Accueil- Débats, histoire et théoriesQuelques notes sur la situation au Canada anglais et dans l'État canadien

Quelques notes sur la situation au Canada anglais et dans l’État canadien

Ce texte écrit en 1993 par Michel Mill, décédé en 1996, présente une analyse du mouvement ouvrier québécois et canadien dans son cadre historique qui visait surtout à soutenir la perspective de lutte de libération nationale dans le cadre stratégique de défaire l’impérialisme canadien. Il y explique les enjeux et les réalités différentes, les difficultés et les défis. C’est une analyse historique essentielle à la compréhension des dynamiques de la lutte de la classe ouvrière du Québec et du Reste du Canada en alliance avec les nations autochtones.

Depuis trop longtemps l’essentiel de nos discussions sur le Canada anglais porte sur la situation interne. Et ceci d’un point de vue assez fractionnel ! En partie, la faiblesse de ces discussions est attribuable à notre propre faiblesse numérique – et en cadres – combinée avec notre dispersion géographique. En plus de l’écran de fumée que la question nationale peut trop souvent représenter, la décentralisation et le caractère « provincial » de la vie politique au Canada anglais sont autant d’obstacles à une compréhension homogène et raffinée de la situation politique dans l’ensemble de l’État canadien.

Pourtant la crise rampante de l’État ne s’est en rien résorbée. En fait à cette crise autour de la question nationale québécoise (compliquée davantage par la question des peuples aborigènes) et du moyen d’assurer la survie comme bourgeoisie autonome du Capital canadien se sont ajoutées une série d’autres toutes liées les unes aux autres : Ia crise de l’alternative bourgeoise avec la quasi-disparition des Conservateurs au niveau fédéral ; le problème aigue de que faire avec le Reform Party – tenter de I ‘absorber en en faisant la version II des Conservateurs (comme cela a été fait avec le Crédit social en Alberta et en Colombie-Britannique) ou le combattre en faisant renaitre les Conservateurs traditionnels la crise profonde de perspectives sociales, économiques, politiques et, à moyen terme, organisationnelle des directions syndicales au Canada anglais et au Québec. II s’agit de questions que nous n’avons que peu discutées depuis le congrès de fondation et qu’il faut remettre au centre de nos-préoccupations dans la prochaine période.

Le but de ce texte est donc de jeter sur papier pêlemêle une série d’observations et de spéculations concernant certaines de ces questions. Rien n’y est affirmé avec certitude. Tout est à discuter.

Secteur public – Secteur privé

Historiquement, le mouvement ouvrier partout clans le monde capitaliste a été dominé par les syndicats de l’industrie privée. Les syndicats du secteur public (nous y comprenons le secteur parapublic et le secteur péripublic) sont tous très récents et sont très souvent sans traditions de lutte militante. Dans bien des pays, le secteur public ne fait pas partie des grandes centrales ouvrières. Dans la quasi totalité des pays capitalistes dits avances, le poids social et politique des syndicats du secteur public dans la vie du mouvement ouvrier et dans la vie socio-politique est de loin inferieur a son poids numérique et social objectif.

Le secteur public comme locomotive au Québec

Le secteur public québécois constitue l’exception a cette règle quasi générale depuis le début des années 70. Jusqu’à récemment, ce secteur a été perçu plutôt comme étant la locomotive du mouvement ouvrier québécois et beaucoup de militant-e-s au Canada anglais y voyaient un exemple à suivre. Nous avons analysé ailleurs les raisons pour cette anomalie et nous allons uniquement les résumer ici.

Entre l’élection du gouvernement libéral de Jean Lesage en 1960 et celle du gouverne­ ment Bourassa en 1970, l’État croupion québécois a connu une modernisation et une expansion prodigieuses sans égales ailleurs au monde. Dans l’espace d’une décennie, cet État très partiel dans ses attributs est passe d’un État compradore et confessionnel ultra corrompu à un État ultramoderne et très interventionniste, digne des meilleurs théoriciens européens de l’État néocapitaliste. II était impossible de doter ces structures étatiques et paraétatiques de personnel par les méthodes traditionnelles de patronage politique. II a fallu donc recruter ce personnel relativement qualifie parmi la jeunesse nouvellement scolarisée et surtout très influencée par l’ébullition politique autour du nouveau mouvement indépendantiste de gauche. Les premières injonctions judiciaires utilisées contre des grévistes au Québec ont vise non pas des syndicats du prive mais des enseignants (la grève du SPEQ en 1966) et des employés des transports publics (la grève de la Commission du transport de Montréal aussi en 1966).

Entre-temps, le lent déclin de la grande industrie, amorce tout de suite après la guerre, a continue et seule l’intervention de l’État québécois avec de grands projets de construction a pu résorber partiellement le chômage mais au prix d’une étatisation indirecte du secteur du bâtiment.

Depuis le début, ce nouveau secteur public s’est affilie aux centrales ouvrières historiques à l’exception des enseignants du primaire et du secondaire qui ont converti leur corporation en centrale syndicale de l’enseignement pendant la même période.

En même temps, des couches importantes de l’intelligentsia et des mandarins d’État ont commencé à proposer l’utilisation de ce nouvel « État québécois » comme mécanisme d’accumulation du capital pour une future bourgeoisie québécoise. Ce projet exigeait un élargissement des pouvoirs de l’État croupion et surtout sa centralisation extrême. La logique de ce projet (présent au sein du Parti libéral et même de l’Union nationale) devait aboutir au projet souverainiste du Parti québécois.

Ainsi, lorsqu’en 1970, le Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Québec (CSN) a pro­ pose la création d’un Front commun de tous les syndicats du secteur public et parapublic (CSN, FI’Q et CEQ) pour négocier en bloc leur conventions collectives, la réponse a été un ‘oui’ foudroyant et enthousiaste parmi les syndique-e-s et un ‘oui’ technocratique de la part de l’État Peu de temps auparavant, l’État avait décrété la syndicalisation obligatoire de l’ensemble de la construction et la centralisation sous son égide des négociations dans ce secteur. Ainsi, à partir de ce moment, la majorité des syndique-e-s au Québec négociaient directement avec l’État québécois.

Et ce qui devait arriver est arrivé: des accrochages titanesques entre l’État et le Front commun en 1972 et a un moindre degré en 76, le Front commun des grévistes du prive en 73-74 avec ses exigences du droit de grève en tout temps, la guerre de la Baie James en 73, etc. De tels affrontements avec l’État exigeaient une réponse politique de la part des organisations de la classe ouvrière, mais après avoir rédigé et fait adopter des manifestes très radicaux – ce qui a provoqué des scissions en leurs rangs non sans importance- toutes les directions syndicales ont mis leur poids derrière le projet nationaliste populiste du PQ.

Après des négociations en douceur en 1979 ou le PQ cherchait a s’assurer le soutien des centrales lors du référendum de 1980, la lune de miel a vite tourne au vinaigre. Con­ scient de son affaiblissement après la défaite du referendum et de la démoralisation du mouvement ouvrier provoquée par cette défaite et par la crise économique-de 1981-82 qui a vu le démantèlement de ce qui restait de l’industrie privée à Montréal et le déclin désastreux du secteur minier, le PQ s’est enligné sur les forces relativement rachitiques du Québec Inc. et a eu l’honneur d’être le premier gouvernement provincial à appliquer avec une vengeance les politiques néo-conservatrices maintenant à Ia mode en coupant les salaires du secteur public par 20 % en 1983.

Le gouvernement péquiste a aussi été le premier a sciemment chercher a diviser le secteur privé et le secteur public en faisant des concessions au secteur privé (loi anti-scabs, CSST, etc.) et en jouant sur les vieux préjuges anti-fonctionnaires (grassement payes a rien faire, sécurité d’emploi à vie même s’ils ne font rien, etc.). Les autres gouvernements provinciaux ne font qu’émuler cette politique aujourd’hui.

Depuis 1983, le secteur public québécois n’a connu que défaite après défaite. Depuis le retour au pouvoir des Libéraux de Bourassa, l’État croupion québécois est encore davantage à l’avant-garde de l’application des politiques néo-conservatrices et les directions syndicales québécoises encore moins capables d’y riposter. Depuis 1983, il faut ajouter à la division intercentrale, la division intra-centrale surtout a la CSN. Face à leur incapacité de gagner quoique se soit de réel ou de durable par la tactique de l’affrontement tant et aussi longtemps qu’elles refusaient l’affrontement ultime sur le terrain politique, ces di­ rections ont adopté une politique collaborationniste à outrance.

