À propos de : Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, « La République des idées », Le Seuil, 2010.
Dominique Bourg est l’homme des paradoxes : après avoir vigoureusement mis en garde l’opinion contre de possibles dérives écologistes, au nom de la démocratie, il entend désormais mettre les écologistes au pouvoir, sans guère de précautions. La menace tant annoncée s’est-elle retournée en pouvoir salvateur ? On est tenté de se demander : de quoi ce flou théorique est-il le nom ? Nous soutenons ici que ce qui se joue, dans ce livre qui peut souvent paraître elliptique et inutilement complexe, c’est la différence entre une écologie réellement humaniste et une écologie formellement humaniste.
Dominique Bourg et Kerry Whiteside partent d’un constat. Les problèmes environnementaux posséderaient cinq caractéristiques nouvelles, nous conduisant à mettre en question les structures modernes de la démocratie : leur ampleur, jusqu’à l’échelle globale, qui les font échapper à nos représentations ; leur inaccessibilité aux sens, qui implique de recourir à des outils complexes de détection (taux de gaz à effet de serre, radioactivité etc.) ; leur imprévisibilité, ce qui rend difficile la prévision (or gouverner, c’est prévoir) ; leur inertie et leur irréversibilité ; le fait qu’il ne s’agisse pas de pollution, comme on le croit souvent, mais de flux et de limites. Face à ces nouveaux problèmes, que peut faire la démocratie moderne ?
Bourg et Whiteside commencent par la définir, afin de pouvoir appuyer leur critique. Benjamin Constant, disent-ils, avait différencié la liberté des Modernes de la liberté des Anciens en fondant la première sur la jouissance privée de leurs biens par les individus. La production et la consommation sont devenues les instruments du bonheur. Les Modernes pensent ainsi être sortis d’un état de nature qu’ils se représentent d’un côté comme le début du défrichage et de la mise en ordre de la nature par le travail (Locke) et de l’autre comme la domestication de la nature humaine sauvage par la loi (Hobbes) (p. 50-51). Ceci produit différentes caractéristiques : la difficulté d’imposer des devoirs, là où les individus ne voient que des droits (p. 26) ; l’infinité en droit des désirs, là où le cosmos antique mettait des bornes (p. 25) ; l’intolérance diffuse aux normes (p. 28) ; la conquête de la nature (p. 25) et de la toute-puissance technique (p. 36). La démocratie des Modernes est ancrée dans un double rejet : de l’autoritarisme héréditaire et de la démocratie antique (p. 49). L’autorité n’est acceptée que si elle sert le bien public et si elle respecte les droits fondamentaux (p. 50). Le bien public est le fait exclusif de la loi, les auteurs s’appuient sur Kant pour soutenir que la volonté morale ne suffit pas à fonder des rapports politiques (p. 54), les divergences morales devant être à la fois tempérées (p. 44) et réglées (p. 43) par la distance réflexive (p. 54) que procure le jeu de la représentation et la règle de décision à la majorité (p. 78). En retour, les représentants sont contrôlés via les élections et sont soumis à une stricte égalité politique avec ceux qu’ils représentent (p. 44-45).
Dans ce contexte la « question naturelle » pose un problème nouveau, d’une très grande ampleur puisque les auteurs estiment qu’elle est au niveau de la « question politique » qui aurait dominé le XVIIIesiècle et de la « question sociale » qui aurait dominé le XIXe (p. 41). En effet l’ordre moderne, fondé sur la propriété, l’ordre et la liberté (p. 52), conduit à une « tyrannie originale » (p. 16) : celle de la jouissance immédiate sur les enjeux à moyen et long terme pour le genre humain (p. 15) que sont l’épuisement des métaux (p. 31), l’effet de serre (p. 30) etc. La démocratie moderne peut-elle faire face ? Les auteurs pointent différents problèmes : l’échec de ceux qui, tel Robert Solow, prédisaient que le marché s’adapterait (p. 37) ; le caractère territorialement borné du processus de représentation (p. 47 et 63) ; la difficulté à percevoir les nouveaux risques et à les raccrocher à des intérêts susceptibles d’être représentés (p. 47) ; la succession rapide des échéances électorales, qui empêchent de prendre en compte les enjeux de long terme (p. 70) ; la faiblesse des partis Verts, les seuls à porter ces enjeux (p. 71). De plus, argumente-t-il, la règle de décision à la majorité peut conduire à sous-estimer la gravité de certains problèmes (p. 77).
