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Le déplacement des plaques tectoniques au Moyen-Orient

Les jours du régime Bashar Al-Assad sont comptés en Syrie. Malgré la puissance de feu de l’armée syrienne, les rebelles avancent inexorablement et ont atteint le point de non-retour. Il reste encore, peut-être, un petit espace pour une négociation politique qui permettrait au clan Al-Assad de sauver sa peau tout en faisant en sorte que ses alliés (la Russie et l’Iran notamment) ne perdent pas totalement la face, mais cela semble improbable. La coalition qui soutient la rébellion est confiante de sa force et veut en finir une fois pour toutes non seulement avec le dictateur, mais avec l’ensemble du dispositif étatique qui le soutient.

La fin d’un régime

Comme point de départ, il faut comprendre que le régime actuel est honni par une majorité de Syriens. Ces pratiques de prédation et de violence constituent une horrible chape de plomb sur à peu près tout le monde sauf un pré-carré restreint qui bénéficie de privilèges. Le régime a su également intégrer dans le cercle du pouvoir un certain nombre de groupes minorisés, en exacerbant les tensions intercommunautaires, ce qui en fait aux yeux de la majorité sunnite un régime sectaire. Les minorités religieuses comme les alaouites, les chi’ites et les chrétiens et jusqu’à un certain point les populations kurdes et palestiniennes ont été instrumentalisées. Malgré tout cela, le régime ne dispose plus d’une masse critique capable de faire face à la rébellion.

Une rébellion qui ne mobilise pas la population

Pour autant, la majorité de la population ne se voit pas dans la rébellion. Elle craint le changement de régime violent qui est en train de se produire. Elle ne participe pas aux combats sinon que de manière marginale et locale (pour protéger son quartier, son village). Elle est plutôt hostile à la rébellion qui entraîne sur elle d’immenses destructions. La guerre est menée par des contingents militarisés, où la présence de combattants étrangers est importante, et où la rébellion bénéficie d’appuis logistiques et militaires substantiels. Ces appuis proviennent directement des pétromonarchies, mais en réalité, les appareils militaires des États-Unis et de leurs alliés-subalternes de l’OTAN sont également mobilisés.

Qui sont les rebelles ?

Il serait cependant erroné de sous-estimer la rébellion syrienne. Le noyau principal est composé de forces islamistes qui ont été longtemps réprimées, et qui pensent maintenant que l’heure est venue de renverser ce régime honni. Les islamistes cependant ne sont pas homogènes. Les salafistes sont une puissance émergente, très minoritaire sur le plan politique, mais déterminée et militairement apte. Les Frères musulmans ont comme principal atout l’appui des pétromonarchies du Golfe et des États-Unis, ainsi qu’une implantation dans certains secteurs de la population. Entre les deux familles islamistes se produit une lutte sourde, temporairement apaisée par le conflit avec l’adversaire. Par ailleurs, les islamistes ne sont pas seuls sur le terrain. Des courants libéraux et de gauche sont également actifs, mais leur force politique et surtout militaire est très réduite. Longtemps marginalisés, plusieurs de ces courants ont été cooptés par le régime et n’ont pas beaucoup de crédibilité d’autant plus que les personnalités qui les animent vivent à l’étranger depuis des années. L’atout de ces courants est de permettre à la rébellion de bien paraître dans les officines étrangères et dans les conférences internationales. Tout cela constitue une coalition bric-à-brac qui ne pourrait sans doute pas résister devant un régime déterminé et capable de mobiliser, mais cela n’est plus le cas avec le régime syrien.

