibilité de devenir un véritable État national souverain.

Mais dans le cadre de cette Confédération, l’État québécois a atteint un haut degré d’autonomie. Son Code civil ne se fonde pas sur le modèle britannique mais sur un modèle français de l’époque de la révolution française. Contrairement aux autres provinces il exerce un pouvoir direct d’imposition sur les particuliers et les corporations, sa Caisse de dépôt, qui gère tous les plans de pension au Québec, est une des principales institutions financières du Canada. Il contrôle entièrement la plus grande corporation au Québec, l’Hydro-Québec. Il entretient des relations internationales assez autonomes (négociations avec l’Arabie saoudite pour l’achat de pétrole concurrentiel à celui de l’Alberta, etc.). Il possède un appareil policier imposant et centralisé sous le contrôle de la Sûreté du Québec et ainsi de suite.

Les exigences politico-idéologiques inévitables de la Confédération ont exclu toute reconnaissance constitutionnelle du caractère national distinct du Québec. Mais le rapport de forces entre l’impérialisme canadien et la nation opprimée, a imposé toute une série de concessions allant dans le sens d’une autonomie de la “province” de Québec, qui ont dû être présentées comme des droits provinciaux universels dévolus à toutes les provinces.

Cette interrelation entre le nationalisme québécois et le régionalisme canadien-anglais, force motrice des dynamiques centrifuges qui menacent la cohésion et l’intégrité de l’appareil d’État central, s’est considérablement renforcée depuis la deuxième guerre mondiale.

Le rôle de l’État fédéral

Les fonctions et les caractéristiques spécifiques de l’État central fédéral reflètent la totalité de ces pressions et contra dictions, autant économiques-régionales que nationales. Comme tout État bourgeois, son ultime fonction historique est, bien entendu, la sauvegarde des rapports de production capitalistes, sur son propre territoire et, avec les autres États impérialistes, à une échelle mondiale. Mais la défense des intérêts nationaux spécifiques de la bourgeoisie impérialiste canadienne possède trois aspects distincts, qui découlent des problèmes objectifs suivants :

a) résister aux puissantes tendances objectives vers le démembrement et l’absorption de l’économie pan-canadienne par l’impérialisme US, et préserver dans la plus grande mesure possible l’artificielle infrastructure économique est-ouest établie au XIXe siècle, qui constitue la base économique de l’existence de la bourgeoisie canadienne comme une classe dominante nationale distincte et d’un État canadien séparé.

b) résister aux tendances centrifuges internes inhérentes au processus d’intégration économique continentale, qui s’expriment primairement dans la tendance vers de plus en plus d’autonomie pour les différents États provinciaux.

c) maintenir la domination politique sur les différentes nations et minorités nationales opprimées par les institutions de l’appareil d’État central de l’impérialisme canadien. En premier lieu, ceci s’applique au Québec, mais aussi à l’Acadie et aux territoires aborigènes.

Ainsi, les bases économiques et politiques objectives de la domination de la bourgeoisie impérialiste canadienne sur son propre territoire ne sont pas du tout très fortes. Au contraire, cette domination repose sur un équilibre très fragile. La stabilité sociale et politique relative dont a bénéficié la bourgeoisie impérialiste depuis 1867 ne prouvent en rien son vaste poids et sa puissance socio-économique, ou la cohésion de ses institutions politiques. Cette stabilité historique s’explique plutôt par deux facteurs principaux :

a) Au niveau économique, le Canada a partagé la prospérité générale du capitalisme nord-américain, fondamentalement pour les mêmes raisons que les États-Unis. La jeunesse du capitalisme nord-américain, l’absence de guerres importantes sur le continent depuis un siècle et les effets expansionnistes des deux guerres mondiales ont isolé les deux États impérialistes nord-américains des pires effets de la crise structurelle permanente de l’impérialisme mondial depuis la première guerre mondiale. On ne commence à atteindre les limites de cet avantage historique du capitalisme nord-américain qu’avec la crise actuelle de l’économie nord-américaine, qui est aussi – sinon plus – profonde que celle des autres pays impérialistes.

b) La même combinaison de facteurs qui contribue à la fragilité structurelle de l’hégémonie économique et des institutions éta tiques de la bourgeoisie impérialiste canadienne agissent comme obstacle à l’unification des luttes des masses, qui restent fragmentées nationalement et (au Canada-anglais) régionalement. Au fur et à mesure que la base économique de la stabilité du capitalisme nord-américain s’effrite, le rapport politique des classes ouvrières québécoise et canadienne-anglaise entre elles et à l’État canadien deviennent de plus en plus les questions centrales de notre stratégie.

La formation sociale québécoise et la question nationale

Dans le cadre hétérogène, dispersé et décentralisé du capitalisme pancanadien et de son État, le Québec est plus que le lieu territorial d’une nationalité distincte (définie dans le sens “ethnique”, linguistique et culturel). Le Québec est en fait une formation socio-économique distincte. Il constitue une zone économique nationale distincte du système capitaliste nord-américain, avec sa propre structure de classes et ses propres institutions culturelles, civiles, juridiques et politique.

Certes, le Québec n’est pas une formation sociale séparée. La précondition à ceci serait l’existence d’une véritable bourgeoisie nationale avec son État indépendant. La formation sociale québécoise est intégrée et subordonnée à l’économie pan-canadienne et à l’État fédéral. Son oppression réside précisément dans la nature de cette intégration et de cette subordination, tout comme le caractère explosif de la revendication de l’indépendance politique, même dans sa forme la plus bourgeoise et la plus diluée, i.e. le projet péquiste de “souveraineté -association”.

Toutefois, le caractère distinct de la formation sociale québécoise est essentiel à toute compréhension de la lutte des classes. Il est particulièrement essentiel à une analyse des formes de la domination politique bourgeoise qui, historiquement, ont empêché le mouvement ouvrier québécois d’arriver à une expression politique autonome et des raisons pour lesquelles la radicalisation des masses québécoises depuis le milieu des années 60 s’est exprimée par l’indépendantisme. La lutte des classes québécoise n’est pas simplement une composante d’une “lutte des classes pan-canadienne” à laquelle la question nationale ajoute un “rythme différent “. Le Québec constitue un champ politique national distinct au sein duquel les diverses forces politiques de classe sont fondamentalement définies par leur attitude envers la question nationale et plus précisément par rapport à l’État national tronqué.

Au niveau économique, la formation sociale québécoise est d’un type hybride, que combinent certaines caractéristiques des économies capitalistes avancées avec des caractéristiques propres à une nation coloniale ou semi-coloniale.