Les auteurs estiment que c’est la représentation moderne en tant que telle qui est prise en défaut par cette nouvelle question, ce qui justifie des réformes ambitieuses. Dans la société, disent-ils, existent certaines associations dont la raison d’être est de « représenter l’environnement » (p. 73) : ce sont les organisations non-gouvernementales s’occupant de l’environnement (ONGE). Le problème, pensent-ils, est que ces organisations ont peu d’influence (p. 75). Elles n’ont qu’un rôle consultatif ; les « partenaires sociaux » ont aussi ce statut mais ils disposent en plus d’un pouvoir important de mobilisation (p. 77), dont ne disposent pas les ONGE. Il faut donc inventer les modalités de leur insertion dans la décision.
Pour ce faire, les auteurs proposent une « bioconstitution » – « bio » pour « biosphère » et par là finitude (p. 89). L’enjeu est de mieux articuler science et société. Les auteurs distinguent une « science agissante » et une « science éclairante » (p. 85) ; pour renforcer cette seconde, qui permet aux citoyens d’auto-interpréter leurs problèmes (p. 85), ils proposent la création d’une « académie du futur » (p. 89), composée de chercheurs internationalement reconnus, qui rendrait visibles les problèmes invisibles et serait tenue par des règles qui font défaut à l’actuelle Académie des Sciences, évitant ainsi des dérives telles que celles initiées par Claude Allègre à propos du changement climatique (p. 92). Cela passe notamment par des règles déontologiques et des mandats à durée limitée. A cette réforme s’ajouterait l’inscription dans la Constitution du devoir supérieur de préserver les conditions d’existence de l’humanité (p. 88), ce qui se traduit par le souci de ne pas faire un usage des ressources qui avive les tensions internationales et celui de nous mettre à l’abri de l’hybris de nos comportements (p. 89-90). L’Académie du Futur serait chargée d’éclairer ces « biens publics mondiaux environnementaux » (p. 89). Troisième réforme : Bourg et Whiteside proposent un nouveau Sénat, formé pour deux tiers au moins de personnalités qualifiées – proposées, par exemple, par les organisations non gouvernementales environnementales – et pour un tiers de citoyens, et qui aurait pour rôle d’élaborer, en amont de l’Assemblée nationale, les grands mécanismes législatifs, par exemple fiscaux, permettant de répondre aux nouveaux objectifs constitutionnels. Ce Sénat pourrait, avec l’aval de conférences de citoyens, opposer son veto aux propositions de loi contraires à ces objectifs (p. 92-93). Quatrième et dernière proposition : la mise en place de procédures « délibératives » à tous les niveaux, par quoi les auteurs entendent à nouveau faire entrer l’argumentation des ONGE dans tous les débats, du Parlement à l’évaluation des projets locaux (p. 95-98).
Que penser de ce programme ?
Disons tout d’abord notre satisfaction : Dominique Bourg semble avoir mis fin aux excès qui caractérisaient certains de ses écrits, excès qu’il partageait avec Luc Ferry. En effet, en 1996, Bourg mettait en garde contre la « deep ecology », un courant incarné par Aldo Leopold et Arne Naess et caractérisé par un « holisme » mettant les droits de la nature (sa « valeur intrinsèque ») au-dessus des droits de l’individu. Selon lui, l’écologisme était aussi porteur d’une technophobie « extravagante et dangereuse »[1] incarnée par Jacques Ellul, et qui était rapprochée du nazisme[2]. Ces mises en garde restaient largement indéterminées, Bourg ne citant nommément aucune organisation – à tel point qu’on peut se demander de quoi il parlait réellement. Mais Luc Ferry rangeait explicitement Greenpeace parmi les organisations issues de l’« écologie profonde »[3] et Bourg ne démentait pas. Il remarquait en outre que « 17 % de la population française place les intérêts de la nature au-dessus de l’être humain ; une affirmation », poursuivait-il, « en parfaite harmonie avec le credo fondamentaliste »[4]. Étant donné que les organisations écologistes restaient méconnues, le lecteur moyen était tenté de mettre toutes les organisations écologistes dans le même panier fondamentaliste – d’autant qu’elles reconnaissent toutes plus ou moins devoir quelque chose à l’écologie profonde. Ces mises en garde hâtives et floues ont sans aucun doute efficacement contribué à ralentir la prise de conscience et l’action écologistes, que l’auteur appelle pourtant de ses vœux. Pourquoi ? C’est une première question.
