[1]La justice sociale est une des principales valeurs au fondement du travail social[2]. Elle est d’ailleurs abordée dès le début du parcours universitaire au premier cycle. Toutefois, cette valeur est portée par de nombreuses personnes à l’extérieur du milieu universitaire et du travail social. Ces dernières se soucient de la justice sociale et participent à diverses actions en ce sens en espérant contribuer à l’émergence d’un monde plus juste et plus égalitaire.
Toutefois, malgré un objectif commun, ces deux « mondes » œuvrent en parallèle. En effet, l’université est difficile d’accès, voire intimidante pour un nombre important de personnes. On pense ici aux lieux physiques, mais également aux différentes activités de transmission des connaissances qui y sont associées, les publications scientifiques et les colloques universitaires. Il y a donc lieu de réfléchir à la façon dont ces deux « mondes » peuvent se rejoindre, partager leurs savoirs et agir ensemble dans la perspective d’améliorer la société. Il faut se demander comment créer un espace, une intersection, où les savoirs expérientiels et les savoirs théoriques peuvent se rejoindre et se partager. C’est dans cette perspective que fut imaginée et organisée l’École d’été citoyenne à l’Université du Québec en Outaouais (UQO).
Le présent article présente les débuts de l’École d’été citoyenne. Suivent la description de l’École et les deux premières éditions. Enfin, nous soulèverons différentes questions auxquelles réfléchir avant de poursuivre le travail.
Genèse du projet
La professeure Nathalie St-Amour, du département de travail social de l’UQO, a eu l’idée d’une école d’été citoyenne en Outaouais pour créer un espace de rencontre entre la communauté et le milieu universitaire. Deux collègues du département de travail social, Grace Chammas et Célyne Lalande, ont manifesté un intérêt pour le projet. Ensemble, ces professeures ont décidé d’organiser une journée sur le thème de la justice sociale pendant la semaine du travail social en 2020 à l’UQO. L’organisation de l’événement avançait bien, jusqu’à ce qu’on doive annuler le tout en raison de la pandémie mondiale de COVID-19.
L’après-COVID-19
À la reprise des activités dites normales, en 2022, la professeure St-Amour a de nouveau mis de l’avant le projet. À ce moment-là, la rectrice de l’UQO, Mme Murielle Laberge, s’est montrée intéressée et a mandaté le Centre de soutien et d’innovation pédagogique universitaire (CSIPU) pour se joindre à la professeure St-Amour et réactiver le projet[3].
De nouveau à la recherche de partenaires, les pionnières du projet ont contacté un nouvel organisme communautaire de la région, le Laboratoire de formation populaire de l’Outaouais (LFPO ou LabPop). C’est ainsi que la coordonnatrice du LFPO, Mme Joscelyne Lévesque, s’est jointe à l’équipe de l’école d’été. Par la suite, l’auteur de ce texte a intégré le groupe à titre de chargé de projet. L’organisation de la première édition de l’École d’été citoyenne s’est alors accélérée[4].
Le Laboratoire de formation populaire de l’Outaouais
Partenaire de l’UQO lors des deux premières éditions de l’École d’été citoyenne, le LFPO a officiellement été créé en 2022 à Gatineau. Parrainé par la Table régionale des organismes communautaires autonomes de l’Outaouais (TROCAO)[5], il a reçu une aide financière du Fonds de soutien au développement des communautés (FSDC), de la Ville de Gatineau et de la Conférence des préfets de l’Outaouais grâce au Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale (PAGIEPS). Le LFPO définit ainsi sa mission : « En concordance avec les valeurs et principes de l’action communautaire autonome, le LabPop vise à soutenir le mouvement communautaire en Outaouais afin d’augmenter sa capacité et son pouvoir d’agir sur son territoire et dans une diversité de milieux[6] ». Cet organisme est venu combler un besoin important dans la région.
École d’été citoyenne 2023, la première édition
Avant de poursuivre, il est important de préciser une particularité de l’événement. En effet, il ne s’agit pas d’une école d’été comme en présentent certains établissements d’enseignement supérieur, qui s’adresse davantage aux étudiantes et étudiants qui doivent s’y inscrire et qui permettent d’acquérir des crédits ou des unités. Il s’agit plutôt d’une activité ouverte à toutes les personnes intéressées par des enjeux sociaux et des projets d’implication citoyenne.
Cette première édition de l’École d’été citoyenne s’est tenue durant quatre jours, du 30 mai au 2 juin 2023 sur le campus de l’UQO. Elle avait comme objectif de « faire de l’université un espace ouvert et délibératif qui permet de valoriser tous les types de savoirs et qui contribue au renforcement de nos compétences citoyennes, tant sur le plan personnel que collectif[7] ». Selon la professeure St-Amour : « Il s’agit de mettre ensemble les expertises et les compétences de toutes les personnes présentes afin de participer à l’édification d’une société inclusive et engagée[8] ».