Le Québec est une nation hautement prolétarisée et urbanisée. Les éléments précapitalistes sont abolis depuis longtemps. L’économie agricole de subsistance a été détruite depuis les an nées 30. Mais le développement capitaliste a historiquement pris la forme de la pénétration de l’économie nationale par des capitaux impérialistes étrangers, canadiens et américains. Ceci a eu deux conséquences importantes.

D’abord, et ceci à un degré supérieur à plusieurs pays semi coloniaux, aucune bourgeoisie nationale viable ne s’est jamais développée. Ce qui pourrait être appelé une classe capitaliste québécoise se divise en deux parties. D’une part, il y a un petit nombre d’individus complètement intégrés aux corporations transnationales canadiennes. Ils ne sont que des membres francophones de la bourgeoisie impérialiste canadienne (Desmarais, Lévesque, Bombardier). L’autre groupe est constitué des PME québécoises cantonnées dans l’industrie légère des biens de consommation (vêtement, tabac, etc.). En dépit de l’attention que le PQ porte à ce secteur, son poids social est insignifiant.

La deuxième conséquence de la domination impérialiste concerne la structure de l’économie nationale. Malgré la destruction totale de l’économie rurale et la prolétarisation de la majorité de la population, aucun secteur manufacturier lourd, stable, ne s’est développé. Bien qu’il y ait eu au Québec une expansion industrielle massive pendant la seconde guerre mondiale (période où fut achevée la liquidation de l’économie rurale, cette expansion n’a eu qu’un caractère temporaire. Après la guerre, on a presque totalement démantelé cet appareil productif, créant ainsi une cri se structurelle permanente de l’économie qui perdure depuis le début des années cinquante. En l’absence d’un secteur industriel secondaire important, le rôle clé dans l’économie est joué par le secteur d’extraction (mines, pâtes et papier, hydro-électricité) et par l’énorme secteur de la construction qui dépend du développement des ressources naturelles et du secteur public gonflé, pro duit de la Révolution tranquille.

Ainsi, bien que le Québec ne soit nullement une formation sociale coloniale ou semi-coloniale de type “classique”, il partage plusieurs des caractéristiques structurelles de ces pays. En fait, le niveau de contrôle étranger est beaucoup plus élevé que dans bien des pays semi-coloniaux.

La classe ouvrière québécoise a des origines complètement différentes de la classe ouvrière canadienne-anglaise. Tandis que cette dernière est le produit d’une immigration relativement récente, venant de la Grande-Bretagne et de l’Europe, la classe ouvrière québécoise se constitue par la prolétarisation récente d’une paysannerie catholique qui existait auparavant depuis 300 ans. Les caractéristiques propres de ce prolétariat national découlent de ces origines, de la forme du développement capitaliste (pénétration par des capitaux étrangers) et par l’existence d’un marché de main-d’oeuvre national séparé (dû à la fois à des facteurs linguistiques et économiques).

Le nationalisme québécois

Le nationalisme québécois n’est pas nouveau. En fait, le nationalisme a été le facteur dominant de la vie politique du Québec depuis la Conquête. Mais pendant toute la période entre la défaite de la révolution nationale-démocratique de 1837 et les années soixante, la forme et le contenu de ce nation alisme ont eu pour effet, à quelques exceptions près, d’obscurcir le développement de la lutte des classes. Le caractère conservateur de ce nationalisme était intimement lié à l’insertion spécifique de la nation et de son État croupion dans le cadre politique pan-canadien.

ll s’agissait d’une nation défaite, sur qui les conséquences de 1759 et 1837-38 pesaient lourdement. Et bien que l’incorporation du Québec dans les structures politiques canadiennes depuis 1840 a pris des formes institutionnelles démocratiques-bourgeoises, le gant de soie démocratique bourgeois a toujours caché la main de fer de la répression militaire britannique et ensuite canadienne. En plus des actions directes de répression massive qui ont eu lieu pendant toute l’histoire du Québec, la suppression des droits linguistiques des minorités francophones en Ontario et au Manitoba après 1867 et la répression brutale des Métis francophones des Prairies ont amplement clarifiés les termes réels de “l’association” fédérale. Ainsi. le contenu du nationalisme est devenu fondamentalement défensif, défini en termes de “survie”.

Cependant, les structures démocratiques -bourgeoises de l’impérialisme canadien ont fourni des instruments à cette défense. Les divers facteurs qui ont imposé une structure étatique fédérale à la bourgeoisie canadienne ont laissé une série de leviers entre les mains de l’État québécois. Bien que ceux-ci étaient insignifiants du point de vue d’une modification des conséquences économiques de la domination impérialiste, ils étaient importants du point de vue linguistique et culturel. La capacité de la nation de résister à l’assimilation ne découle pas d’une mystérieuse “ténacité raciale”. Elle a des sources institutionnelles précises. D’autre part, le Québec est un facteur électoral significatif au niveau fédéral. Ceci découle autant de la réalité de l’arithmétique parlementaire pure (dû au poids numérique de la nation opprimée), que de la nécessité plus fondamentale de maintenir une façade de “consentement mutuel” à “l’association” que représente supposément la Confédération impérialiste dans la mystique de l’idéologie fédéraliste, afin d’éviter des polarisations sous une forme trop ouverte ment nationale au niveau de la Confédération elle-même.

La défense des pouvoirs autonomes de l’État québécois a pris alors une double expression : le contrôle de l’appareil gouvernemental provincial par des formations conservatrices mais nationalistes et un appui massif des Québécois pour le parti bourgeois fédéral qui, au niveau d’Ottawa, semblait être le plus “flexible” vis à-vis la préservation de l’autonomie locale du Québec. Pendant plusieurs décennies, ce parti a été le parti libéral fédéral. Paradoxalement, en conséquence, la force historique de la conscience nationale québécoise a été une source primordiale de l’hégémonie de longue date du principal parti gouvernemental de l’impérialisme canadien .

Ce nationalisme conservateur n’était aucunement comparable à l’autonomisme bourgeois du genre catalan, qui reflétait les aspirations d’une véritable bourgeoisie nationale. Le contenu économique du nationalisme conservateur québécois, qui, en l’absence d’une bourgeoisie nationale était avant tout lié aux intérêts de la hiérarchie catholique, avait un caractère totalement camprador. La rhétorique anti-moderniste, ruraliste et catholique du clergé et des notables locaux se dirigeait fondamentalement contre les organisations ouvrières liées au mouvement ouvrier américain et canadien-anglais.

