Oui, selon un essai qui estime que la sécurité d’emploi rend les chercheurs paresseux.
Cet essai, intitulé « Does Faculty Tenure Harm Commercialization?« , tente d’expliquer la faiblesse du niveau d’innovation canadienne (alors que les investissements en recherche et développement sont adéquats et que les chercheurs sont très bien formés) par la pratique jugée « rétrograde » de la permanence des postes de chercheurs dans les universités. Le texte suggère qu’un chercheur qui doit constamment chercher à financer son salaire aura davantage tendance à produire de l’innovation et à tout faire pour la commercialiser et la rendre profitable qu’un chercheur dont le poste est permanent. Autrement dit, la sécurité d’emploi rendrait paresseux les scientifiques du secteur public ou universitaire.
Ce texte est un exemple de pensée néolibérale simpliste appliquée à la science. Parmi bien des lacunes et une méconnaissance du métier de chercheur, il néglige complètement une autre cause possible du déficit d’innovation, à savoir le culte de la compétition, de la performance et de la propriété intellectuelle exclusive. Ce culte commun à la recherche scientifique publique ou privée, fondamentale ou appliquée, qui est appuyée par les politiques scientifiques publiques actuelles (l’économie du savoir), nuit au partage libre et réciproque d’information, de sources, de données et d’idées entre chercheurs « concurrents ». Cette idéologie limite ainsi les chances de parvenir à des résultats novateurs et à des idées vraiment nouvelles. Dans la même veine, l’hyper-spécialisation des chercheurs experts les met rarement en contact avec des pensées ou des objets situés hors de leur « zone de confort intellectuel » et susceptibles de stimuler leur imagination.
J’aimerais aussi évoquer la dimension créative de la science, ce qui la rapproche de l’art. Pour créer, un-e artiste a besoin d’un savant mélange de liberté, de moyens et d’échéances précises. Mais surtout, il ou elle a besoin d’inspiration et d’ancrage dans une culture, une histoire, des valeurs. La foi n’est-elle pas à l’origine d’innombrables oeuvres? Les artistes ne nous aident-ils pas à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons? Tout comme les artistes, les chercheurs ont besoin de repères sur le sens de ce qu’ils font: améliorer la santé, protéger l’environnement, renforcer la démocratie, etc. Faire de l’argent est une valeur qui peut séduire un temps certaines personnes, surtout celles qui réussissent à en faire, mais elle est complètement insuffisante à fonder un acte créateur vraiment original, en science ou en art. Couplée au stress financier causé par l’insécurité d’emploi, la mercantilisation de l’acte créateur ou innovateur en science ne pourrait que l’affaiblir ou l’assommer, tout comme sa bureaucratisation, d’ailleurs. Pour rallumer la flamme de la créativité scientifique, il faut avant tout inviter les chercheurs à se recentrer sur le sens de leur travail et sur les valeurs sous-jacentes. Est-ce que les acteurs du contexte politique et économique le souhaitent vraiment, sachant que la liberté de créer s’accompagne de la liberté de penser et de critiquer? À suivre…
Florence Piron
le 18 avril 2011