Pourtant, la capacite de mobilisation des syndicats reste considérable – voire les manifs unitaires de 40 000 contre les changements à l’assurance-chômage en février dernier et de 100 000 du secteur public le 29 mai dernier. Dans le premier cas, il s’agissait presqu’entièrement d’une mobilisation du secteur prive ou le bâtiment a joué le rôle de moteur et, dans le deuxième cas, il n’y a eu aucune tentative de mobiliser le secteur privé (même pas le bâtiment) malgré le fait évident que si le secteur public devait subir une de­ faite majeure dans le contexte actuel, le secteur prive serait encore plus vulnérable.

La décision des directions syndicales de jouer le jeux de la collaboration plus que loyale avec Québec Inc. et ses représentants politiques, le PQ et le BQ, a fait en sorte que la manif de février devait uniquement exercer des pressions sur le caucus conservateur a Ottawa où on espérait provoquer encore d’autres défections vers le BQ, et que la manif de mai n’était qu’une soupape de sureté pour la colère des membres, les directions ayant déjà décide – 2 jours avant la manif ! – de céder sur le gel des salaires.

Depuis lors, Ia situation va de pire en pire surtout avec la décision récente de la CEQ et de la FTQ de tout mettre sur la table de négociation au nom de la réorganisation du travail. Ainsi, l’État québécois a gagné son pari du début des années 70: les directions syndicales, en refusant de faire le saut sur le terrain politique, ont vendu la force de frappe du secteur public pour un plat de lentilles empoisonne. L’État a les mains parfaitement libres de faire ce qu’il veut ce qui fait autant l’affaire du PQ et du BQ que du Parti libéral.

Le mouvement syndical québécois, dans l’espace de 20 ans, est passe du mouvement ouvrier le plus radical en Amérique du Nord non seulement dans ses manifestes mais aussi dans ses luttes concrètes du secteur public et du secteur prive à un mouvement qui rivalise avec la direction de l’AFL-CIO en termes de sa volonté de collaboration avec la bourgeoisie nationale. Ses divisions, loin d’avoir été surmontées, se sont approfondies. Et le pire dans tout ceci est le fait que les cadres organisateurs surgis des luttes à la fin des années 60 et au début des années 70 et qui bénéficient toujours d’un prestige et d’une loyauté auprès des membres a cause de ce passé sont intégrés presque sans faille au projet socio-politique des directions. II n’existe pas d’opposition sérieuse au sein de quelque centrale que ce soit.

La marginalité du secteur public ailleurs dans l’État canadien

Ailleurs dans l‘État canadien l’évolution du mouvement syndical a été très différente bien que cela ait abouti à une crise de perspectives et à un degré de collaboration avec la bourgeoisie assez semblable.

Le secteur public fédéral a lui aussi connu une expansion très importante au cours des années 60 et 70 mais cette expansion était per e de l’intérieur et de l’extérieur comme étant une évolution et non pas une révolution (cf. la soi-disant ‘Révolution tranquille’ au Québec). Certes, les fonctionnaires directs ont converti pendant cette période leur vieille association en syndicat (Alliance de la fonction publique du Canada) affilie au CTC mais sans l’unification et les affrontements qu’a connus le Québec. La majorité des corporations de la couronne étaient déjà syndiquées et ceci chez des syndicats assez conservateurs de l’ancienne AFL (les 19 syndicats de cheminots au CN, les Machinistes à Air Canada, les 23 syndicats à Radio-Canada-CBC, etc.).

Pastes Canada a été l’exception à cette règle. Historiquement, le Bureau de poste était un véritable nid de patronage ou les députés distribuaient les emplois comme des bon­ bons. Le développement du Syndicat des postiers du Canada (affaibli pendant longtemps par la division avec l’Union des facteurs) à la fin des années 60 ressemble plus à celui des syndicats québécois qu’au reste du secteur public fédéral. Le fait que les locaux québécois aient joué un rôle majeur dans ce syndicat n’est pas étranger à son caractère plus explosif, mains respectueux de la loi et plus ouvert aux mouvements sociaux.

Mais si ce syndicat a joué un rôle exemplaire souvent lors de ses grèves et de ses batailles avec la direction conservatrice du CTC au cours des années 70 et 80, il est néanmoins reste relativement marginal- au niveau de l’action, entendons nous – par rapport à l’ensemble du mouvement syndical. II n’y a jamais eu de coordination de lutte avec les autres syndicats du secteur public fédéral et son accréditation fédérale l’a isolé des autres syndicats du secteur public à accréditation provinciale. Le fait qu’il ne se soit jamais affilié au NPD – partiellement attribuable au poids de ses composantes et dirigeants québécois – a aussi limité son poids politique. Comme on verra plus tard, sa défense de la valeur et de la nécessite des coalitions sociales et politiques sur des points précis, qui étaient un de ses points les plus progressistes, peut, dans le contexte d’un retrait possible de l’action politique, renforcer les fortes tendances du CTC et de certains affilies à revenir au lobbying et à y limiter le rôle de telles coalitions.

Ainsi, lors de la première grève de l’ensemble des membres de l’Alliance de la fonction publique et des grèves rotatives du SPC en 1991, il n’a jamais été question d’un front commun entre eux ce qui a terriblement affaibli les deux luttes qui se sont soldées par des compromis suffisamment sévères pour nous permettre de parler de défaites partielles mais non catastrophiques.

Ailleurs qu’au Québec, les structures provinciales du CTC, tout comme le CTC lui-même, sont en fait assez faibles. Le maraudage intercentrale et les négociations centralisées du secteur public et de la construction ont donné à la CSN et à la FTQ un poids socio-politique qu’aucune autre fédération provinciale, ni même le CTC ne possèdent Ce sont les grands syndicats qui sont les joueurs directes et tous les services passent par le syndical. Ainsi, en dehors du secteur public fédéral, six syndicats tendent a dominer: les affilies du National Union of Provincial Government Employees (NUPGE), le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP – CUPE), les Métallurgistes unis d’Amérique (Métallos – USWA), les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC- UFCW), le Syndicat des travailleur-euse-s des communications, de l’énergie et du papier (SCEP- CEPW) et les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA- CAW). Le poids relatif de chaque syndicat varie selon la province d’autant plus que le NUPGE est un parapluie sans pouvoir tandis que certains de ses affilies sont très puissants tels OPSEU – SEFPO en Ontario et le BCGEU en Colombie-Britannique. D’ailleurs, les International Woodworkers of America (IWA) jouent un rôle très important en Colombie- britannique mais uniquement la tandis que les TCA et les Métallos étaient jusqu’à tout récemment absents a toute fin pratique a l’ouest du Manitoba.

La seule exception à cette règle de la faiblesse du rôle politique et mobilisateur des structures provinciales a été le rôle ponctuel joue par la BC Fed au début des années 80 lors des mobilisations de Solidarity.

Nulle part ailleurs qu’au Québec n’y a-t-il des négociations centralisées dans le bâtiment ce qui fait que les syndicats de ce secteur sont éparpilles et ne jouent plus de rôle important Les syndicats d’enseignants du primaire et du secondaire ne sont généralement que peu regroupes et ne sont pas affilies a une centrale ouvrière.

Malgré le fait que la quasi majorité des syndique-e-s au Canada anglais soient, en fait, maintenant du secteur public, ce secteur n’a aucunement le poids politique correspondant au sein du mouvement syndical dans son ensemble. Le seul syndicat du secteur public à avoir une présence sérieuse « coast-to-coast » est le SCFP. Jusqu’à l’offensive étatique récente contre le « déficit », le rôle distinct joue par le palier provincial de l’État au Canada anglais compare à l’État croupion québécois a fait en sorte qu’aucun gouvernement provincial n’a voulu prendre le risque de négociations centralisées avec ses employé-e-s direct-e-s et indirect-e-s. L’exemple des affrontements très durs du Front commun québécois au cours des années 70 a plutôt effraye que stimule les directions syndicales du secteur public et para-public au Canada anglais. D’ailleurs en 1972, la direction du CTC s’est offerte comme « médiateur » entre le gouvernement québécois et les centrales en grève illégale (dont près de 100 000 affilié-e-s du CTC).

