Les déclarations des journalistes et commentateurs sur le bilan du Congrès de Québec solidaire n’ont pas tardé. Nombre de ces derniers allant de Jean-François Lisée à Thomas Mulcair en passant par Michel David convenaient que QS a fait preuve de réalisme en votant sa plateforme pour l’année électorale qui s’en vient, particulièrement en battant les amendements à caractère quelque peu anticapitalistes de certains militant.e.s et en reléguant à l’arrière-plan les éléments du programme qui risquaient de rappeler aux électeurs et électrices les origines du parti dans la fusion de deux formations audacieusement radicales. On a souligné de manière positive sa maturité et sa sagesse – synonymes, il va sans dire, d’une approche de gouvernance qui ne viendrait pas trop déranger le statut quo.
Mais admettons que le tant acclamé « réalisme » n’est pas ce qui manque en politique actuellement. Nous l’avons vu tout récemment à la COP26. Le résultat, un Programme environnemental des Nations Unies nous avertissant que malgré les engagements à long-terme, le manque de volonté d’agir de manière rapide et décisive dans l’immédiat nous met sur la voie d’une hausse de température de 2,7 degrés d’ici la fin du siècle.
Appelons le « réalisme alternatif » : les politiques modérées du « business as usual » garantissent non seulement l’exacerbation des inégalités (Nord-Sud, riches-pauvres) mais aussi une planète de moins en moins habitable.
Il n’était pas nécessaire d’attendre les résultats de l’échec de la COP26 pour comprendre l’urgence d’élever la barre de l’objectif de réduction des GES par rapport aux ambitions minimalistes de la CAQ. Le mouvement écologiste au Québec le souligne constamment. Et c’est en effet la mobilisation de celui-ci qui a incité la Commission Politique et le Comité de coordination national à modifier la cible de QS dans une résolution d’urgence pour réduire les émissions du Québec d’au moins « 55% par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, en se rapprochant le plus possible de la cible de 65 %. »
Cela a représenté un point de départ enthousiasmant qui incitait au ralliement en ce début de congrès. Mais ce 15e congrès de Québec solidaire était aussi marqué par la volonté de la direction d’adopter une politique « crédible » qui positionnerait le parti comme ayant fait ses preuves en tant que parti d’opposition et qui est maintenant prêt et capable de gouverner. À un an des élections le gouvernement de la CAQ est toujours en situation de force et on devinait aussi derrière cette prudence, l’importance de préserver le terrain déjà acquis. Le mot d’ordre de Gabriel Nadeau-Dubois « les plus crédibles et les plus ambitieux », permettait de soulever l’espoir et l’enthousiasme, tout en ramenant le projet de QS à des enjeux sans moyens précis pour les réaliser. Le document de la Commission Politique – envoyé d’avance à tous les membres délégués est allé très loin dans ce sens. Cette initiative sans précédent de la part de la CP invitait à rejeter pratiquement toutes les propositions qui sous-entendaient une transformation sociale au-delà du capitalisme qui permettraient de s’attaquer aux racines de la dérive climatique et des injustices sociales.
C’est ainsi que la plupart des moyens concrets comme la gratuité du transport en commun, qui permettrait de retirer des milliers d’automobiles de la circulation et un engagement à ne pas agrandir ou ajouter des autoroutes ont été écartés. La résolution visant à nationaliser les grandes entreprises minières et forestières n’a pas été retenue non plus, faut croire que Richard Desjardins est passé de mode. On veut se réapproprier notre territoire, mais on hésite à affirmer qu’on veut l’enlever du contrôle des multinationales et des corporations, bonne chance l’indépendance !
On vit une crise du logement inégalée. L’immobilier est une valeur spéculative en hausse, la jeune génération peine de plus en plus à accéder à la propriété, et ceux et celles avec des revenus modestes ont de plus en plus de difficultés à trouver un logement abordable. Les rénovictions s’amplifient. Les propriétaires en profitent pour mettre leurs conditions, pas d’animaux, pas de bruit, pas d’enfants.