La seconde question est opposée à la première : pourquoi, chez Dominique Bourg, cet amour subit et peut-être lui aussi un peu excessif, pour les associations environnementalistes ? Peuvent-elles soutenir l’anthropologie pessimiste, fondée sur Constant, Hobbes et Locke, que Bourg met en avant ? On peut en douter.
Hobbes, d’abord. Alors que Ferry critiquait, chez Hans Jonas, une volonté de faire de la « peur » une passion politique fondatrice pour le vivre-ensemble, il lui avait échappé, dans sa diatribe contre le catastrophisme supposé des écologistes, que c’est Hobbes, précisément, qui s’appuie sur la peur pour légitimer une autorité absolue. Jamais la pensée écologiste, et la deep ecology moins que quiconque, n’a jugé bon de fonder l’autorité sur un raisonnement semblable à celui de Hobbes, et cela n’était pas sans raison. La deep ecology, et le mouvement écologiste dans son ensemble, se sont toujours méfiés de l’État et de son absolutisme, d’où la dimension libertaire de l’écologisme[5]. Pour Luc Ferry, l’anarchisme se ramène au totalitarisme[6]. On comprend donc la référence à Hobbes, et on comprend aussi ce qui, dans l’écologisme, a inquiété Dominique Bourg : le citoyen a plutôt besoin d’être encadré ; par la loi décidée au Parlement et appliquée par la police, sans laquelle il n’est que des « bêtes sauvages »[7] ; par la science, qui ne doit être issue que des chercheurs de métier ; et peut-être la religion, dans la sphère privée. Si quelque chose change, cela doit être parfaitement transparent et contrôlé par les autorités. Bourg craint l’anarchie et le chaos, son anthropologie ne connaît pas Fourier, Godwin ou Pierre Leroux – sans parler de Marx. La populace l’effraie, y compris – et surtout – lorsqu’elle entend « défendre la nature ». Mais peut-on changer une société par en haut, sans risquer de compromettre les droits de l’homme ?
Locke, ensuite. Impossible, ici, de ne pas remarquer que ni Dominique Bourg ni Luc Ferry n’ont jamais fait aucune mention de la célèbre « clause de Locke », qui rappelle que la terre appartient en commun à tous les hommes, et qu’un individu ne peut pas tout s’approprier, même par le travail : « la même loi de nature qui nous donne la propriété de cette manière [c’est-à-dire par le travail] lui impose des limites. Dieu a donné toutes choses en abondance. […] Tout ce qu’un homme peut utiliser de manière à en retirer quelque avantage quelconque pour son existence sans gaspiller, voilà ce que son travail peut marquer du sceau de la propriété. Tout ce qui va au-delà excède sa part et appartient à d’autres […]Nul ne pouvait s’estimer lésé de voir une autre personne boire, même à pleine rasade, s’il lui laissait toute rivière de la même eau [intégrité] pour étancher sa soif. Ce qui vaut pour l’eau vaut identiquement pour la terre, s’il y a suffisamment des deux »[8]. Cette clause est pourtant celle qui est au fondement d’un grand nombre de revendications écologistes, au nom des « biens communs ». En conséquence le malthusianisme hante ce livre de bout en bout. Ce qui ne vient jamais sous la plume de Bourg est ce que même Antoine Waechter défendait, à savoir une économie de partage[9] – nous disons « même Antoine Waechter », car ce dernier a largement été accusé de masquer une idéologie « brune » et réactionnaire[10]. Faisant souvent référence à la « règle d’or », qui enjoint, à la suite de Kant mais aussi de la plupart des morales connues, d’évaluer la moralité de son action à l’aune de son universalisabilité (« agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle »[11]), Bourg ne voit pourtant aucun problème à ce que certains consomment énormément plus que d’autres, alors que selon le même Kant une telle attitude est en réalité passible de la qualification « d’ennemi injuste », qui désigne celui « dont la volonté publiquement exprimée (que ce soit dans ses paroles ou dans ses actes) trahit une maxime d’après laquelle, si elle était érigée en règle universelle, nul état de paix ne serait possible entre les peuples »[12]. Tel est pourtant le véritable enjeu des négociations internationales sur ce sujet, qui culminent cette année avec le Sommet sur l’« économie verte », à Rio, en juin 2012.