Cependant, de façon parallèle au Québec, le secteur public a représenté au cours des 20 dernières années la plus grande source d’emploi pour des jeunes, des femmes et des gens des minorités ethniques. Ainsi la radicalisation de ces couches s’est trouvée davantage reflétée dans les syndicats du secteur public que ceux du prive. Les militants et surtout les militantes ont assuré une forte présence des idées féministes, anti-racistes et anti-impérialistes au sein de leur propre syndicat aussi bien qu’au sein des Conseils du Travail et des fédérations provinciales. De même, il existe une certaine gauche (parfois venant du PC ou des groupes ML et trotskystes) dans le secteur public qui est proportionnellement plus important que dans le secteur prive où les directions sont plus fortement ancrées et beaucoup plus répressives à l’égard de tout ce qui échappe à leur contrôle. Seul l’ex-PC avait une certaine présence au sein de quelques syndicats du prive (automobile, électricité, pêcheurs).  II serait d’ailleurs utile que des camarades au Canada anglais écrivent quelque chose sur le rôle de l’Action Caucus animé par le PC et le Syndicat des postiers.

Une partie de cette gauche est intégrée à l’appareil syndical même: par exemple, il y a des anciens trotskistes dans l’appareil d’OPSEU-SEFPO, de la FTO, du SCEP, de Ia Fraternité des cheminots en Ontario sans parler des anciens du PC dans à peu près tout ce qui bouge mais surtout dans l’automobile. Le degré de cette intégration varie mais dans certains cas ces ancien-ne-s sont une source très utile de renseignements même si leur position dans l’appareil les empêche de jouer un rôle révolutionnaire ou même indépendant.

D’autres occupent des pastes élus soit au niveau du syndicat local soit au niveau du conseil du travail ou des structures provinciales. Leur prestige est réel et ils et elles peuvent avoir un impact non négligeable lors de congres ou d’actions unitaires avec d’autres mouvements sociaux. Mais le gros problème pour cette gauche est celui de son intégration à la routine syndicale – les batailles de résolutions lors de congres, la tactique électorale pour des postes syndicaux, etc. – et de son vieillissement dans une situation où l’absence de mobilisations massives et/ ou unitaires ne lui permet pas de développer une pratique syndicale distincte de celui des directions.

Ici il ne faut pas minimiser l’importance des batailles de résolutions lors de congres ou des coalitions, mais il faut aussi reconnaitre les limites de ces actions. La base syndicale est très loin des congres et n’en entend parler d’habitude que par le filtre défigurant des mass-médias. C’est cet éloignement de la masse des syndique-e-s des structures qui explique la capacite des directions de joyeusement passer outre des résolutions radicales adoptées lors de congres. C’est ce qui arrive avec une régularité désolante avec des résolutions en faveur de grèves générales ou autres moyens d’action massifs.

Cette gauche tend donc à se différencier des directions par sa rhétorique plus dure et par ses analyses plus politiques plutôt que par sa capacite de mobilisation. Et la mobilisation tend à être perçue sur un mode « formulaire » à savoir des propositions de congres en faveur de grèves générales à caractère politique plutôt que des propositions concrètes de mécanismes en escalade de mobilisation qui permettraient d’aboutir à une telle grève.

Une telle pratique implique inévitablement un travail avec l’aile des directions en place qui se présente comme étant de gauche, dans une conjoncture donnée. L’exemple de la lutte contre le soi-disant contrat social en Ontario au cours du printemps et de l’été 1993 est frappant à cet égard. D’abord, les syndicats du secteur public n’étaient pas du tout préparés pour une telle lutte et ceci malgré la multiplicité d’avertissements et de rumeurs a l’effet que le gouvernement Rae allait s’attaquer de front au secteur public. Le gouvernement NPD connaissait le mouvement syndical beaucoup mieux que quel qu’autre gouvernement que ce soit. Après tout ii avait plein de ministres et de sous-ministres venant des syndicats du secteur public – ne mentionnons que Frances Lankin d’OPSEU-SEFPO et Jeff Rose du SCFP – sans parler de ses liens historiques et quotidiens avec les gros syndicats du prive et avec la FTO-OFL. Son calcul était simple :

I) les différents syndicats du secteur public et parapublic ne réussiraient jamais à s’entendre sur des perspectives unitaires ;

2) les différentes directions du secteur public voudraient toutes négocier à tout prix et accepteraient le cadre fondamental de la lutte contre le déficit et la nécessité de sauver les meubles au niveau de l’emploi;

3) l’attaque provoquerait de la colère et de la déception chez les directions et chez les militant-e-s cadres intermédiaires mais de la peur pure et simple parmi la grande masse des syndiqué-e-s s dans le contexte de la crise économique;

4) il n’existait aucune force oppositionnelle au sein du secteur public capable de proposer des mécanismes concrets de mobilisation pour surmonter cette peur bleue de la base syndicale et

5) le gouvernement avait offert suffisamment de reformes au secteur privé pour que le mouvement syndical se divise pour et contre le gouvernement et que la solidarité soit ainsi très limitée.

Pourtant, l’attaque a provoqué la première tentative de mettre sur pied un front commun de l’ensemble du secteur public et parapublic, y compris les syndicats d’enseignants­ dont le plus gros est dirigé par une ancienne trotskiste – et d’autres qui ne sont pas affilies au CTC ou à la FTO. Le rôle des directions en brisant ce front commun et en négociant en ordre disperse reste à analyser en détail. La gauche n’avait que de faibles possibilités d’influer directement sur le comportement des directions du SCFP, d’OPSEU­ SEFPO et des gros syndicats d’enseignants, directions qui portent l’essentiel de la responsabilité de la défaite éparpillée sans lutte réelle de la lutte contre le contrat social. Le gouvernement Rae avait bien calculé à court terme.

Là où la gauche a montré sa faiblesse a été dans l’absence de propositions concrètes de mobilisations sur les lieux du travail. La plupart des syndicats ont tenu soit des congres soit des assemblées provinciales dès le début du printemps. Lors de ces rencontres, la gauche a essentiellement rivalisé avec la direction au niveau de la dénonciation du contrat social et du gouvernement et au niveau des appels a la mobilisation jusqu’à la grève générale illégale et politique pour faire tomber le gouvernement et/ ou changer sa politique. Mais aucun plan concret de mobilisation sur les lieux du travail n’a été proposé.

Les directions comptaient mobiliser par voie de communiques et de conférences de presse pour exercer des pressions sur le gouvernement La gauche comptait mobiliser par voie de manifestations et d1organisation de coalitions de soutien au secteur public et parapublic. Mais dans un contexte où le secteur n’a aucune tradition de grève – le droit de grève est nié aux fonctionnaires et au secteur hospitalier en Ontario – et surtout aucune tradition de lutte unitaire, il aurait fallu proposer un plan de mobilisation partant de petits gestes sur les lieux du travail – le port simultané au travail par tou-te-s les delegue-e- s de T-shirts rouges avec des slogans ou d’autres tactiques peu mena tes au début pour les membres – jusqu’à des journées d’études intersectorielles et éventuellement, une fois la solidarité concrète vécue parmi les membres, une grève générale. Ce n’est qu’ainsi, en proposant aux membres une escalade constante et concrète des moyens de pression, qu’il aurait ete possible de surmonter la peur et le sentiment d’isolement et de faiblesse et de forcer les directions a appliquer les résolutions de congres.

Certes, rien ne garantissait qu’un tel plan de mobilisation serait adopte ni, une fois adopté, qu’il aurait réussi, mais toute l’expérience internationale et même l’expérience québécoise, positives et négatives, indiquent que c’est la seule façon de procéder. De plus, le gouvernement de l’Ontario n’a pas l’expérience qu’a le gouvernement du Québec dans ce genre d’affrontement. Ce qui ne marche plus au Québec aurait pu marcher en Ontario ou ailleurs. La longue expérience de lutte oppositionnelle de la gauche syndicale en Ontario – expérience qui manque tragiquement au Québec – mais dans un contexte de faible mobilisation du secteur public et parapublic ne lui a pas préparé à jouer un rôle concret de mobilisation de la base malgré les directions. II faut dire qu’en 1972 les directions syndicales québécoise ont été débordées et dépassées par la volonté de lutte de la base, volonté organisée et canalisée par des réseaux assez informels de « poteaux », des militants et militantes qui n’occupaient souvent que de postes de délégués d’atelier.

