Demain s’ouvre le Forum mondial de l’éducation en Palestine occupée. Des activités ont lieu dans plusieurs villes dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, parmi les Palestiniens vivant dans l’État d’Israël et même avec les réfugiés du Liban. C’est une initiative sans précédent qu’il faudra regarder de près pour en évaluer la portée et l’impact. Entre-temps, la situation en Palestine aujourd’hui est lourde de tensions.
Arrogance et brutalité
Partout, on peut sentir la colère populaire contre la pauvreté, l’humiliation, ainsi que l’incroyable arrogance de l’armée d’occupation israélienne et des colons ultra militarisés qui quadrillent les territoires occupés. Durant les derniers jours, des colons ont multiplié leurs agressions contre des paysans palestiniens qui s’apprêtent à faire la révolte des olives, qui reste une des très rares occupations lucratives. Des centaines d’arbres ont été détruits, les colons bousculant, frappant, détruisant des maisons et des véhicules à gauche et à droite. Les militaires israéliens sont là à regarder cela en ricanant. Entre-temps, les prisons israéliennes débordent de détenus (sans procès ni accusation) palestiniens. Chaque jour qui passe apporte son lot de brutalités. Devant cela, toutes les illusions sur le processus dit de «paix» se sont évanouies en fumée, même parmi les défenseurs les plus acharnés d’un accommodement avec Israël.
Attente et angoisse
Les Palestiniens sont déprimés ces jours-ci, d’une part devant la brutalité d’une occupation qui opère dans une totale impunité au niveau international, d’autre part devant les insuffisances de leur direction historique incarnée par le mouvement Fatah. Ce mouvement qui domine l’espace politique palestinien depuis longtemps est aujourd’hui confronté au fait qu’il «gère l’occupation». Les Israéliens et leurs supporteurs états-uniens et canadiens ont confiné la direction palestinienne, dont le Premier Ministre Mahmoud Abbas dans une mission impossible, qui est de s’occuper des écoles et des hôpitaux, sans avoir aucun contrôle sur les ressources, l’économie, les frontières, etc. L’aide internationale «généreusement» offerte aux Palestiniens sert à éviter la famine, mais ne fait rien pour enrayer la pauvreté et le chômage qui sont le lot de la majorité de la population. Également, le Premier Ministre Abbas s’est vu confier l’autre dossier peu reluisant de policer sa propre population et de l’empêcher de résister. Sous le contrôle d’un général états-unien (Keith Dayton), la police palestinienne commet des abus de droits et détient des gens sans accusation ni procès, comme cela est la «norme» du côté israélien. Une petite élite palestinienne s’enrichit grâce à cette «aide» qui sert davantage à sécuriser le statu quo qu’à donner aux Palestiniens de réels moyens pour se développer.
Une crise sourde du côté israélien
Maigre consolation pour les Palestiniens, l’État et la société israélienne sont également dans une crise larvée. Certes, l’économie israélienne ne peut être comparée avec les conditions de «quart monde» qui sévissent en Palestine. Mais l’impact de la crise financière et des déboires des États-Unis se fait rudement sentir, tant est profonde la dépendance d’Israël envers les États-Unis. Il y a aussi une crise morale et politique, au moment où les factions politiques glissent de plus en plus vers l’extrême droite et les ultrareligieux avec un gouvernement dirigé par un aventurier que la plupart qualifient de très médiocre, le dénommé Benjamin Netanyahu. Plusieurs jeunes israéliens, branchés sur leur facebook, ne rêvent qu’à partir en Californie ou à Toronto pour échapper à ces «barbus» qui veulent contrôler la vie des gens.
Les États-Unis faibles de leur puissance
On l’a dit auparavant, les États-Unis sont l’éléphant dans le salon. Ils ont appuyé Israël depuis longtemps, surtout à l’époque où il fallait détruire le nationalisme arabe (en Palestine et ailleurs) et bloquer l’URSS. Plus tard dans les années 1990, Bush père et fils ont voulu imposer la «réingénierie» du Moyen-Orient, pour sécuriser leur contrôle sur les ressources énergétiques, imposer aux puissances émergentes (comme la Chine) une présence militaire permanente et réduire l’opposition des peuples. Les Palestiniens, comme les Irakiens et bien d’autre sont été les victimes de ce projet. Mais aujourd’hui les États-Unis ont perdu leur arrogance. Leurs défaites en Irak et en Afghanistan les laissent exposés. Les généraux états-uniens, qui ne sont pas des pacifistes, s’opposent à de nouvelles aventures militaires car ils craignent des échecs encore plus graves contre l’Iran, notamment. Dans le contexte palestinien et israélien actuel, Washington s’avère incapable de trouver un «compromis acceptable», qui imposerait aux Palestiniens de gérer leurs bantoustans, et qui satisferait l’ultra droite israélienne qui rêve de repartir en guerre en profitant d’un éventuel come-back des néoconservateurs états-uniens (possible selon les derniers sondages concernant les élections au Congrès).
Le facteur «P»
Reste un très gros facteur qui a déjoué bien des stratégies et des analyses dans le passé. Le peuple palestinien en effet, est un peuple de résistants. Plusieurs défaites ont marqué son histoire depuis la colonisation des territoires en 1948 et en 1967, mais à chaque fois, de nouvelles générations se sont levées pour porter l’étendard de la lutte. Dans les années 1980 notamment, un grand mouvement populaire, l’Intifada, avait mis à mal l’occupation. Aujourd’hui les conditions sont plus dures, d’autant plus que beaucoup de gens n’ont plus confiance dans la direction palestinienne actuelle. Plusieurs sont tentés par Hamas, un mouvement nationaliste et islamiste qui a l’avantage de bien paraître à côté de l’Autorité palestinienne dont les pratiques sont critiquées, notamment au niveau de la corruption. Pour ceux et celles qui regardent ailleurs, il y a une nouvelle génération de mouvements populaires et de projets de gauche, notamment celui de Mustafa Barghouti qui propose une «troisième voie» entre l’ancienne OLP fatiguée et à bout d’idées et Hamas, dans le sens d’un projet démocratique et inclusif. De tels projets convergent dans diverses initiatives comme celles du Forum social. Pour les Palestiniens de toute allégeance, c’est une discussion pour penser et parler «à cœur ouvert». La thématique de l’éducation, qui touche à tous les aspects de la société tant dans ses dimensions politiques, économiques, sociales, culturelles, ouvre la porte à des réflexions en profondeur : comment mieux s’organiser pour résister au projet colonial ? Comment démocratiser la société palestinienne et laisser plus de place aux jeunes et aux femmes, notamment ? Comment rêver et sortir des visions étroitement capitalistes qui veulent transformer les gens et les nouvelles générations en «machines» à produire et à consommer ?