Constant, enfin. La « liberté des Modernes » qu’il théorise se caractérise précisément par cette « industrie », ce « commerce » utilitaire que les écologistes ont depuis toujours considéré comme étant la source de tous les maux – et qu’ils entendent modérer par d’autres passions qui, chez Arne Naess, le fondateur de la deep ecology, sont d’abord l’amour de la nature, l’identification à ce que Marx appelait notre « corps inorganique », mais aussi la non-violence, et enfin la justice sociale – ce qu’il nommait les « trois grands mouvements » sociaux à l’échelle globale[13]. Les hommes ne sont égaux que formellement, leurs désirs sont illimités, et il ne sera jamais possible de déterminer de quoi des besoins fondamentaux sont faits puisqu’il n’y a de besoin que relatif (Bourg et Whiteside, p. 28). Aussi n’est-ce pas un hasard si la « question sociale » est traitée comme un encombrant « présentisme » qu’il s’agirait de surmonter (p. 72), et si la puissance des « partenaires sociaux » est jugée bien suffisante, en dépit de la croissance contemporaine des inégalités. Si le système représentatif est imparfait, estime Bourg, c’est d’abord parce que les « partis Verts » résistent mal à la tyrannie du présent, « une fois lancés dans la conquête du pouvoir représentatif, ils doivent se positionner par rapport à tous les autres grands dossiers : l’éducation, la défense, la réforme de la sécurité sociale, etc. Du coup ils sont rattrapés par les enjeux du présent et la « myopie » du système représentatif les guette » (p. 72). Dominique Bourg ne se demande pas si la « myopie » en question, ce n’est pas l’individu et ses droits fondamentaux, justement. Bon nombre de mouvements écologistes, au contraire, à la suite de Murray Bookchin, estiment que l’enjeu est d’abord social, et même les tenants les plus radicaux de la deep ecology en conviennent[14]. Et Waechter cite Bookchin parmi ses auteurs de référence. Il est vrai que pour Luc Ferry, « revenir » au partage serait sortir de la modernité, puisque l’époque prémoderne se caractérise par un droit qui n’était pas un ensemble de règles de conduite mais une science du partage ou de la répartition[15]. Mais dire que les besoins ne sont que relatifs, c’est s’interdire de mettre un contenu dans l’un des droits de l’homme, qui conditionne pourtant tous les autres : le droit à la vie (article 3). C’est en rester aux droits formels – ce qui, dans un monde fini, est risquer de condamner à mort. Ou alors faut-il refuser le monde fini, et courir le risque de voir détruites les capacités de la biosphère ? Mais comment peut-on, dans ce contexte, changer quoi que ce soit à l’ordre établi et à son orientation malthusienne ? Opérer une profonde critique de la « liberté des Modernes », ou laisser la planète se dégrader : tel est le dilemme qui habite Dominique Bourg – et, plus généralement le « libéralisme écologique », celui de la « croissance verte ».
L’auteur rejoint en cela Luc Ferry, pour qui la modernité se caractérise par une émancipation des théories du droit naturel caractéristiques des XVIIe et XVIIIe siècles, qui concevaient le droit comme objectif, ancré dans un ordre cosmique indépendant et non dans la raison du sujet, d’où un monde clos, hiérarchisé et finalisé, ancré dans la communauté naturelle[16]. Comme on l’a dit, le droit était alors une science du partage ou de la répartition[17]. La modernité se caractérise au contraire par l’artifice, notamment le contrat. Les droits de l’Homme sont une essence abstraite, une ressource critique qui prime sur toute appartenance et statut social. De Tocqueville à Dumont la logique de la modernité est l’individualisme[18], c’est son trait le plus saillant[19] ; il permet de penser un individu libre, distinct de toute appartenance. Le partage, c’est donc le retour en arrière. L’individu non favorisé par les lois du marché a donc le choix entre le retour en arrière ou la chute en avant, belle perspective. Et on appelle cela l’« humanisme » ? Ajouter l’adjectif « abstrait » a le mérite d’entretenir le double sens. Dominique Bourg conclut cet ouvrage par un appel à l’équilibre entre les droits de l’homme et « l’impératif suprême » de « survie de l’espèce » (p. 104). On craint cependant que la seconde ne soit pas le moins du monde menacée, à la différence des premiers. Quelques riches sur une île bunkerisée suffiront à assurer la survie de l’espèce, des congélateurs de semence humaine suffiront à maintenir la diversité. Au moins Jonas évoquait-il l’impératif de maintenir une vie « authentiquement humaine », ce qui incluait ne pas tant se soucier de l’espèce que des individus. Bourg fait entrer par la fenêtre le holisme tant dénoncé. Si la modernité est en question, c’est donc moins par ce qu’elle croit être que par ce qu’elle est en réalité.