Le secteur public et parapublic en Ontario a connu une défaite rampante, une lente désintégration de son unité et une capitulation en ordre disperse de ses directions. Et les hurlements actuels de ces directions contre le NPD ne peuvent pas cacher leur responsabilité.

En fait, cela fait depuis longtemps que nous n’avons pas analyse le caractère et le projet socio-politique de la direction syndicale au Canada anglais. Au Québec, le projet de collaboration avec Québec Inc. est assez clair même si notre contre-projet manque encore beaucoup de développement pour devenir crédible. Par contre, la dernière fois que nous avons discuté de la direction au Canada anglais était au CC précédant le dernier congrès du CTC ou une nouvelle direction a été élue.

La « nouvelle » direction du CTC

Historiquement, les membres de la direction du CTC ne sont pas venu-e-s des grands affilies puissants ou n’étaient pas des joueurs importants dans ces syndicats. La seule exception notoire à cette règle était Dennis McDermott, venu des Travailleurs unis de l’automobile, mais celui-ci a très rapidement perdu sa base dans son syndicat au profit de la di­ rection plus dure et plus nationaliste « canadian » de Bob White.

La décision de White d’évincer Shirley Carr de la présidence du CTC et de se présenter lui-même semblait marquer une rupture avec la tradition de directions faibles et symboliques au CTC. La décision de Jean-Claude Parrot, dirigeant militant du Syndicat des postiers, de se présenter également au CTC a soulevé beaucoup d’enthousiasme parmi les mi­litant-e-s au Canada anglais même si cela a failli provoquer une scission avec la FTQ.

White était généralement per u par les militant-e-s comme un dirigeant plus ferme qui refusait de faire des concessions aux compagnies d’automobile lorsqu’il négociait et qui a fait faire la rupture des syndicats canadiens de l’automobile avec leur syndicat international. Au sein du nouveau syndicat, les TCA, ii a fait alliance avec les militant-e-s du PC en voie de rupture avec leur structure partitaire. De plus, au sein du NPD, White jouait un rôle ouvertement interventionniste – au dernier congrès au leadership il avait publiquement bloqué le soutien du CTC à Dave Barrett, per u par lui et d’autres comme étant trop vulgairement anti-Québec.

Parrot, lui, était carrément perçu comme étant un candidat de gauche politiquement et très militant sur le plan de la lutte syndicale et de la nécessité de constituer des coalitions avec les autres mouvements sociaux. Le candidat de la FTQ était correctement perçu comme étant un droitier et le fait que Parrot soit un francophone, originaire du Québec lui a permis de prétendre pouvoir représenter le mouvement ouvrier québécois au sein du CTC. Néanmoins le CC avait raison de refuser d’appuyer Parrot parce que la question de la concrétisation du droit du Québec à l’autodétermination devait primer sur un choix abstrait entre droite et gauche dans le contexte. De plus, il était inquiétant que Parrot décide de se présenter sans liste alternative et surtout sans programme explicite – contrairement aux traditions récentes du Syndicat des postiers. Le fait que la plupart de nos camarades canadiens-anglais présents au congrès n’ait pas pu ou su résister à la vague d’appui à Parrot est une indication de la faiblesse de nos analyses et de l’absence d’une intériorisation profonde de notre cadre stratégique.

La plupart des delegue-e-s s’attendaient, alors, à voir un CTC beaucoup plus présent politiquement et beaucoup plus militant. Tout le monde, y compris nous-mêmes, croyait que White avait un projet politique quelconque derrière sa décision de prendre un poste jusqu’alors assez symbolique.

La déception est arrivée assez rapidement Au moment de l’élection du nouvel exécutif du CTC, l’Etoile du NPD montait: il avait gagné les gouvernements provinciaux en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan et montait rapidement dans les sondages au niveau de l’intention de vote au fédéral. Le point faible et finalement fatal était, comme toujours, le Québec. Non seulement sa faiblesse organisationnelle et électorale au Québec même mais surtout sa compréhension de la question nationale.

Le premier geste politique important du nouvel exécutif du CTC a été d’appuyer, de concert avec le NPD, les partis bourgeois et le patronat, le projet constitutionnel de Charlottetown. Non seulement Bob White a-t-il été un des grands porte-parole du ‘oui’ au Canada anglais mais J-C. Parrot a été l1unique syndicaliste québécois à faire campagne pour le ‘oui’ au Québec. Ceci n’a fait que confirmer l’isolement et la marginalité de Parrot tout autant que le reste de la direction du CTC au sein du mouvement ouvrier québécois. Mais le soutien inconditionnel de la social-démocratie et des directions syndicales canadiennes-anglaises a la vision bourgeoise traditionnelle de l’État canadien a non seulement confirme leur non pertinence au Québec mais a profondément contribue à la montée du Reform Party au sein de la classe ouvrière tout au moins dans les anciens châteaux forts du NPD en Colombie-Britannique.

Le prochain geste de la nouvelle direction du CTC était l’organisation de la manifestation monstre à Ottawa, le 15 mai dernier. Le bilan détaillé de cette manifestation reste à faire mais il est clair qu’il s’agissait fondamentalement d’une opération strictement électoraliste. Elle est arrivée trop tard pour jouer un rôle sur l’assurance-chômage et la masse des membres du CTC croyaient que la lutte contre l’ALENA était déjà perdue. L’unique perspective offerte par les discours après la manif était celle de travailler pour le NPD et ceci malgré le fait que Rae avait déjà propose son contrat social et que les gouvernements de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan attaquaient déjà le secteur public et le mouvement écologiste. Le fait que le CTC ait exclu la CSN et que la FTQ n’a pu ou n’a SU mobiliser qu’a peu près 5 000 participant-e-s a renforcé le caractère purement électoraliste pro-NPD de la manif.

D’ailleurs la rumeur veut que la manif ait couté 3$ millions au CTC seul sans compter l’argent des grands syndicats affiliés ce qui en fait le « one-shot » le plus cher de l’histoire du mouvement ouvrier dans l’État canadien. Par comparaison, les manifs de 40 000 en février et de 100 000 le 29 mai n’ont couté qu’a peu près 60 000$ aux centrales québécoises.

La « nouvelle » direction du CTC a été incapable de rompre avec les traditions sociales-démocrates de ces prédécesseurs. L’effondrement du NPD fédéral et le caractère violemment anti-secteur public des gouvernements provinciaux NPD qui risquent aussi de s’effondrer lors des prochaines élections provinciales au mains en Ontario et en Colombie-Britannique fondent une crise stratégique pour la direction du mouvement syndical au Canada anglais.

Mais il faut le dire honnêtement et ouvertement que nous aussi, nous avons taus sous-es­ time et gravement le poids de la tradition social-démocrate au sein du mouvement ouvrier canadien-anglais. Nous aussi, nous sommes mal armes pour pouvoir répondre ne serait­ ce que sur le plan propagandiste à la crise patente de perspectives politiques au Canada anglais.

La social-démocratie et la question nationale au Canada anglais

Bien que les organisations de la IV dans l’État canadien aient toujours compris le caractère ouvrier bourgeois du NPD et de son prédécesseur le CCF et que nous ayons toujours appelé à un vote de classe en sa faveur lors des élections au Canada anglais, notre analyse du caractère précis du réformisme canadien-anglais et de la profondeur de sa pénétration au sein des organisations ouvrières, syndicales et politiques, est restée relativement floue. Jusqu’au milieu des années 60, toutes les organisations trotskistes tendaient même à partager la perception majoritaire canadienne-anglaise de l’État canadien. Ceux et celles qui ont fondé le GMR ont développé d’abord l’analyse du point de vue québécois et quelques années plus tard le RMG a commencé une analyse originale du point de vue canadien-anglais. La fusion qui a créé la LOR/RWL a cependant ralenti et éventuellement bloque cette compréhension grandissante du caractère spécifique du réformisme ouvrier au Canada anglais surtout par rapport à l’État canadien. Et bien que GS/SC se soit appuyée sur les acquis du GMR-RMG au niveau de notre compréhension du cadre stratégique dans l’État canadien, ce cadre n’a été que peu concrétise au Canada-anglais.