Mais, bien que la fonction historique de ce nationalisme était profondément réactionnaire, il a néanmoins eu une conséquence politique importante. Les aspirations nationales du Québec se sont définies par rapport à l’élargissement de l’autorité obtenue par son État croupion. Les attitudes politiques à l’égard de l’État fédéral se déterminaient presque complètement par le rapport d’Ottawa non seulement avec la nation, mais plus précisément avec la principale institution politique de la nation.

La fonction compradore de la forme la plus avancée de ce nationalisme conservateur, le bonapartisme duplessiste , contenait les germes de sa propre destruction . Les forces de prolétarisation et d’urbanisation, libérées par l’industrialisation impérialiste, ont miné les fondations sociales et politiques du vieux nationalisme : le catholicisme ultramontain et la mentalité paysanne. En même temps, la profonde crise structurelle, produit de la forme et des li mites de cette industrialisation, posaient à de larges secteurs des masses, le lien entre la question nationale et les problèmes économiques et sociaux du Québec moderne.

Ainsi la préoccupation politique traditionnelle des masses avec l’autorité de l’État québécois s’est transformée. De plus en plus elles voyaient dans cet État l’instrument de solutions économiques et sociales aux effets négatifs de la domination économique impérialiste, plutôt qu’un simple instrument de défense linguistique et culturelle.

La révolution tranquille était le premier reflet de ce nouveau nationalisme. Elle a tenté de restructurer et de moderniser le capitalisme québécois, en crise endémique, dans un cadre libéral et autonomiste par la création d’un infrastructure économique moderne, la déconfessionnalisation, la transformation et l’expansion des secteurs scolaires et sanitaires et l’établissement d’industries étatisées (Hydro-Québec, Sidbec) comme base d’une accumulation nationale du capital. La révolution tranquille a fait faillite par rapport à ses buts économiques – faillite qui était d’ailleurs inévitable, compte tenu du poids économique de la domination impérialiste. En même temps, elle a poussé au maximum les pouvoirs a autonomes de l’État québécois, jusqu’à la limite accessible sans rupture avec la Confédération impérialiste.

La Montée de l’indépendantisme

La montée de l’indépendantisme moderne trouve ses origines dans cette faillite. Cet indépendantisme reflète une large conscience de masse du lien entre la crise structurelle endémique de l’économie et de la société, qui est enracinée dans la domination impérialiste central. Cependant dans ce cadre existent des intérêts de classe contradictoires qui se sont accentués depuis la victoire électorale du PQ.

Pour la nouvelle petite-bourgeoisie, et surtout pour les technocrates et les administrateurs de la bureaucratie étatique québécoise (que le PQ représente), le projet indépendantiste vise la transformation de l’État québécois en un instrument efficace d ‘accumulation du capital afin de permettre leur propre transformation en une véritable bourgeoisie nationale. Ce projet veut ainsi utiliser un éventuel État indépendant pour renégocier les termes de l’intégration du Québec au marché nord-américain.

Mais pour le prolétariat et les masses populaires, l’indépendantisme constitue, pour utiliser l’expression classique de Trotsky , “la coquille de leur indignation sociale“. La montée de l’indépendantisme dans la classe ouvrière n’est que l’expression politique d’une radicalisation sociale profonde, produite par les effets de la domination impérialiste. Ainsi, l’indépendantisme de la classe ouvrière prend un caractère essentiellement anti-impérialiste.

En raison de l’absence de traditions politiques indépendantes de la classe ouvrière, du caractère nationaliste-populiste de la radicalisation sociale des masses, et de la capitulation criminelle de la bureaucratie syndicale au PQ, cet indépendantisme n’a pas encore donné lieu à la formation d’une expression politique autonome du mouvement ouvrier québécois.

Néanmoins, il est crucial de comprendre que la signification progressiste énorme de l’indépendantisme réside dans le fait qu’il représente une énorme rupture avec les obstacles historiques à l’indépendance politique de la classe ouvrière :la symbiose réactionnaire de l’autonomisme national conservateur et du fédéralisme défensif décrite plus haut. Et ce n’est pas un hasard. Dans une société où toute la vie politique a été dominée depuis des siècles par la question nationale, il est inévitable que la classe ouvrière atteindra son indépendance politique autour de l’axe de sa propre solution prolétarienne à la question nationale.

L’achèvement de ce processus est une des préconditions à la création d’une alliance entre les prolétariats québécois et canadien-anglais. Car une telle alliance présuppose l’acquisition de l’indépendance de classe pour les travailleurs québécois. Ainsi, le but immédiat de l’indépendance nationale du Québec définit les termes politiques autour desquels une telle alliance sera bâtie.

L’hégémonie politique du PQ est à la fois l’expression déformée du développement de l’indépendantisme radical au sein du prolétariat et le principal obstacle au développement d’une définition consciemment prolétarienne de cet indépendantisme.

Précisément parce qu’il ne représente pas une bourgeoisie nationale, historiquement formée, le Parti Québécois ne représente pas le principal ennemi de classe que le prolétariat doit affronter et détruire. Cet ennemi est “Ottawa”, c-à-d., la bourgeoisie impérialiste canadienne et son État fédéral. Le rôle réactionnaire du PQ, c’est de constituer l’obstacle politique principal à ce processus.

L’étendue de son hégémonie politique ne dépend pas du poids social des intérêts de classe qu’il reflète, qui sont en fait plutôt marginaux. Cette hégémonie est l’expression des limites de la conscience anti-impérialiste du prolétariat telle qu’elle a évolué jusqu’ici.

Précisément parce que le Québec n’est pas une colonie classique, extérieure à l’économie et à l’État territoriaux de la puissance impérialiste, la contradiction entre les intérêts reflétés par le PQ et les intérêts du prolétariat nationalement opprimé n’est pas limité aux conséquences économiques et sociales de l’indépendance politique future. Cette contradiction est aussi exprimée autour de la bataille pour l’indépendance politique elle-même, ba taille devant laquelle le PQ recule de plus en plus face à la pression impérialiste.

Alors, la lutte pour l’indépendance de classe du prolétariat québécois est essentiellement une lutte pour la direction prolétarienne de la lutte de libération nationale. Le prolétariat ne peut gagner cette direction qu’en avançant une orientation politique qui garantit la victoire du combat pour établir un État indépendant – la mobilisation révolutionnaire des masses québécoises contre l’impérialisme plutôt qu’une stratégie de négociations- et un programme socialiste qui garantit que l’État indépendant pour ra réellement résoudre les profondes distorsions socio-économiques que l’impérialisme a imposé à la nation opprimée.