La question qu’il convient de poser, plutôt, est de savoir pourquoi Bourg et Whiteside ont une telle confiance dans les ONGE – surtout la Fondation Nicolas Hulot et le WWF, qui n’ont pas la moindre représentativité et ne peuvent au mieux revendiquer qu’un rôle d’expert et de lanceur d’alerte. Ces associations soutiendraient-elles le malthusianisme larvé porté par ce livre ? C’est la question qu’elles devraient se poser, avant que de nombreux Dominique Bourg les portent au pouvoir du fait de leur inquiétante absence de « présentisme ». Plus que jamais, pour les associations écologistes, c’est le contraire qui compte : savoir articuler adéquatement écologie et social, sans jamais lâcher sur le second, d’une manière qui concilie inégalités locales, globales et intergénérationnelles. Sans cela, c’en est fini des droits de l’homme. Rien moins. Les débats sur la taxe carbone le démontrent amplement : rien ne passera qui ne soit insensible aux inégalités sociales. Préférons donc, à la suite de Jonas, une vie authentiquement humaine à une simple survie de l’espèce.
Ne sous-estimons pas les points positifs de ce livre. La remise au goût du jour du tirage au sort est une excellente chose. L’Académie du Futur pourrait en effet être créée, et aussi avantageusement remplacer l’Académie des Sciences. Et si le Parlement pouvait faire l’effort, en effet, de justifier ses lois par rapport aux défis écologiques, qu’il persiste à ignorer, ce serait aussi une très bonne chose.
Mais ces mesures restent de l’ordre de la « démocratie » au sens étroit, formel du terme. L’économie et le capitalisme – la liberté des « Modernes » – échappent à toute remise en cause. Prendre en compte cet élément conduit à un diagnostic sensiblement différent, et cela commence par une remise en cause des cinq « originalités » supposées de la crise écologique. Invisibilité ? N’est-elle pas le fruit d’un certain ordre social et médiatique ? Les études sociologiques montrent que les citoyens ne retiennent, dans l’achat d’un produit, que les aspects positifs qui leur ont été vantées, et que les aspects négatifs comme la consommation d’énergie sont ignorés. « invisibilisation », plutôt qu’invisibilité. Irréversibilité ? C’est le lot du politique, tout comme l’imprévisibilité. Seule la globalité est vraiment originale – mais elle n’est pas proprement écologique, dans ce domaine ce qui vient immédiatement à l’esprit, c’est la mondialisation économique. Ces blocages devraient être au cœur d’une réflexion sur la démocratie écologique : interdiction de toute publicité qui ne fournisse pas une information complète sur le produit ; participation des citoyens aux décisions des entreprises, comme le voulait le statut SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) mis en place par les Verts lors de leur passage au gouvernement ; financement de circuits de production « courts » permettant de satisfaire les besoins essentiels à moindre coût écologique etc.
[1] Dominique Bourg, L’Homme-artifice, Gallimard, 1996, p. 10.
[2] ibid., p. 73.
[3] Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, Grasset, 1992, p. 212.
[4] Dominique Bourg, Les scénarios de l’écologie, Hachette, 1996, p. 32.
[5] Voir Guillaume Sainteny, Les Verts, PUF, 1997.
[6] Alain Renaut et Luc Ferry, Philosophie politique, PUF, 2007, p. 537.
[7] Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique, op. cit., p. 52.
[8] John Locke, Second traité du gouvernement civil, 1690, chapitre V.
[9] Antoine Waechter, Dessine-moi une planète, Albin Michel, 1990, p. 219-235.
[10] Notamment Jean Jacob, Histoire de l’écologie politique, Albin Michel, 1999.
[11] Kant, Métaphysique des mœurs I, Introduction, trad. Alain Renaut, 1796, p. 97.
[12] Kant, Métaphysique des mœurs, op. cit., § 60.
[13] Arne Naess, « Deep ecology for the 22nd century », in Georges Sessions (dir.), Deep ecology for the 21st century, Shambala, 1995.
[14] Dave Foreman et Murray Bookchin, Quelle écologie radicale ?, Atelier de création libertaire, 2000.
[15] Alain Renaut et Luc Ferry, op. cit., p. 467-470.
[16] ibid., p. 475-480.
[17] ibid., p. 467-470.
[18] ibid., p. 493.
[19] ibid., p. 506.