Le nationalisme « canadian » traditionnel

L’ensemble des forces politiques-bourgeoises et de l’intelligentsia canadiennes-anglaises s’entendent sur une conception de l’État canadien qui doit nécessairement comprendre le Québec pour exister. La forme fédérale de cet État était une concession nécessaire non seulement aux francophones du Bas-Canada mais aussi aux tendances « régionalistes » surtout en Nouvelle-Ecosse au dernier siècle et à Terre-Neuve lors de son intégration au Canada en 1948. Ce sont de telles forces « régionalistes » essentiellement réactionnaires qui empêchent la création d’un fort État central

Cette perception reste au centre de toutes les analyses canadiennes-anglaises de l’État canadien depuis Harold Innes. Ainsi, la question nationale québécoise n’existe pas et le nationalisme québécois n’est qu’un autre régionalisme semblable a ceux de l’Ouest ou de Terre-Neuve. Dans beaucoup d’analyses universitaires et/ ou journalistiques et, ce qui est encore pire, dans la conscience populaire dans l’Ouest et dans les Maritimes, il existe un monstre qui s’appelle « Central Canada » compose du Québec et de l’Ontario. Le revers de la médaille de cette analyse dominante au Canada anglais implique que celui-ci n’existe pas non plus. La seule chose qui existe est le Canada défini comme devant nécessairement comprendre le Québec. Comme on a déjà dit auparavant, la nation canadienne-an­ glaise est l’unique nation dominante au monde sans définition positive d’elle-même, c’est­à-dire, qui ne peut concevoir sa propre existence qu’en fonction du maintien au sein de l’État commun de la nation dominée. Ainsi, s’il existe un chauvinisme et même un racisme anti-québécois et anti-francophones au Canada anglais, ii n’existe pas de nationalisme canadien-anglais proprement dit, seulement un nationalisme « Canadian ».

A cet aspect fondamental de L’idéologie bourgeoise proprement canadienne, il faut en ajouter deux autres:

  • La mystification que l’État démocratique bourgeois au Canada est d’origine évolutionnaire, rationnelle et pacifique. Ce mythe fondateur de l’État canadien, qui est fier de ne pas avoir fait de révolution comparable à celles de la France, des Etats-Unis ou même l’Angleterre, nie le fait que cet État est fondé sur la conquête et !’oppression des peuples aborigènes, d’abord, et des nations francophones, acadienne et québécoise, ensuite. Le suppose pacifisme fondamental de l’État canadien fait fi de la suppression armée des Rebellions de 1837-38 au Bas et au Haut-Canada et des Métis de 1870 et 1885, sans parler de l’emploi de l’armée et de la police dans le cadre de la Loi des mesures de guerre a plusieurs reprises au cours de ce siècle.
  • Et la perception de l’État fédéral comme défenseur des droits et libertés contre des gouvernements provinciaux réactionnaires, plus particulièrement les gouvernements ultramontains et duplessismes au Québec mais aussi les gouvernements du Crédit social en Alberta et en Colombie-Britannique. Ce dernier élément est particulièrement fort chez les Libéraux a la Trudeau et chez les sociaux-démocrates de l’Ouest.

La définition classique de la social-démocratie veut que les forces bureaucratiques réformistes de chaque nation capitulent à leur propre bourgeoisie nationale, ce qui les distingue des staliniens ou stalinises qui, eux, défendent les intérêts d’une bureaucratie d’État ouvrier dégénéré OU déformé. II est donc tout à fait logique que la social-démocratie canadienne-anglaise ait fait sienne et profondément intériorisé l’idéologie propre de la bourgeoisie canadienne. Au Québec, comme dans la quasi-totalité des nations dominées, cette capitulation de la direction réformiste du mouvement ouvrier prend la forme d’une subordination aux intérêts de Ia bourgeoisie qui se veut nationale.

Certes, et le NPD et le CTC, sans parler de ces principaux affilies, ont adopté en congres, et ceci a plusieurs reprises, des résolutions plus ou moins claires sur le droit du Québec à l’autodétermination. Ces résolutions sont vidées presque aussitôt de tout contenu réel par des gestes anti-québécois concrets. Nous l’avons dit a plusieurs reprises depuis un certain temps déjà mais nous ne l’avons pas réellement saisi ni concrétisé: la destruction de la prison des peuples qu’est l’État canadien est non seulement dans l’intérêt de la classe ouvrière québécoise mais elle est un préalable a toute libération de Ia classe ouvrière canadienne-anglaise.

Les répercussions de cette capitulation a la bourgeoisie canadienne et à la forme libérale de son idéologie vont assez loin au Canada anglais. D’abord cela a empêché la social-démocratie – et secondairement les staliniens du PC qui ont adopté des perspectives assez semblables concernant l’État canadien – de s’implanter au Québec ce qui lui a enlevé toute crédibilité comme futur parti gouvernemental au niveau de l’État fédéral.

Deuxièmement, cela lui a enlevé toute capacite de lutte unitaire au niveau central. Finalement, cela a fait des mouvements provinciaux NPD les pires adversaires de toutes les revendications démocratiques, bourgeoises ou ouvrières du Québec. En 1982, c’était Romanow, l’actuel premier ministre NPD de la Saskatchewan, alors ministre des affaires intergouvernementales, qui a poignarde les négociateurs péquistes dans le dos malgré le « beau risque » de Rene Levesque. En 92, les négociateurs libéraux du Québec, lors de Charlottetown, ont identifié comme étant leurs pires adversaires les néo-démocrates­ tes, Moe Sihota de la Colombie-Britannique et Jeff Rose de l’Ontario (ancien président fédéral du SCFP par ailleurs).

Une exception honorable : La tentative de NAC (Judy Rebick) de définir le Canada anglais

II faut dire qu’il y a eu une exception honorable a cette capitulation éhontée des forces progressistes canadien-anglais face à la perspective bourgeoise sur la question nationale et la constitution. Lorsque nous avons adopte en CC, de fa on unanime, la position de ‘non’ dans le referendum pan-canadien sur les accords de Charlottetown, nous craignions de nous trouver totalement isoles parmi les forces progressistes au Canada anglais. Nous craignions nous faire identifier au Reform Party.

Mais non seulement est-ce que le NAC, sous la direction de notre ancienne membre, Judy Rebick, ait adopte une position principielle contre l’entente pourrie, elles avaient commencé à développer des positions innovatrices quanta l’autodéfinition du Canada anglais. Leur position a été ridiculisée par toutes les forces bourgeoises (surtout dans les mass­ médias) comme étant celle d’un fédéralisme « asymétrique » et n’a jamais re la moindre écoute de la part des sociaux-démocrates ou des directions syndicales canadiennes-anglai­ ses ou québécoises. Grosso modo, on peut la résumer ainsi : La nation québécoise a le droit à l’autodétermination et c’est à elle, et à elle seule, à définir les rapports qu’elle veut entretenir avec l’État canadien. Par contre, le Canada anglais peut et doit déterminer lui­ même le genre de constitution qu’il veut y compris une constitution plus centralisée.

Il est tout simplement faux qu’il faille accorder à toutes les provinces les mêmes pouvoirs que le Québec voudrait si celui-ci de rester à l’intérieur d’un État commun.

La position parait simple mais, en réalité, elle rompt totalement avec l’idéologie traditionnelle de la bourgeoisie canadienne, y compris avec sa variante sociale-démocrate, car elle ne définit plus l’État canadien comme devant nécessairement comprendre le Québec.

Malheureusement, cette position a été noyée pendant le débat référendaire où les féministes bourgeoises et social-démocrate ont accule le NAC à la défensive en remettant en cause sa «représentativité » et en prétextant la nécessité de défendre les acquis des peuples aborigènes malgré le fait les organisations de femmes aborigènes, tout comme beaucoup de militants-autochtones, s’opposaient à l’accord constitutionnel. Suite à la défaite non seulement au Québec mais au Canada anglais et parmi la minorité des autochtones à voter, personne n’a repris cette position même pas nous. Une autre preuve, s’il en faut, du rôle clé joue par des individus dans l’histoire, dans ce cas-ci le rôle de Rebick mais aussi de la faiblesse de ces individus si leur travail ne s’appuie pas sur une organisation sociale solide et structurée.

Pourtant c’est ce genre de position qui pourrait nous permettre de jouer un rôle dans le débat complexe et de longue haleine que l’effondrement du NPD, au fédéral aujourd’hui et, en toute probabilité, au provincial demain, va provoquer au sein du mouvement ouvrier canadien-anglais.