Pour s’attaquer à ce gigantesque problème, la plateforme de QS indiquera que nous améliorerons la protection des locataires contre les « rénovictions » et autres évictions abusives, et que nous nous engageons à lutter contre la spéculation immobilière et la surenchère. Mais on demeure sans propositions mordantes concernant la question cruciale de logement auxquels répondaient plusieurs amendements rejetés, à l’invitation de la CP et des membres de la direction, comme la proposition d’instaurer un délai de 4 ans entre la rénovation et la revente d’une édifice résidentiel sauf en cas de décès ou de relocalisation des propriétaires, ainsi que celle sur l’expropriation d’immeubles et terrains abandonnées.
Le report de la gratuité scolaire à un objectif (réaliste) à long terme tel que proposé par la CP, a été un révélateur important de la transformation rapide de cette partie de la jeunesse, qui avait pourtant conduit le Québec à rêver d’un changement de société, il y a déjà, on dirait bien, une éternité.
Un Québec inclusif
Pour lutter contre le racisme QS propose de mettre sur pied une Commission d’enquête sur le racisme systémique et un programme d’accès à l’égalité en emploi. C’est ce qui est retenu dans la plateforme. Mais un programme d’accès à l’égalité est incomplet si on ne défait pas la loi 21 discriminatoire qui empêche des femmes d’occuper des emplois dans le secteur public. C’est ce qu’un des amendements rejeté proposait.
En amendant la Loi sur la laïcité de l’État pour en retirer les articles discriminatoires concernant l’interdiction du port de signes religieux dans certains services publics et les clauses dérogatoires, QS aurait aussi envoyé dès maintenant un message clair que son projet de société est de bâtir une société inclusive et qu’il ne laissera personne derrière. C’est aussi une bonne façon d’expliquer sa vision de l’indépendance.
Le collectif antiraciste décolonial avait beau avoir fait des erreurs, il permettait de maintenir cette question à l’avant plan. On peut maintenant constater les résultats du blâme précipité qu’il a subi lors du dernier Conseil National.
Le projet de Québec souverain
Deux bonnes propositions ont été adoptées sur la question de la fondation du pays. Le lancement d’une démarche d’assemblée constituante dès son premier mandat et l’invitation aux peuples autochtones dans chaque étape dans sa démarche d’indépendance. Ce qui est le plus surprenant dans cette affaire, c’est que les personnes défendant une démarche réaliste n’aient pas rappelé le fait que mettre en marche la destruction de l’État canadien en cet automne 2022 était particulièrement osé.
Le congrès a également adopté la remise « en question des accords et conventions internationales économiques et militaires signées par le Canada, non seulement ceux de libre-échange, mais aussi les accords militaires et les ententes fiscales qui protègent la grande entreprise et les plus riches. » En clair, cela ne peut signifier que la sortie de l’ACEUM (Accord Canada-États-Unis-Mexique) , de l’Accord économique et commercial global (AECG), de l’OTAN et de NORAD… En fait, est-ce que la perspective de lutte pour l’indépendance et la rupture des traités seront au centre de la campagne de QS. On peut en douter. Cela irait à l’encontre des appels si souvent entendus au réalisme et au pragmatisme… Mais, cela pose, encore une fois, la place de la lutte pour l’indépendance dans la lutte concrète de Québec solidaire. C’est un enjeu trop important pour le laisser planer dans l’ambiguïté du réalisme.
Agir maintenant
Malgré l’appui à une orientation politique plus modérée et vendable sous l’influence de la direction du parti, Québec solidaire demeure cependant une formation démocratique où les membres participent pleinement aux débats et aux prises de décisions. En fait les débats passionnés ne manquaient pas avec une participation de plus de 300 personnes et de longues lignes (virtuelles) pour les tours de paroles. Différents collectifs, ainsi que des groupes d’affinité dédiés à des thèmes ou courants politiques ont été actifs.
On a pu voir l’émergence d’une nouvelle sensibilité aux enjeux de justice animale avec plusieurs amendements soumis par le Collectif justice animale et adoptés à la majorité dont la proposition d’aménager des corridors fauniques, d’accorder au fleuve Saint-Laurent le statut de personnalité juridique, d’adopter des normes minimales en ce qui a trait au traitement des animaux d’élevage et de contribuer à une transition vers la production et consommation d’une forte proportion de protéines végétales.