Le fédéralisme et la classe ouvrière canadienne-anglaise

La formule bien connue de Marx “qu’une nation qui en op prime une autre ne saura jamais elle-même être libre” a une signification très précise : la classe ouvrière de la nation oppresseuse paie toujours un prix très élevé pour sa complicité dans l’oppression de la nation dominée. Ceci peut prendre plusieurs formes selon le caractère de l’État oppresseur et les rapports des diverses nationalités à cet État et entre elles.

L’indifférence· historique du prolétariat canadien-anglais à l’oppression nationale du Québec n’a pas simplement agi comme obstacle à l’alliance avec le prolétariat québécois. L’absence d’unité prolétarienne binationale a aussi eu des conséquences profondément négatives sur· le développement du mouvement ouvrier au Canada-anglais même. En plus de la décentralisation et la fragmentation de l’économie et du système étatique canadien, l’absence d’unité binationale a contribué à la fragmentation du mouvement ouvrier canadien-anglais lui-même.

Bien que le prolétariat canadien-anglais soit le seul secteur du prolétariat nord-américain doté d’une longue tradition d’organisation politique de masse, indépendante des partis bourgeois, il n’a jamais réussi une réelle unification et centralisation de ses organisations syndicales et politiques au niveau national. Le mouve ment ouvrier canadien-anglais a donc toujours été marginalisé politiquement au niveau national, c’est-à-dire étant donné le cadre de l’État canadien, au niveau fédéral. Ceci est directement lié à l’incapacité de toutes les organisations majeures du mouvement ouvrier canadien-anglais de définir une politique démocratique et prolétarienne sur la question nationale.

Il y a toujours eu, bien sûr, des obstacles très réels et matériels à l’unification nationale du prolétariat canadien-anglais. Ceux-ci découlent des caractéristiques structurelles du capitalisme canadien. Il n’y a que peu de secteurs de l’économie qui ont un caractère pancanadien, hormis l’infrastructure des transports et des communications. Au niveau du syndicalisme élémentaire, il n’y a ·que peu d’unité de négociations pancanadiennes. La structure économique distincte des différentes régions et le caractère inégal et séparé du développement capitaliste dans ces régions sont exprimés par la structure, la composition et les origines variées des différents prolétariats régionaux. La simple grandeur géographique du pays et l’isolement physique des différentes régions contribuent à cette fragmentation régionale de la classe ouvrière.

Mais ces facteurs ne suffisent pas en eux-mêmes pour expliquer pourquoi l’unification et la centralisation du mouvement ouvrier canadien-anglais restent si peu développées. Ils expliquent seulement pourquoi cette unification ne s’est pas développée “spontanément”, sur la base des formes les plus élémentaires de la lutte syndicale. L’unification nationale syndicale et politique du mouvement ouvrier était et reste à la fois nécessaire et possible. Mais cette unification ne peut se développer qu’autour d’un axe politique clair : une perspective de lutte contre les partis et gouvernements de la bourgeoisie.

Dans le cadre des traditions réformistes-parlementaires du mouvement ouvrier social-démocrate du Canada-anglais, il existe bien un tel axe de lutte : la lutte pour le pouvoir gouvernemental dans le cadre de la démocratie bourgeoise. C’est précisément à ce niveau que le problème du fédéralisme a été posé de la manière la plus directe. Contrairement au Québec, la nation dominante ne possède pas ses propres institutions politiques nationales. Le mouvement ouvrier réformiste canadien-anglais n’a pu définir ses perspectives politiques “nationales” qu’au niveau de l’État fédéral, c’est-à-dire un État binational : un État où l’autre prolétariat national ne partageait ni les aspirations gouvernementales des travailleurs canadiens-anglais, ni leur acceptation de la légitimité de la Confédération impérialiste. Ceci a bloqué et continue à bloquer toute possibilité réelle de réalisation de ces aspirations gouvernementales dans le cadre de l’État fédéral actuel. Ainsi, au tant les structures politiques du fédéralisme que l’acceptation de ces structures par la classe ouvrière canadienne-anglaise sont les facteurs centraux de toute explication de l’impasse politique de cette classe.

Le mouvement ouvrier canadien anglais et la question nationale

Cette impasse n’était pas inévitable historiquement. Il est concevable qu’elle aurait pu être résolue d’une façon « binationale » plus tôt dans l’histoire du Canada. Par exemple, si, pendant les années trente et quarante, le mouvement ouvrier canadien anglais et particulièrement ses partis politiques avaient clairement reconnu que le Québec est une nation opprimée, s’il s’était fait le champion de ses droits nationaux et linguistiques (y compris la légitimité de toutes les revendications pour l’autonomie de ses institution s locales et le droit à l’autodétermination politique), s’il avait déclaré son intention d’accorder des pleins droits démocratiques aux francophones hors-Québec et avait explicitement reconnu le besoin pour la classe ouvrière québécoise de développer des structures nationales autonomes pour son propre mouvement ouvrier, l’évolution de la lutte des classes aurait été très différente. Le mouvement ouvrier canadien-anglais aurait pu devenir un véritable pôle d’attraction pour le prolétariat québécois naissant, l’aidant dans sa propre rupture politique avec les partis bourgeois, spécialement avec le conservatisme clérico-nationaliste. Une alliance politique véritablement binationale de la classe ouvrière autour de l’axe d’une perspective gouvernementale commune au niveau fédéral aurait pu être une réelle possibilité.

Mais c’est exactement le contraire qui est arrivé. Ceci a eu d’énormes conséquences pour l’évolution subséquente du mouvement ouvrier canadien-anglais, compte tenu que les années trente et quarante étaient la période de formation de ses principales expressions : les syndicats industriels et le CCF, plus tard réorganisé pour créer le NPD. Les traits politiques et organisationnels fondamentaux ont été tracés pendant ces années-là et n’ont pas été altérés qualitativement depuis lors.

Le mouvement ouvrier canadien-anglais, politiquement dominé par le réformisme social-démocrate et stalinien, a adopté une orientation qui a renforcé la domination du prolétariat québécois par des formations bourgeoises et a approfondi sa méfiance et son isolement de la classe ouvrière canadienne-anglaise. Les sociaux-démocrates du CCF, complètement soumis aux traditions du parlementarisme anglo-saxon, sont devenus les avocats les plus bruyant s du renforcement de l’autorité de l’État central. Ceci était la conséquence inévitable d’un programme qui voyait dans cet État l’instrument principal d’une “solution” économique néo-fabienne à la crise du capitalisme. Bien que les staliniens ont formellement reconnu le caractère national du Québec et son droit à l’autodétermination, leur rôle grotesque pendant la crise de la conscription a complètement nié cette reconnaissance en pratique.