Pour ce faire, il faut cependant dépasser dialectiquement le cadre de Ia compréhension. principielle et stratégique pour commencer à comprendre les rapports complexes entre les différents joueurs, bureaucratiques et autres, qui vont fixer le cadre du débat.

Historique des rapports syndicat-NPD

Assez paradoxalement, les grands syndicats industriels qui sont perçus aujourd’hui assez correctement comme constituant l’aile droite du mouvement syndical – au Québec autant qu’au Canada anglais – étaient, jusqu’au début des années 70, l’aile gauche politisée tandis que le secteur public, maintenant l’aile gauche, était généralement assez conservateur sur le plan politique.

L’action politique ouvrière dans l’État canadien remonte assez loin; En 1867, la Grande Union des Travailleurs de Montréal a présenté son dirigeant, Médéric Lanctot, contre Sir George Etienne Cartier sur la base d’une plate-forme qui disait que la Confédération était à la fois anti-canadienne-française et anti-ouvrière. Lanctot n’a perdu que par quelques votes dû largement au fait que les partisans de Cartier aient physiquement empêché des électeurs ouvriers de Verdun d’arriver au bureau de scrutin à Pointe St-Charles. Pendant tout le reste du 19eme siècle et le début du 20eme, ii y a eu des tentatives au Québec, en Ontario et en Colombie-Britannique de constituer des partis ouvriers. Dans la plupart des cas ces candidatures ouvrières étaient absorbées par le Parti liber.al, parfois, surtout au Québec, par le Parti conservateur. Mais tout ceci ne constitue que de la préhistoire.

L’histoire moderne de l’action politique ouvrière de masse commence avec la fondation du Coopérative Commonwealth Fédération (CCF) en 1933 – la distinction ‘de masse’ est décisive étant donne la fondation, non sans importance, du Parti communiste en 1923.

Le CCF était le produit de la rencontre du populisme agraire de gauche des Prairies, de l’intelligentsia réformiste de gauche, souvent chrétienne (protestante dans ce cas-ci), et des militant-e-s ouvrier-ère-s venu-e-s de divers « partis ouvriers » provinciaux (labour parties) et de divers syndicats.

Mais ce n’est qu’a partir de la pénétration au Canada des grands syndicats industriels du CIO que le CCF ait acquis une base ouvrière affiliée de masse. Ce sont les Métallos, les TUA, les syndicats de la salaison (Packinghouse Workers, une des composantes des TUAC), du papier (une des composantes du SCEP) et du bois (IWA, maintenant avant tout en Colombie-Britannique mais présent alors au Québec et en Ontario) qui constituaient a la fois l’aile gauche du mouvement syndical et un terrain de lutte entre les sociaux-démocrates et le PC. Les militant-e-s qui ont organisé ces grands syndicats étaient presque toujours des militants-e-s politiques. L’équipe initiale lors de la syndicalisation de General Motors a Oshawa était composée d’un militant du PC, d’un social-démocrate et d’un trotskiste qui faisait alors de l’entrisme au sein du CCF. La lutte entre les courants politiques au sein du mouvement ouvrier au Canada anglais était particulièrement âpre et la social-démocratie canadienne est devenue singulièrement anticommuniste.

Après la deuxième guerre mondiale, les sociaux-démocrates sont devenus hégémoniques au sein de l’appareil de ces grands syndicats et, dans bien des cas, en ont exclu non seulement les militants staliniens mais aussi les trotskistes. Le PC a réussi à maintenir sa présence au sein des TUA et du syndicat de la salaison où il a joué pendant des décennies le rôle d’opposition assez loyale s’appuyant davantage sur son nationalisme « canadian » anti-américain que sur un plus grand militantisme tandis que les trotskistes qui avaient eu une présence réelle dans l’automobile et l’électricité en Ontario et dans le bois en Colombie-Britannique et au Québec se sont effondres au début des années 50.

Cette victoire définitive des sociaux-démocrates voulait dire cependant que l’action politique était désormais strictement limitée à l’action électorale. Le militantisme qui caractérisait la base ouvrière du CCF pendant les années 30 et 40 devait être canalisé entièrement vers la négociation, convention collective par convention collective, d’une part, et vers l’élection de députés CCF et NPD.

L’affiliation social-démocrate électoraliste et anticommuniste est donc un des éléments constitutifs même de la bureaucratie syndicale du secteur prive au Canada anglais. Suite à la fusion des syndicats AFL et CIO au Canada qui fondent le CTC en 1957, celui-ci de­ vient le moteur le plus essentiel a la transformation du CCF en NPD en 1961.

Par contre, un des éléments fondateurs de la syndicalisation du secteur public était la lutte contre le patronage politique au niveau de l’emploi et de la promotion. Cette lutte contre l’ingérence politique fonde donc un certain « apolitisme » de principe qui constitue un obstacle à l’action politique tout au moins dans la forme de l’affiliation au NPD. Au début du NPD au cours des années 60, plusieurs syndicats du secteur public ont dénoncé la politisation du mouvement syndical et certains ont se sont même désaffiliés du CTC sur cette base. Par contre comme on l’a déjà vu, les militant-e-s du secteur public tendaient à avoir une plus grande implication dans les mouvements sociaux ce qui les a mis devant la nécessité de composer avec le NPD. Ce n’est donc qu’assez récemment que le SCFP joue un rôle relativement important par rapport au NPD mais sans la loyauté qui caractérise les syndicats industriels du privé.

II faut dire que cette situation tendait à se refléter de façon déformée au Québec. Au début des années 60, ce sont les syndicats industriels de la FTQ qui sont partisans de l’action politique. La scission autour de la question nationale au sein du NPD au Québec, qui devait produire le Parti socialiste du Québec, était dirigé, pour l’essentiel, par des permanents des Métallos (Gerin-Lajoie, Émile Boudreau, Theo Gagné), de l’Energie (Fernand Daoust) et du Bois (Jean-Marie Bedard, un ancien trotskiste). Ces permanents constituent en 1965 le Caucus national (pour l’indépendance et pour l’action politique autonome) qui présente Daoust contre Laberge à la présidence de la FTQ et ne perd que par une vingtaine de voies. La direction de la CSN, à l’époque, était totalement identifié au Parti libéral, fédéral et provincial. En fait, la percée de la CSN dans le secteur public commence avec le don par Rene Levesque à Jean Marchand du nouveau Syndicat des fonctionnaires en échange de la rupture par la CSN du front commun inter-centrale contre le nouveau Code du travail. Le mécanisme utilisé pour verser les fonctionnaires à la CSN était la disposition dans la loi permettant la syndicalisation des fonctionnaires qui interdisait au nouveau syndicat toute affiliation politique et toute affiliation à une centrale qui, elle, serait affiliée à un parti politique. À l’époque la FTQ était affiliée au NPD fédéral même si la direction Laberge, tout comme le NPD fédéral d’ ailleurs, appuyait alors le Parti libéral provincial.

Mais à la différence du Canada anglais, les appareils syndicaux au Québec, y compris Ia gauche de la FTQ et la petite aile de la CSN autour de Michel Chartrand, Johnny Piche et Hildege Dupuis, n’avaient aucune loyauté profonde envers cette social-démocratie qui rejetait la spécificité du Québec.

L’appareil propre du NPD

Comme on peut voir la social-démocratie a une très longue histoire au Canada anglais et plonge ses racines profondément dans l’appareil des grands syndicats du secteur prive. II existe une symbiose très vive entre l’appareil syndical et l’appareil du NPD avec un va-et­ vient presque constant de personnel entre les deux. Lors de campagnes électorales une grande partie de l’appareil syndical et même des militant-e-s élu-e-s sont libéré-e-s pour travailler à temps plein pour le parti en plus du financement venant des affilies syndicaux, du CTC directement et des fédérations provinciales.

Comme toute organisation avec une certaine histoire, cependant, le NPD a développé son propre appareil relativement autonome par rapport à l’appareil syndical. Puisqu’il n’a été au pouvoir que pendant de courtes périodes, sauf en Saskatchewan, son intégration à l’appareil d’État est relativement faible et sa dépendance à l’égard de l1appareil politique du haut fonctionnariat est considérable sans pour autant qu’il ne bénéficie de racines solides dans ce haut fonctionnariat comme c’est le cas pour la social-démocratie européenne et britannique. Son appareil et sa pensée politique propres tendent donc à être tributaires de ses quelques élus de longue date -de moins en moins nombreux – et d’un certain nombre de dynasties. La famille Lewis en est le meilleur exemple. Le père, David, était secrétaire fédéral du CCF et du NPD pendant 25 ans avant de devenir député à Ottawa et leader du Parti fédéral. Un premier fils, Stephen, était député ontarien et leader du parti provincial avant de devenir haut fonctionnaire canadien à l’ONU et maintenant éminence grise par excellence du NPD.

