ÉTATS-UNIS. Pour Washington, le but est d’encercler la Russie et la Chine, ce qui implique de détruire le régime iranien. Pour ce faire, il faut prendre le contrôle de la Syrie (comme on a voulu le faire avec l’Irak), la détacher de l’Iran et de jouer au maximum sur les tensions intercommunautaires. Compte tenu des échecs des États-Unis en Irak et en Afghanistan, cet impératif est important. De plus, la révolte en Égypte et en Tunisie a renversé des alliés régionaux qui constituaient (avec Israël et l’Arabie saoudite) des piliers de l’implantation impérialiste dans la région. Devant ce fait, l’administration américaine avec l’appui de la Turquie et des pétromonarchies tend la main aux islamistes qu’elle voit comme un possible partenaire pour rétablir la stabilité.
FRÈRES MUSULMANS. Les Frères musulmans sont puissants, bien implantés partout dans la région et partisans des politiques néolibérales chères aux occidentaux (libre-échange, prédominance du secteur privé, ouverture aux capitaux étrangers, etc.). Les États-Unis pensent que les Frères pourraient accepter le sacro-saint principe de la sécurité d’Israël, d’autant plus que leur projet n’est pas de libérer les territoires occupés, mais d’imposer leurs visions rétrogrades sur les droits humains (ceux des femmes notamment).
HAMAS. Pour que ce virage des États-Unis vers les Frères soit effectif, il est important d’inclure Hamas. Le mouvement palestinien semble prêt à accepter cette « paix régionale » en autant qu’elle lui permette de prendre le contrôle des micro territoires palestiniens à Gaza et en Cisjordanie. Hamas soutient l’offensive contre le régime syrien et participe même aux combats dans les camps de réfugiés palestiniens de Damas. D’autre part lors de la dernière ronde d’affrontements avec Israël, la direction politique de Hamas a tenté de limiter l’action de la branche armée dont le chef a été assassiné quelques jours avant les bombardements. Mais à la surprise générale, la guerre s’est conclue par une sorte de match nul, les militants de Hamas ayant bien résisté aux assauts et même tiré des missiles de plus grande portée sur Israël.
SYRIE. La guerre en Syrie continue avec son lot de destructions. Jusqu’à date, le régime et l’armée ne se sont pas disloqués, en partie parce que la majorité de la population craint davantage la rébellion que le régime puisqu’elle voit les rebelles comme un projet extrémiste à la fois manipulé par le pouvoir dictatorial de l’Arabie saoudite et inspiré de factions radicales liées à Al-Qaïda ou au Talibans, ce qui ne passe pas dans un pays où les minorités représentent 40 % de la population. Les rebelles (dont 60 000 étrangers) commettent des atrocités contre les civils et les minorités. Certes, le régime d’Assad a perdu toute légitimité lors des grandes manifestations pacifiques de 2011, mais heureusement pour lui, il a pu continuer grâce à la militarisation de la lutte imposée par les factions islamistes. Les réformes que le régime a proposées et qui étaient assez vastes (dont le multipartisme) n’ont cependant pas été mises en œuvre. La gauche syrienne est faible et divisée entre des groupes qui appuient le régime et d’autres qui se sont rangés avec les rebelles, mais qui sont confinés à un rôle de faire-valoir pour l’opinion occidentale, sans influence réelle sur le processus totalement dominé par les islamistes. La Syrie fait un peu penser à la formule de Gramsci : une vieille société qui meurt mais qui n’est pas totalement morte. Une nouvelle société qui naît mais qui tarde à naître. Et dans cette transition lourde et contradictoire, toutes sortes de symptômes morbides apparaissent.
ÉGYPTE. Les islamistes veulent mettre en place un Émirat islamiste, en verrouillant le système (à travers la constitution). Mais la société égyptienne est dans la rue, regroupant la majorité (relativement silencieuse) de la population contre un projet qu’elle voit comme barbare et rétrograde. Entre-temps, le pays s’enfonce dans la crise, sans État capable de gérer les affaires courantes, ce qui donne un nouvel élan à toutes les forces d’opposition d’obédience laïque dans le sens large du terme. Les Frères Musulmans sont non seulement isolés sur le plan politique, mais menacent la paix civile dans le pays. Ils ont été obligés à dévoiler leurs vraies intentions, ce qui alimente la méfiance envers eux dans toute la région. Le pays pourrait sombrer si les Frères s’entêtent à imposer une dictature religieuse à travers le référendum constitutionnel, et si les États-Unis continuent à les courtiser pour stabiliser la région et créer le fameux front Sunnite pour isoler l’Iran Chiite. En tout cas la situation pourrait évoluer d’une façon surprenante pour tous les acteurs impliqués, vu que la grande majorité du pays n’appuie plus les Frères Musulmans.
ISRAEL. Le gouvernement israélien a voulu faire un test à Gaza, mais cela n’a pas trop marché à cause de la résilience de la résistance militaire des Palestiniens. C’est donc une défaite pour Netanyahu qui aux yeux des Israéliens, a permis une situation où des bombes sont tombées (pour la première fois) sur Tel-Aviv et Jérusalem. De nouvelles aventures israéliennes sont improbables à court terme, y compris contre l’Iran qui est bien préparée. Et c’est sans compter la force de Hezbollah. Les généraux américains connaissent cette situation et tentent de dissuader Israël d’attaquer l’Iran parce que leur priorité est de calmer la région avec l’aide des islamistes. Une fois que cela sera fait, on pourrait alors se retourner contre l’Iran, et éventuellement contre la Chine et la Russie.
CANADA. Le gouvernement conservateur a réduit le Canada à l’insignifiance dans la région. Les États-Unis ne prennent même plus la peine d’informer le Canada. Harper est déclassé avec sa posture guerrière envers et contre tous. L’annonce de la coupure de l’aide aux Palestiniens n’est pas prise au sérieux : cette « aide » sert à renforcer le dispositif répressif en place sous le général américain Keith Dayton, et donc le but est de confier à des Palestiniens la sale job de réprimer des Palestiniens. Dans le contexte de la crise en Syrie, il reste à Harper de jouer le jeu de la « crise humanitaire », comme on l’a vu en Libye et ailleurs. Il y a peu de « preneurs » pour le moment.
Ce texte résume une discussion organisée par les NCS en décembre et animée par Fadi Hammoud.
Le texte ne prétend pas représenter le point de vue des NCS sur le sujet.