En effet, la crise des années de guerre est à la fois une illustration graphique de la dynamique contradictoire des différentes lut tes de classe nationales et le test décisif qui a conditionné leur évolution future. Les années de guerre furent, d’une part, une période de syndicalisation massive et de grande montée politique pour la classe ouvrière canadienne-anglaise, période pendant laquelle la social-démocratie a acquis un poids politique national qu’elle n’a jamais vraiment retrouvé depuis . D’autre part, la guerre a aussi provoqué une des plus grandes montées nationalistes dans l’histoire du Québec, stimulée par l’opposition à la participation canadienne dans la guerre impérialiste autour de l’axe de la résistance à la conscription. L’opposition spontanée des masses canadiennes-anglaises aux aspects les plus odieusement bourgeois de l’effort de guerre furent canalisés dans une critique réformiste des profits excessifs. En même temps, le mouvement ouvrier canadien-anglais soutenait les mesures de conscription du gouvernement impérialiste, qui ont été à la base de l’occupation militai re du Québec par l’armée canadienne.

Le résultat? La montée simultanée de la conscience de classe au Canada-anglais et du sentiment anti-impérialiste national-démocratique au Québec, qui ensemble contenaient la semence d’une des plus grande crise potentielle dans l’histoire de l’État bourgeois canadien, a plutôt aidé à élargir les divisions entre les masses des deux nations, et a renforcé la domination politique de l’impérialisme.

L’impasse de la social-démocratie

Le mouvement ouvrier canadien-anglais ne s’est jamais complètement relevé de ce fiasco, en termes de force politique. En réorganisation de la social-démocratie par le CCF et les directions syndicales qui a conduit à la création du NPD en 1961, a évité une destruction complète de la social-démocratie comme force nationale, danger très réel dans le calme de la période d’après guerre. Mais, mise à part la brève période d’euphorie qui a entouré le “Nouveau Parti” au début des années 60 aucun secteur significatif de la classe ouvrière canadienne-anglaise n’a vu dans le CCF NPD une alternative gouvernementale fédérale concrète depuis la montée des années quarante.

La stabilité de la base électorale fédérale du NPD parmi une minorité significative de la classe ouvrière canadienne-anglaise témoigne plus du poids de certaines traditions social-démocrates et de l’hostilité permanente des secteurs les plu s conscients du prolétariat aux partis de l’ennemi de classe , que d’une conviction étendue de la possibilité réelle d’une solution réformiste gouverne mentale fédérale.

À la place, depuis le début des années soixante, les secteurs les plus conscients du prolétariat ont de plus en plus redéfini leurs aspirations à un changement politique en termes provinciaux . Car, pendant que le NPD reste marginal comme force fédérale, le rapport de forces est très différent dans les provinces (Ontario, Manitoba , Saskatchewan et Colombie britannique) où est concentrée sa base de masse. Le poids local du NPD dans ces régions lui permet d’être une alternative gouvernementale provinciale très crédible. L’étendue des pouvoirs autonomes des provinces permet au prolétariat de voir le pouvoir gouvernemental provincial comme une réelle solution à toute une série de problèmes qui le préoccupe : les libertés syndicales, les réformes sociales et une série de problèmes reliés au développement et à l’expansion industrielle.

Ce localisme provincial renforce la faiblesse nationale du mouvement ouvrier de deux façons. D’une part, le provincialisme politique du prolétariat dans les régions où le NPD a une base de masse aide à obscurcir et à minimiser le problème central de la faiblesse nationale d’ensemble du mouvement ouvrier dans la conscience des couches les plus avancées des travailleurs. D’autre part, ce provincialisme renforce la domination complète de la classe ouvrière par les partis bourgeois dans les régions où le NPD n’a pas du tout de base de masse : l’Alberta et les provinces atlantiques. Dans une large mesure, la position minoritaire du NPD au niveau fédéral correspond à son absence totale de ces régions où la classe ouvrière manque complètement de traditions politiques autonomes.

Cette analyse nous permet d’établir le lien entre l’acceptation a-critique du fédéralisme par le prolétariat canadien-anglais, ce qui bloque son alliance avec les travailleurs québécois, et sa propre faiblesse et fragmentation politique .

Le sous-développement de l’indépendance politique de classe du prolétariat canadien-anglais est basé sur une combinaison de trois éléments : son nationalisme, fondamentalement défini par son identification à l’État fédéral existant, vu comme la seule for me “imaginable” de la “nation canadienne”; son acceptation fataliste du rôle dominant des partis bourgeois au niveau national , donc fédéral ; et son localisme, qui joue un rôle de succédané en ce qui concerne les aspirations politiques des secteurs régionaux les plus avancés du prolétariat, et renforce leur isolement des travailleurs des régions arriérées.

L’enjeu de la crise pour la classe ouvrière canadienne-anglaise

Les implications de la crise de la Confédération impérialiste pour le prolétariat canadien-anglais ne peuvent être comprises que dans ce contexte. La crise de l’État fédéral qu’a provoqué la question national e place le mouvement ouvrier canadien-anglais face au choix le plus profond de son histoire. Dans l’affronte ment présent contre l’impérialisme canadien et le prolétariat québécois nationalement opprimé, avec qui s’alliera le prolétariat canadien-anglais?

Les dangers inhérents à une telle situation sont évidents. Si la bourgeoisie impérialiste, en collaboration avec les directions pro-fédéralistes des syndicats et du NPD, peuvent convaincre les masses laborieuses canadiennes-anglaises de subordonner leurs revendications de classe à la défense de la Confédération impérialiste, le résultat n’en sera pas seulement une grande défaite historique pour la lutte de libération nationale des Québécois. Le succès d’une telle opération constituerait aussi un recul désastreux pour le prolétariat canadien-anglais même. Ce n’est pas simple ment le danger de détruire la capacité de lutte du plus grand al lié potentiel des travailleurs canadiens-anglais. Une telle défaite au Québec va altérer les rapports de force entre les classes au Canada-anglais en faveur du grand capital.

Mais, au moment même où la crise de la Confédération crée une ouverture historique au prolétariat québécois, elle contient des possibilités tout aussi positives pour le prolétariat canadien anglais. Car la crise de la Confédération offre les conditions objectives qui peuvent permettre au prolétariat canadien-anglais de briser l’impasse politique historique qui lui a été créé par le fédéralisme impérialiste. Cette crise fournit un axe politique immédiat et concret pour l’unification nationale indépendante des travail leurs canadiens-anglais : à travers une réponse prolétarienne à la crise de la Confédération, qui est totalement contraposée à celle de la bourgeoisie impérialiste canadienne.