Un autre fils, Michael, est un des fondes de pouvoir du NPD Ontario et au moins une fille, Janet, joue aussi un rôle important au sein du parti. Comme parti réformiste, le NPD exerce une force d’attraction considérable sur l’intelligentsia et la petite bourgeoise radicalisées qui fournissent le gros de son personnel, élu ou non.

Cet appareil propre du NPD subit deux influences majeures : celle du Parti travailliste de la Grande Bretagne et celle du Parti démocrate aux Etats-Unis. Sa direction a toujours flotte entre l’émulation du Parti travailliste avec sa puissante base syndicale et la volonté de constituer une coalition interclassiste, comme le Parti démocrate américain se veut, qui bénéficierait du soutien de l’appareil syndical sans pourtant lui être redevable. Le nom même du parti reflète cette tension et tentation permanentes.

Les gouvernements provinciaux

Dans le contexte actuel, il n’est donc pas étonnant que les gouvernements provinciaux soient tentés de s’autonomiser par rapport au mouvement syndical et de se présenter comme étant les meilleurs gestionnaires modernes de l’État En ce faisant, ils ne font que suivre l’exemple de leurs grands frères européens qui eux aussi veulent « dépasser » leur base ouvrière traditionnelle.

Mais le NPD ne bénéficie pas en dehors de la Colombie-Britannique du fait d’être l’unique parti de l’alternance gouvernementale et même en CB cette situation est menacée par une remontée potentielle du Parti libéral. Ailleurs dans les provinces anglophones de l’État canadien et au niveau fédéral, le jeu politique se fait à au moins 3 sinon à 4 depuis la montée du Reform. Le grand rêve que le NPD remplacerait le Parti libéral comme cela s’est produit en Grande-Bretagne s’est avéré une chimère.

II faut donc que les gouvernements provinciaux divisent le mouvement syndical sans pour autant perdre le soutien de !’ensemble des syndicats. Et ils l’ont fait assez habilement. En Ontario, le gouvernement Rae a fait une série de concessions aux syndicats du secteur prive : les dispositions anti-scabs, une procédure d’accréditation syndicale qui facilite l’accréditation multi patronale, des améliorations à la sante-sécurité au travail et à l’équité salariale, le sauvetage d’Algoma. Au niveau du secteur public, il s’apprête à accorder le droit de grève aux fonctionnaires, ce qui ne représente aucun danger immédiat étant donne la loi 48 sur le contrat social mais qu’il espère va calmer un peu l’OPSEU-SEFPO.

En Colombie-Britannique, le jeu du gouvernement Harcourt est beaucoup plus dangereux. En accréditant la thèse que la seule façon de créer de l’emploi est de détruire l’environnement, Harcourt a renforcé le caractère bêtement réactionnaire de la direction du 1WA et a approfondi le racisme anti-autochtone au sein de la classe ouvrière.

Bizarrement, c’est la social-démocratie en CB qui accepte et propage la thèse réactionnaire venue des USA que la lutte sur l’environnement est une lutte de classe entre les travailleurs allies à l’industrie et les écolos petits-bourgeois qui se foutent du problème de l’emploi. Le soutien inconditionnel du IWA et de la plupart des syndicats du papier per­ met au gouvernement de s’attaquer assez impunément aux syndicats d’enseignants et du secteur de la santé.

Le Jeu des Travailleurs canadiens de l’automobile

Cette division assez fondamentale entre le secteur public et le secteur prive est obscurcie par le jeu de la direction des Travailleurs canadiens de l’automobile. Historiquement, ii s’agit du syndicat le plus démocratique et le plus a gauche du courant CIO. Le PC y a toujours eu une grande présence et son secteur de l’aéronautique qui avait une grande importance auparavant était dominé par des travailleurs très qualifiés d’origine britannique fortement influences par la gauche travailliste.

A partir du passage de Dennis McDermott au CTC et ensuite a l’oubli, la direction White­ Hargrove a habilement manœuvré pour rétablir cette réputation. La façon dont cette di­ rection a intégré dans son appareil l’ex-opposition autour du PC est assez époustouflante. Cette direction a surtout compris que sa base traditionnelle dans l’automobile et dans l’aéronautique va inévitablement fondre et que Ia seule fa on de se sauver dans ce con­ texte est d’entreprendre une expansion rapide dans d’autres secteurs même aux dépens d’autres syndicats affiliés au CTC.

Lors des récentes négociations dans l’automobile, Ia direction Hargrove a carrément abandonné toute velléité de lutte contre la sous-traitance dans le secteur de I ‘automobile ce qui, dans le contexte de l’ALENA, veut dire accepter de se faire lentement trainer devant le bourreau de la compétitivité internationale.

La réponse des autres directions du secteur prive consiste essentiellement a opérer une série de fusions bureaucratiques même si cela éloigne encore davantage les membres de la base de leur syndical Ce sont ces multiples fusions qui ont produit les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) et le Syndicat des travailleurs des communications, de l’énergie et du papier entre autres (SCEP). Seuls les Métallos ont adopté une stratégie assez agressive de syndicalisation tout azimut même dans certains cas de garderies ou d’employ-e-s d’associations étudiantes.

Quant aux TCA, ils ont déjà absorbé le syndicat indépendant de la métallurgie dans l’Ouest, CAIMAW, et sont en pourparlers avec le Syndicat des pécheurs de la Côte-Ouest, historiquement domine par le PC, et avec le syndicat indépendant dans le papier, le CPPW, qui est assez important en Colombie-Britannique et qui a eu des rapports fraternels avec la CSN dans le passe. L’agressivité a cet égard des TCA les a déjà fait accrocher avec les TUAC lors du maraudage du Syndicat des pécheurs de la côte atlantique et avec les Métallos dans la tentative du syndicat des mineurs a Falconbridge de s’affilier aux TCA plutôt qu’aux Métallos. Les TUAC et les Métallos ont déjà déclaré la guerre aux TCA et le SCEP s’apprête a le faire a cause du CPPW. Les TCA se trouvent ainsi presque totalement isoles au niveau des grands joueurs du secteur prive. Dans ce contexte, la direction des TCA, vraisemblablement appuyée en ceci par son ancien dirigeant Bob White, a choisi de s’éloigner du NPD-Ontario et d’appuyer le secteur public dans son accrochage avec le gouvernement Rae.

La révolte du secteur public contre le NPD en Ontario

La révolte du secteur public ontarien n’a pas commencé au dernier congrès de la Fédération des travailleur-euse-s de l’Ontario (FI’O-OFL). A l’avant-dernier congres de l’OFL, la délégation du SEFPO-OPSEU a boycotte le discours de Bob Rae.

Les représentants du secteur public ont quitté depuis assez longtemps les différentes commissions de consultation établies par le NPD. Au congrès d’avril 93 du SEFPO-OPSEU, il y a eu une résolution pour couper tout lien entre le syndicat et le NPD. Cette résolution a été battue largement à cause d’une intervention d’un de nos camarades. La Coalition des services publics – totalement dominée par les grands syndicats du secteur public – a adopte un projet alternatif pour redresser la situation financière de la province comprenant non seulement des mesures de reformes de l’administration publique mais aussi une reforme fis­ cale visant les grandes sociétés et les riches et l’élimination de la sous-traitance des services publics qui s’avère être extraordinairement couteuse. En aout, Buzz Hargrove des TCA a, lui aussi, démissionnée des organismes de consultation du NPD avec l’approbation du Conseil du syndical.

Néanmoins tout ceci ne s’est pas traduit par une campagne politique sérieuse sur ces thèmes ni auprès des membres des syndicats ni auprès du public. En même temps que les TCA ont réduit leur soutien financier au NPD-Ontario, ils ont augmenté leurs contributions à la campagne électorale du NPD fédéral. Aucun syndicat important, et encore moins le CTC, n’est intervenu pour appuyer la révolte effroyablement isolée de Stephen Langdon contre les politiques de Rae et Cie ni pour essayer d’influer sur la politique d’autruche de l’ineffable Audrey MacLaughlin. Tous les œufs du mouvement ouvrier canadien-anglais reposaient encore dans le panier troue du NPD fédéral.