On voyait également la participation active de la Tendance marxiste internationale (trotskyste) dont les membres venaient systématiquement à la défense des propositions sur la nationalisation incluant la nationalisation des industries minières et forestières ainsi que de l’industrie des hydrocarbures entre autre.
Conscients de l’urgence d’agir maintenant, plusieurs associations, courants politiques ou collectifs ont agi afin de donner des moyens concrets à notre plateforme. Voici quelques-uns des amendements adoptés :
- Nationaliser sous contrôle régional l’ensemble des industries produisant des énergies renouvelables (éolien, solaire,… ).
- Québec Solidaire respectera les droits des travailleurs et travailleuses à la libre négociation sans recours aux lock-out ou lois spéciales et réformera la loi de santé-sécurité au travail et la loi anti-scab afin de leur donner plus de force.
- Québec solidaire élargira également la participation démocratique aux élections municipales aux personnes immigrantes avec résidence permanente.
- Québec solidaire s’engage à transformer le 30 septembre, la journée vérité et réconciliation, en congé férié pour toutes les Québécoises et Québécois.
- Un gouvernement de QS portera une attention particulière au droit à l’avortement ici et ailleurs dans le monde et se montrera solidaire de toute lutte exigeant la généralisation de ce droit.
La planète ne peut attendre
S’opposer à la crise climatique implique de s’attaquer aux puissances économiques et politiques et de jeter les bases d’une société moins consommatrice d’énergies et moins gaspilleuse. Prendre au sérieux la gravité de la situation, implique de remettre en cause un mode de production, un mode de consommation, bref un mode de vie construit sur un rapport de prédation à la nature. On ne peut au nom de la crédibilité électorale, masquer les tâches politiques que cela implique.
La lutte climatique est une lutte internationale et c’est dans cette perspective qu’il faut s’inscrire. Le recentrage dans ce contexte de crise ne peut conduire qu’à une adaptation au courant dominant et à des reculs politiques.
Une plate-forme qui rejette globalement les perspectives de nationalisation empêche toute chance de réaliser l’objectif de réduction des GES. On ne peut atteindre une baisse radicale des émissions de GES tout en laissant la propriété et leurs capacités d’investissement aux grandes entreprises pétrolières.
Ni en finir avec la destruction des richesses forestières en laissant aux grandes entreprises la possibilité de saccager la forêt québécoise, de faire des coupes à blanc et de ne pas respecter la biodiversité. Une foresterie de proximité, qui est gérée à l’échelle locale, qui ne fait pas de gaspillage, ne peut être laissée aux mains des grandes entreprises forestières qui ne cherchent qu’à tirer le maximum de profit de l’exploitation des forêts.
La planète ne peut attendre. Le réchauffement climatique a déjà entrainé des parties importantes des populations du Sud global à migrer vers le nord, pour des raisons climatiques et économiques, assèchement des terres, perte de ressources, effondrement économique, violence de groupes armés. La fonte des pôles glaciers a déjà commencé à modifier le cœur climatique que constitue le Golf Stream. Dans l’ouest canadien les inondations succèdent aux incendies, les provinces atlantiques sont en proie aux pires tempêtes provenant des courants chauds du sud. Les pandémies se succèdent à un rythme accéléré.
Les puissances économiques et politiques ne sont arrivées à aucun résultat probant à la COP26. La logique du profit est incompatible avec la décroissance impérieusement nécessaire à la survie de l’humanité.
Notre seule issue est de lutter pour les moyens concrets permettant d’atteindre la nécessaire réduction des GES. Mais même cela ne sera pas suffisant si nous ne prenons pas les moyens pour agir de concert avec les forces sociales dans le monde afin d’y arriver. Les pandémies ne pourront cesser si nous ne travaillons pas à aider les populations du sud global à être pleinement vaccinées, si nous ne travaillons pas à établir une politique internationale contre la déforestation.
La survie de la planète nécessite un changement de société, une rupture avec le capitalisme qui détruit la planète. Penser le contraire n’est tout simplement pas réaliste.
André Frappier, Andrea Levy, Bernard Rioux