En dépit de sa fragmentation et de son éparpillement socio-économique, le prolétariat canadien-anglais a un intérêt collectif dans l’aboutissement de cette crise qui est commune à toutes ses composantes régionales. Il est évident qu’il doit répondre à cette crise en tant que prolétariat d’une des nation d’un État multinational en train d’être déchiré par les contradictions nationales. Il est impossible pour les différents secteurs régionaux du prolétariat canadien -anglais de répondre à cette crise en termes régionaux, étant donné la nature même de la crise – son caractère “fédéral” avant tout. En même temps, il est tout aussi impossible pour le prolétariat de répondre en termes fédéralistes , sans se réduire ainsi à une simple force auxiliaire de sa propre bourgeoisie. La seule politique indépendante ouverte au prolétariat canadien anglais est de s’unifier lui-même en divisant sa propre nation selon les frontières de classe. Il ne peut y arriver qu’à travers une lutte qui combine l’aide aux québécois et aux autres peuples opprimés dans leur lutte pour détruire la Confédération multinationale impérialiste avec sa lutte pour ses propres revendications de classe de sa propre nation.

La révolution permanente et l’unité de classe binationale

La tâche stratégique centrale de la prochaine période est de relier la crise étatique de la Confédération impérialiste avec la cri se économique et sociale du capitalisme dans le but de transformer ces crises partielles en une crise révolutionnaire généralisée de l’impérialisme pan-canadien , conduisant à la destruction complète de toutes les formes de l’État bourgeois et à l’établissement du pouvoir ouvrier à travers le territoire actuel du Canada.

L’accomplissement de cette tâche dépend de deux facteurs interreliés : la conquête de la complète indépendance politique et organisationnelle de la classe ouvrière dans chaque nation principale; et le développement d’une alliance efficace entre elles afin de réaliser leur intérêt commun dans le renversement de l’État impérialiste.

Toutefois, il est insuffisant de poser ce projet en termes abstraits. Nous devons nous souvenir que l’expression “unité des travailleurs des deux nations” a une longue et malheureuse histoire dans la gauche canadienne. Elle a toujours été utilisée dans un but très spécifique : comme prétexte pour minimiser la signification de la question nationale. Dans la crise actuelle , l’utilisation d’une telle rhétorique “unitaire” est le fil qui relie tous les ennemis “socialistes” et “communistes” de la lutte de libération nationale, à partir de David Lewis jusqu’à Charles Gagnon. La question principale est de comprendre comment construire cette unité d’une façon qui correspond vraiment à la dynamique vivante du processus révolutionnaire à l’intérieur de l’État canadien. Au dé part, il est nécessaire de rejeter deux faux schémas de la relation entre les luttes de classe du Québec et du Canada-anglais.

Le Québec au cœur de l’État canadien

La relation entre la révolution  québécoise et l’État  canadien ne  peut  pas être  comparée  à  une  révolution  “coloniale” contre une métropole impérialiste extérieure. La “perte” du Québec est , du point de vue de l’État canadien, beaucoup plus qu’une ques­tion de surprofits coloniaux , qu’une diminution de sa “sphère d’influence”, ou un changement  défavorable  du  rapport  de for­ ces international. Une victoire révolutionnaire au Québec, c’est-à­ dire la mise sur pied d’un  État  québécois indépendant  contrôlé par le prolétariat, crée une situation de vie ou de mort pour l’impérialisme d’une façon qu’aucune révolution dans une colonie ex­térieure ne le pourrait jamais. Et ceci ne peut être réduit à une perte de marchés et de moyens de production; la perte d’un ter­ritoire, la perte du canal Saint-Laurent, etc. Les conséquences politiques d’une telle victoire ne peuvent pas être  confinées au Québec. Elles s’étendraient rapidement à travers l’État canadien, accélérant massivement la radicalisation, non seulement des peti­tes minorités nationales opprimées, mais aussi du prolétariat cana­dien-anglais lui-même.

Pour cette raison, la relative autonomie stratégique qui existe entre le développement du processus révolutionnaire dans un pays colonial et la lutte de classes dans la métropole impérialiste, n’existe pas dans la relation de la révolution québécoise à l’État canadien.  La possibilité  d’une stabilisation à long terme d ‘une République des Travailleurs du Québec sans la destruction complète de l’impérialisme canadien est totalement exclue.  Précisément à cause de cela, le lien  du prolétariat  canadien-anglais à la révolution québécoise  est infiniment  plus direct que par exemple, celui qui existe entre les travailleurs américains et la révolution porto-américaine. Tout  comme  le  développement  d’une situation révolutionnaire au Québec ne peut être confiné à ses frontières c’est la même chose en ce qui concerne la réponse contre-révolutionnaire de l’impérialisme canadien. Ainsi, les tâches du prolétariat canadien-anglais face au Québec ne sont pas simplement celles de “se solidariser avec” ou de “défendre” la révolution québécoise. Les enjeux sont infiniment plus élevés pour le prolétariat canadien­ anglais. Soit qu’il s’unisse au prolétariat québécois dans la destruction de l’État impérialiste, ou sinon , il sera directement confronté aux conséquences contre-révolutionnaires politico-militaires  de son échec. Tout comme la victoire de la révolution québécoise se pose une question de vie  ou de mort à l’impérialisme canadien, c’.est la même chose pour le prolétariat canadien-anglais.

La médiation de la question nationale

Toutefois, l’interdépendance objective des deux prolétariats et leur intérêt réciproque dans la destruction de l’État canadien peut mener à un schéma opposé au précédent mais tout aussi dangereux si cette interdépendance est comprise de façon simpliste. La relation entre la révolution québécoise et l’État canadien ne peut pas être comparée à une révolution “coloniale” contre une métropole impérialiste extérieure. La “perte” du Québec est ,du point de vue de l’État canadien, beaucoup plus qu’une question de surprofits coloniaux, qu’une diminution de sa “sphère d’influence”, ou un changement défavorable du rapport de for ces international. Une victoire révolutionnaire au Québec, c’est-à dire la mise sur pied d’un État québécois indépendant contrôlé par le prolétariat, crée une situation de vie ou de mort pour l’impérialisme d’une façon qu’aucune révolution dans une colonie extérieure ne le pourrait jamais. Et ceci ne peut être réduit à une perte de marchés et de moyens de production; la perte d’un territoire, la perte du canal Saint-Laurent, etc. Les conséquences politiques d’une telle victoire ne peuvent pas être confinées au Québec. Elles s’étendraient rapidement à travers l’État canadien, accélérant massivement la radicalisation, non seulement des petites minorités nationales opprimées, mais aussi du prolétariat canadien-anglais lui-même.