Une guerre pleine d’opportunités

Pour les États-Unis malmenés par leurs déboires en Irak et en Afghanistan et ridiculisés par leur incapacité à protéger leurs pantins comme Moubarak et Ben Ali, la guerre en Syrie est une formidable opportunité, un peu d’ailleurs comme celle qui a conduit au renversement du régime Kadhafi en Libye. Bien que relativement docile et stable, le régime d’El Assad n’a jamais été considéré comme « fiable » par les États-Unis, un peu comme celui de Saddam Hussein en Irak. Sans s’opposer à l’hégémonie états-unienne sur la région, la Syrie était en mesure, jusqu’à un certain point, de négocier les termes de son insertion dans le dispositif impérialiste. Ses alliances avec l’Iran, ses portes d’entrée auprès de la résistance libanaise et palestinienne, ses liens avec la Russie, en faisaient un régime à « surveiller ». Aujourd’hui, il y a un déplacement stratégique. Avec l’implication directe des pétromonarchies, les États-Unis peuvent avec un investissement relativement mineur provoquer la chute. En plus de se débarrasser d’un régime non « fiable », les États-Unis vont ainsi affaiblir l’Iran qui constitue probablement la plus grande menace pour son hégémonie dans la région.

Le virage pro-islamiste

Entre-temps, les États-Unis effectuent un virage en faveur des islamistes, ce qui est notable en Égypte. Un peu par « real politic », un peu sous l’influence des puissances régionales (la Turquie notamment), Washington estime que les islamistes seuls sont en mesure de restabiliser la région et d’éviter les « dérapages » qui se sont profilés dans les mobilisations du printemps arabe. Pour autant, il y a un prix à payer pour ce virage, car les Frères musulmans, aussi réactionnaires et avides de pouvoir qu’ils le sont, ne sont pas assez stupides pour apparaître comme des larbins des Américains. Le prix à payer a un nom et il s’appelle la Palestine.

Négociations en catimini

La dernière offensive israélienne de Gaza a révélé plusieurs fractures, si ce n’est que par la capacité de Hamas de tirer des missiles de plus grande portée. En réalité, Israël ne s’est pas remise de ses déboires des dernières années. Malgré leur indéniable supériorité militaire, les Israéliens ne peuvent pas éradiquer la résistance palestinienne (c’est la même chose au Liban). Avec les Frères musulmans égyptiens et l’argent des pétromonarchies, les États-Unis offrent aux Palestiniens de renégocier les termes du soi disant processus de paix pour revenir plus ou moins au point de départ de 1994, qui permettrait à une nouvelle alliance reconstruite autour de Hamas de gérer les territoires de Cisjordanie et de Gaza en prenant les apparences d’un État souverain. Le principal mouvement islamiste palestinien maintenant bien appuyé par les pétromonarchies a la possibilité de devenir le principal interlocuteur des États-Unis, si et seulement si certaines conditions sont remplies.

Redéploiement

Cette évolution effraie la droite israélienne et ses supporteurs américains autour du Parti républicain notamment, car elle implique un compromis et la fin de la colonisation des territoires occupés. Pour les secteurs « éclairés » de l’establishment israélien et pour l’administration Obama cependant, ce prix n’est pas plus élevé que celui qui a été payé lors des accords de Camp David (1978) qui avaient permis à l’Égypte de récupérer le Sinaï en échange du verrouillage de la résistance arabe dans la région. En opérant ce tournant, les États-Unis pourraient espérer calmer le jeu, du moins temporairement, confier des responsabilités plus grandes aux alliés-subalternes locaux (l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte) et maintenir la pression contre l’Iran tout en marginalisant la Russie et d’autres pays dits « émergents » qui sont assez imprudents de venir jouer dans la cour des États-Unis.

Stratégies périlleuses

Tout en provoquant d’importants remous parmi les élites israéliennes et américaines, ce virage comporte plusieurs autres dangers. Il n’est pas évident que les Frères vont pouvoir gérer la crise en Égypte qui ne cesse de s’aggraver et qui devient de plus en plus ouvertement une crise sociale et économique. Les couches populaires qui ont goûté à la liberté ne sont pas prêtes à accepter la perpétuation du régime Moubarak sans Moubarak. Il ne va de même pour de larges segments populaires dans la région, notamment en Palestine et au Liban, mais aussi en Jordanie, en Irak et même dans certaines pétromonarchies. L’Iran et la Russie n’ont pas dit leur dernier mot non plus.

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