Mais après la défaite cuisante du NPD dans les élections du 25 octobre, la révolte a explosé. Début novembre, au congrès pan-canadien du SCFP-congres dit « national » dans la partance du syndicat, au moins au Canada anglais – la délégation de l’Ontario a exigé la coupure de tous les liens entre le syndicat et le NPD. Finalement, on a abouti à un compromis où l’aile ontarienne coupait ses liens tandis que les autres provinces et les syndicats locaux restaient libres de déterminer leur rapport avec le NPD. La délégation québécoise s’est abstenue sur ces votes disant que cela ne les concernait pas et que ça serait antidémocratique pour eux de prendre position. Soit dit en passant que le SCFP est dirigé par Judy Darcy qui pendant les années 70 et 80 était la grande dirigeante de l’intervention syndicale au Canada anglais du Parti communiste ouvrier marxiste-léniniste (PCO-WCP).

Mais la grosse bataille, comme il se devait, s’est passée en Ontario lors du congrès à la mi­ novembre de l’OFL. Après tout c’est en Ontario que le NPD s’est le plus mérité historiquement son vocable de « partiouvrier »(labour party).

Il est frappant que la contestation de tout appui au NPD-Ontario n’est venue qu’après la débandade de la Coalition des services publics au cours de l’été et n’a pris du vent dans les voiles qu’après la catastrophe du 25 octobre. Certes, Syd Ryan, président du SCFP­ Ontario, avait rue dans les brancards avant cela mais l’individu est réputé pour son inconséquence et pour répéter la dernière conversation qu’il a eue. En fait, il semblerait que cette contestation a commencé à prendre forme lors d’une réunion du Conseil des TCA en aout dernier où l’on a proposé de contester la mise en nomination des 66 députés NPD qui ont pour voté le « contrat social ».

Avant le congrès de l’OFL, la direction, présidée par un ancien apparatchik des TCA, Gord Wilson, a préparé une résolution sur l’action politique et le NPD qui était comme de raison mi-chair mi-poisson.

Dans les quelques jours qui ont précédé le congrès de mi-novembre, les adjoints des présidents de 6 grands syndicats (SEFPO-OPSEU, SCFP, TCA, Métallos, TUAC et SCEP) ont tenté de négocier un compromis sur la question qui maintiendrait la façade d’unité du mouvement syndical ontarien. Peine perdue. Les caucus des délégué-e-s du secteur public (y compris ceux et celles de l’Alliance de la fonction publique – les fonctionnaires fédéraux) ont rejeté le compromis et insisté pour renforcer la résolution initiale. A l’initiative de la gauche du SEFPO-OPSEU, deux résolutions supplémentaires ont été mises de l’avant: la première proposant le retrait de tout appui au NPD-Ontario jusqu’à ce que la loi 48, l’infâme contrat social, soit retirée a été adoptée tandis la deuxième proposant que, si les 66 députés traitres reçoivent l’investiture du NPD lors des prochaines élections, que l’OFL finance une campagne de candidats ouvriers contre eux a été battue.

Les délégués des Métallos, des TUAC et du SCEP (accompagnes par ceux du petit syndicat du secteur public, l’Union internationale des employé-es de service, en voie de disparition bien méritée) ont quitté le congrès avant même le début du débat sur le NPD. Sachant qu’ils allaient perdre le débat, ils préféraient garder les mains libres en s’absentant du débat. On reviendra plus tard sur cette bizarre notion dans le mouvement ouvrier- autant au Québec qu’au Canada anglais – qu’il faut être « solidaire » même si on est contre une décision si on participe à un débat Cette caricature du centralisme démocratique joue un rôle important dans l’absence de débats réels auprès de la base du mouvement ouvrier.

II est clair que cette révolte contre le NPD-Ontario est le reflet d’un dégoût et d’une déception profonde parmi les militants et les militantes par rapport a la politique néoconservatrice adoptée par le gouvernement Rae. II est aussi clair que cette révolte est encore au stade assez primitif et ne comporte pas une remise en cause du programme réformiste fondamental du NPD. Même la proposition battue de présenter des candidats ouvriers contre les traitres du NPD ne parlait que de candidats sur la base du programme de l’OFL, programme qui ne comprend même pas les propositions progressistes de la Coalition des services publics. Le problème est perçu et présente même par la gauche comme tant celui du non-respect par le gouvernement NPD de son programme et de son alliance naturelle avec le mouvement syndical.

Même ici, le fait le caucus syndical du NPD – compose des représentants des syndicats affilies et représentés au Conseil provincial du parti – ait pu décider par une majorité massive, et ceci au lendemain du congrès de l’OFL, de ne pas remettre en cause le leadership de Rae et encore moins leur soutien inconditionnel au mouvement est indicatif de l’absence d’un débat en profondeur au sein des syndicats.

Et qu’en est-il de la grande masse des syndiqué-e-s qui eux n’entendent parler de ces débats dans la plupart des cas, que par le miroir défigurant des journaux et de la télévision? D’abord, l‘affiliation au NPD des syndicats locaux a toujours été un phénomène minoritaire et la capacité des grands syndicats affilies – surtout venant du secteur privé, faut-il le rappeler – de verser des cotisations au NPD dépend plus de la formule Rand que d’une volonté clairement exprimée de la majorité des membres. Le programme de la Coalition des services publics n’a jamais été sérieusement débattu et encore moins assimilé par les militants et militantes sans parler de la base. Il a servi surtout à fonder une campagne de presse plus crédible.

Et on ne peut pas faire assimiler un programme alternatif de résolution même partielle de la crise capitaliste en quelques mois. Le 25 octobre a indiqué qu’en Ontario la déception cruelle de la classe ouvrière à l’égard du gouvernement provincial de « son parti » a trouve son expression dans un transfert massif de votes vers le Parti libéral. « Son parti » n’était plus perçu comme alternatif aux Conservateurs honnis qui valait la peine.

Retrait de l’action politique ou virage à gauche ?

Dans ce contexte, ce qui est à craindre le plus est un retrait pur et simple ou déguisé de l’action politique par la direction majoritaire du mouvement syndical au Canada anglais. Les déclarations de Bob White au lendemain des élections fédérales à l‘effet que le CTC puisse vivre et travailler avec le Parti libéral sont assez graves. Mais cette direction majoritaire est obligée de composer avec des directions de grands syndicats qui ont des politiques assez opposées et contradictoires. Ainsi White dans son discours au congrès de l’OFL a passé le plus clair de son temps à dénoncer le gouvernement Rae tout en terminant avec une expression de loyauté essentielle a l’égard du NPD.

Rompre avec le NPD a la gauche signifierait pour cette direction un grand saut dans l’in­ connu. Et Dieu sait qu’elle a assez de misère avec ce qu’elle connait déjà. La logique donc de sa position voudrait un retrait en pratique de l’action politique en faveur du lobbying tout en laissant aux syndicats du privé la possibilité de maintenir leur affiliation au NPD. Mais ce retrait va devoir être couvert face à la gauche par des appels « au développement de coalitions larges » , 11à la mobilisation à la base » et « à la constitution d’un fort mouvement social communautaire regroupant les utilisateur-trice-s et les fournisseur-e-s de services ».

Il faut dire que peu de syndicats ont suivi l’exemple du local 1 du SCFP (Toronto-Hydro) qui a suspendu au début de l’été ses cotisations au NPD et les a versées a l’Ontario Coalition against Poverty (OCAP) et que le congrès de l’OFL n’a rien décidé de sérieux quanta l’utilisation des fonds qui ne seront plus verses au NPD.

Finalement, le mouvement syndical a historiquement porté des gros sabots dans ses rapports avec le mouvement populaire exigeant un contrôle bureaucratique sans faille des Coalitions auxquelles il a participé. Ceci est autant vrai au Canada anglais qu’au Québec.

Les seules exceptions à ce dirigisme absolu se trouvent dans ses rapports avec le NPD et, au Québec, avec les nationalistes bourgeois.

Michel Mill

le 16 décembre 1993

 

Articles récents de la revue

Notes de lecture (Hiver 2024)

Robert Leroux, Les deux universités, Paris, Éd. du Cerf, 2022, Des essais de professeurs d’université annonçant gravement la mort de l’université sont publiés depuis au moins...