Pour cette raison, la relative autonomie stratégique qui existe entre le développement du processus révolutionnaire dans un pays colonial et la lutte de classes dans la métropole impérialiste, n’existe pas dans la relation de la révolution québécoise à l’État canadien. La possibilité d’une stabilisation à long terme d ‘une République des Travailleurs du Québec sans la destruction complète de l’impérialisme canadien est totalement exclue. Précisément à cause de cela, le lien du prolétariat canadien-anglais à la révolution québécoise est infiniment plus direct que par exemple, celui qui existe entre les travailleurs américains et la révolution porto-américaine. Tout comme le développement d’une situation révolutionnaire au Québec ne peut être confiné à ses frontières c’est la même chose en ce qui concerne la réponse contre-révolutionnaire de l’impérialisme canadien. Ainsi, les tâches du prolétariat canadien-anglais face au Québec ne sont pas simplement celles de “se solidariser avec” ou de “défendre” la révolution québécoise. Les enjeux sont infiniment plus élevés pour le prolétariat canadien anglais. Soit qu’il s’unisse au prolétariat québécois dans la destruction de l’État impérialiste, ou sinon , il sera directement confronté aux conséquences contre-révolutionnaires politico-militaires de son échec. Tout comme la victoire de la révolution québécoise se pose une question de vie ou de mort à l’impérialisme canadien, c’est la même chose pour le prolétariat canadien-anglais.

Toutefois, l’indépendance objective des deux prolétariats et leur intérêt réciproque dans la destruction de l ‘État canadien peut mener à un schéma opposé au précédent mais tout aussi dangereux si cette interdépendance est comprise de façon simpliste et abstraite : c’est-à-dire un schéma qui ne parvient pas à comprendre la médiation créée par la question nationale et la façon dont cette médiation conditionne la forme politique concrète de l’unité des deux prolétariats. Ce schéma peut être résumé par la formule “une lutte commune pour le pouvoir “, l’équivalent, au sein de l’État canadien, du concept “blancs et noirs, unissez-vous et luttez”, mis de l’avant aux USA par les Staliniens et les Mao-staliniens. Ce que dissimule cette formule de “lutte commune pour le pouvoir”, c’est le caractère très particulier qui est donné à la lutte pour le pouvoir par la bataille du prolétariat québécois pour un État indépendant.

Dans quelques autres États impérialistes multinationaux, les sections de la Quatrième Internationale définissent leur position sur la question nationale à partir d’une orientation stratégique très précise par rapport à la lutte pour le pouvoir. L’élément commun de cette orientation dans ces différents États est l’acceptation du cadre politique créé par l’État unitaire, qui structure ainsi la forme de la lutte pour le pouvoir. La nécessité stratégique d’unifier les différentes nationalités au sein du prolétariat autour du projet de lutte pour le pouvoir au niveau de l’État central a des conséquences précises sur la ligne politique de l’avant-garde révolutionnaire concernant la question nationale. D’un côté, elle lutte pour que le prolétariat de la nation dominante reprenne à son compte les revendications nationales des autres nationalités – droits linguistiques, autonomie locale, etc. – et lut te pour une défense sans compromis du droit à l’autodétermination , autant dans le cadre de l’État bourgeois existant que comme partie du programme gouvernemental d’ensemble du prolétariat.

L’avant-garde révolutionnaire lutte pour l’adoption de telles politiques précisément afin de convaincre les nationalités opprimées que leurs demandes nationales pourront être le mieux satis faites au travers leur participation à la lutte centralisée pour le pouvoir. Pour exactement la même raison, l’avant-garde révolutionnaire dans ces pays tente de dissuader les nationalités opprimées d’adopter une voie sécessionniste, tout en affirmant leur défense inconditionnelle de cette lutte contre l’État central , si les masses de la nation opprimée adoptaient une telle politique. Évidemment, une telle perspective stratégique est basée sur les caractéristiques économiques, sociales et politiques propres à ces pays, qui rendent une telle perspective à la fois réaliste et préférable,tant du point de vue général du développement du processus révolutionnaire que des intérêts spécifiques des nationalités opprimées.

Une telle perspective est-elle valable pour l’État canadien? Absolument pas! Ce qui doit être compris, c’est que l’indépendance est plus qu’une variante possible parmi diverses positions “programmatiques” sur la question nationale. Nous ne sommes pas simplement les avocats de l’indépendance à titre d’alternative “démocratique”, au lieu de l’être pour “l’autonomie” , la “fédération” ou quel qu’autre “revendication”. Pas plus que l’indépendance est simplement l’un des “but” de la révolution, une des “solutions” que le prolétariat va pouvoir instaurer après sa \ victoire politique pan-canadienne. L’indépendance nationale est l’axe politique de la lutte pour le pouvoir des travailleurs québécois. Ce n’est pas l’un des “but” de la révolution, c’est un de ses moyen, la brèche politique que pourront utiliser les forces de la révolution permanente.

Il est conséquemment nécessaire d’être extrêmement clair sur la nature de notre position indépendantiste. ll serait très dangereux de réduire notre motivation pour l’indépendance à des cri tères “démocratiques”, c’est-à-dire les désirs des masses, ou du moins leurs secteurs les plus avancés. Ce n’est pas un facteur négligeable. Mais cet indépendantisme n’est pas mystérieusement tombé du ciel lors de l’élection d’avril 1970, lorsque le PQ, qui participait à sa première élection sur la base d’un programme appelant à une déclaration unilatérale d’indépendance, a reçu plus de 30 o/o du vote populaire francophone. Pourquoi ces masses ont-elles choisi l’indépendance? C’est le produit d’une série de facteurs objectifs, parmi lesquels les suivants sont les plus essentiels de notre point de vue :

a) Comme nation conquise et opprimée depuis des siècles, toute la vie politique du Québec était et est définie en rapport à la question nationale.

b) La forme économique de l’exploitation capitaliste est presque entièrement celle d’une domination impérialiste extérieure, la source visible de la crise économique permanente qui a écrasé la nation bien avant l’éclatement de la crise économique actuelle des pays impérialistes.

c) Au niveau politique , les limites maximales de l’autonomie nationale, possible en dehors de l’indépendance , ont été atteintes depuis longtemps. Elles étaient futiles comme instruments de résistance à la domination impérialiste et ont donc été des diversions complètes du point de vue d’une lutte réelle contre l’oppression nationale. En même temps, les différents projets autonomistes, de Duplessis à Lesage étaient les formes principales de la domination politique bourgeoise qui ont bloqué l’indépendance politique du prolétariat québécois.

d) Le chauvinisme du mouvement ouvrier canadien-anglais a historiquement bloqué toute possibilité de solution alternative à travers une action politique de classe au sein du cadre de l’État fédéral unitaire.

En nous appuyant sur ces facteurs objectifs (et pas simplement sur leur reflet “spontané ” et inégal dans la conscience de certains secteurs des masses), il est possible de définir une position consistante et cohérente sur la nécessité de l’indépendance nationale. En premier lieu, l’histoire a exclu toute autre voie pour une lutte réelle contre l’oppression nationale. Deuxièmement, il n’y pas d’autre moyen pour la classe ouvrière de conquérir son indépendance politique que de lutter pour l’indépendance nationale contre l’impérialisme, et de lutter pour le leadership de la lutte indépendantiste contre le nationalisme bourgeois. Ceci est aussi le seul moyen de s’assurer qu’une telle lutte ne sera pas écrasée, compte tenu de la réalité de l’État canadien. Troisième ment, la lutte pour l’indépendance sous la direction de la classe ouvrière offre la seule possibilité d’amener le prolétariat canadien-anglais à briser avec le fédéralisme chauvin, et rend ainsi possible une réelle alliance des deux prolétariats.

La révolution permanente dans l’État canadien

La théorie de la révolution permanente de Trotsky avait trois composantes fondamentales. La première concerne l’incapacité de la bourgeoisie dans les sociétés dominées et opprimées par l’impérialisme de compéter les tâches nationales et démocratiques de la révolution bourgeoise .

La seconde découle de la première : la tendance inévitable des révolutions populaires qui commencent autour de questions nationales et démocratiques d’aller au-delà du cadre bourgeois et de commencer à remettre en cause les rapports de propriété capitalistes eux-mêmes.

Ces deux aspects de la théorie de la révolution permanente n ‘ont pas une signification identique au Québec et dans les pays coloniaux et semi-coloniaux. Mais, en raison de la forme polit que de l’oppression nationale et des conséquences économiques de la domination impérialiste, ces formules générales restent applicables au Québec.

Mais il y a aussi un troisième élément dans la théorie de la révolution permanente : l’inévitable tendance de toute révolution nationale à s’étendre au-delà de son propre territoire national, à “déborder”. Si cela est valable en rapport des implications de la révolution dans un État vers les pays voisins, c’est infiniment plus vrai pour une révolution qui prend la forme d’une lutte de libération nationale à l’intérieur de l’État multinational impérialiste, particulièrement celui dont la cohésion économique et politique est aussi fragile que celle du Canada.

N’est-il pas clair que, sous ce rapport moins que sous tous les autres, on n ‘a pas le droit d’opposer l’Europe aux colonies? La lutte des nations opprimées en Europe (souligné dans l’original), capable d’en arriver à des insurrections et à des combats de rue, à la violation de la discipline de fer de l’armée et à l’état de siège, “aggravera la crise révolutionnaire en Europe” infiniment plus qu’un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bourgeoisie impérialiste anglaise par l’insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s’il avait été porté en Asie ou en Afrique (souligné par nous)”.

(Lénine, “Sommaire de la discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes”, thèse 10).

Une compréhension correcte de tous les aspects de la théorie de la révolution permanente nous permet de caractériser la dynamique du processus révolutionnaire au sein de l’État canadien.

Il est évident que le prolétariat de toutes les nationalités et la totalité des masses opprimées à l’intérieur de l’État canadien partagent un intérêt commun dans sa déstructuration et dans la destruction des rapports de propriété capitalistes qu’il défend. Mais l’unité historique de ces intérêts ne dicte pas automatique ment une identité de leur expression et de leur maturation. Les masses opprimées des différentes nations et nationalités dans l’État canadien ont un but révolutionnaire commun dans la destruction de cet État. Mais elles y parviendront à travers des démarches différentes.

Il est parfaitement correct, dans ce cadre, de parler d ‘une “révolution québécoise ” distincte. La révolution québécoise est une révolution distincte avec ses propres formes, non seulement en raison du caractère distinct et particulier de la formation socio-économique québécoise, et des problèmes spécifiques sociaux, économiques, culturels et politiques que la révolution socialiste doit résoudre à l’intérieur du territoire de la nation québécoise.

La révolution québécoise est une révolution distincte parce que la bataille révolutionnaire du prolétariat québécois se constitue politiquement dès le début autour d’un projet politique spécifique : la création d’un État québécois complètement indépendant, qui ne peut être qu’un État prolétarien si la libération nationale doit être vraiment réalisée.

Aussi, nous pouvons caractériser le processus révolutionnaire dans l’État canadien comme un processus de révolution permanente dans lequel la lutte pour le pouvoir prolétarien est directe ment combiné avec la destruction de l’État multinational selon des lignes nationales. Ce démembrement ne sera pas qu’un pro duit quelconque de la révolution victorieuse, mais une composante essentielle du déroulement de la révolution. Les acteurs centraux dans ce processus seront évidemment les prolétariats nationaux des deux principales nations. Mais les plus petites nationalités territoriales (Acadiens, peuples aborigènes du nord) joueront aussi un rôle secondaire, mais quand même significatif dans ce processus .

Il s’ensuit que gagner le prolétariat canadien-anglais au sou tien du droit à l’auto-détermination pour le Québec et des autres nationalités a des implications directement révolutionnaires. A l’intérieur de notre cadre stratégique, un engagement du prolétariat canadien-anglais à défendre le droit à l’auto-détermination implique beaucoup plus qu’une simple affirmation de bonne volonté visant à promouvoir des liens de fraternité et de solidarité avec les masses des autres nationalités, ou qu’une définition programmatique de ce que sera la politique nationale d’un futur État multinational au sein duquel les travailleurs canadien-anglais formeront la majorité.

La signification de l’auto-détermination dans son sens le plus complet est que les travailleurs canadiens-anglais doivent activement appuyer le Québec et les autres nationalités opprimées dans le démantèlement de l’État multinational impérialiste. La participation active des travailleurs canadien-anglais dans ce processus constituera un élément central de leur propre lutte pour prendre le pouvoir.

 

Articles récents de la revue

L’Université ouvrière de Montréal et le féminisme révolutionnaire

L’Université ouvrière (UO) est fondée à Montréal en 1925, sous l’impulsion du militant Albert Saint-Martin (1865-1947). Prenant ses distances avec la IIIe Internationale communiste, l’Université...