L’idée de départ consistait à organiser l’événement hors des murs de l’université pour favoriser le rapprochement avec la communauté. Toutefois, le comité organisateur a dû se rendre à l’évidence et admettre que ce ne serait pas possible compte tenu du temps dont il disposait. Il a donc décidé de tenir l’événement à l’UQO et a cherché à rendre ce dernier plus convivial et accessible à toutes et tous. Ainsi, certaines activités se sont déroulées à l’extérieur sous un chapiteau alors qu’à d’autres moments, des musiciens sont venus se produire. De plus, l’événement, financé par l’UQO, était totalement gratuit, inscription, repas, transport. Une collaboration avec des personnes rattachées au programme de Techniques d’éducation à l’enfance du Cégep de l’Outaouais afin d’offrir un service de garde gratuit pour les personnes participantes a dû malheureusement être annulé faute de demande.
Organisée sous le thème de la participation citoyenne, chaque journée de l’événement exploitait un thème plus spécifique, soit : 1) la participation citoyenne en contexte de diversité et d’immigration; 2) les pratiques innovantes en soutien à la participation citoyenne; 3) la participation écocitoyenne des jeunes; et 4) appels à l’action pour soutenir la participation citoyenne. Chacune des journées comportait diverses activités telles que des présentations, des panels, des ateliers thématiques et des activités ludiques. Ces activités étaient animées et présentées par des personnes provenant de divers milieux : citoyennes et citoyens, organismes et regroupements communautaires, politiciennes et politiciens, professeur·e·s d’école secondaire, d’université, étudiantes et étudiants[9]…
Un partenariat intéressant fut également développé avec le Centre d’intervention et de prévention de la toxicomanie en Outaouais (CIPTO)[10] et son programme Le LAB. Ce dernier se veut : « un lieu d’expression et de création artistique qui s’adresse aux personnes de 16 ans et plus[11] ». Ainsi, des artistes du LAB furent présents à l’ensemble des activités de la semaine afin de recueillir du matériel pour produire un « zine » de l’événement. Un zine est une « [p]ublication à diffusion restreinte (faible ou moyenne) dont la périodicité est irrégulière et qui est éditée par un petit groupe de personnes sur des sujets qui les passionnent (bandes dessinées, science-fiction, cinéma, musique, artistes ou auteurs favoris)[12]. Celui produit par des artistes du LAB accompagnés par l’artiste Camille Dion comportait une quarantaine de pages et fut imprimé en cent copies. Le lancement officiel de l’œuvre eut lieu lors de l’édition suivante de l’École d’été citoyenne, en 2024.
La deuxième édition, 2024
À la suite du succès de la première édition, l’événement fut organisé de nouveau, du 1er au 4 mai 2024. Toujours sur le thème de la justice sociale et l’implication citoyenne, on a jumelé l’École d’été citoyenne avec la Journée internationale des travailleuses et des travailleurs du 1er mai. Dans ce contexte, de nouveaux partenariats se sont établis avec le Conseil central des syndicats nationaux de l’Outaouais (CSN) et le Conseil régional de l’Outaouais de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) qui ont collaboré à l’organisation de l’École d’été, ainsi que des citoyens et citoyennes et des personnes du milieu communautaire.
Comme l’édition précédente, chacune des quatre journées a abordé un thème particulier. La journée du 1er mai a été consacrée à la Journée internationale des travailleuses et travailleurs; la première partie de la journée a traité du syndicalisme alors que le lancement du zine de l’École d’été citoyenne de 2023 a eu lieu en après-midi. Les personnes présentes ont ensuite été invitées à se joindre à la marche des travailleuses et des travailleurs dans les rues du centre-ville de Gatineau. Le jeudi, les thèmes de la transition socioécologique et des mobilisations anichinabées ont été suivis de celui de la citoyenneté engagée et, pour terminer la semaine, de celui de la solidarité au travail. La conférence de Julia Posca, Travailler moins ne suffit pas, titre de son dernier essai, a précédé la présentation du film Richelieu et une discussion avec l’acteur Luis Olivia[13].
Cette deuxième édition a eu lieu principalement dans les salles municipales de la Maison du citoyen à Gatineau, sauf le samedi sur le campus de l’université. Afin de rendre l’événement plus accessible et écologique, la Société de transport de l’Outaouais (STO) et l’UQO ont conclu une entente pour que le transport en commun soit gratuit pour toutes les participantes et participants. Toutefois, cela a présenté le défi de rejoindre l’ensemble de la population de l’Outaouais, une grande région dont plusieurs secteurs ruraux ne sont pas desservis par les transports en commun. De plus, des collaborations ont été établies avec des organismes communautaires de la région, ce qui a permis de réduire de façon substantielle le coût de la location des salles de la Maison du citoyen.
Appréciation générale de l’événement
Les deux premières éditions de l’École d’été citoyenne ont constitué un succès. La très grande majorité des commentaires exprimés ont été positifs. En général, on a souligné la variété, la qualité, la pertinence et l’accessibilité des activités offertes, quelle que soit la provenance des personnes présentes. De nouvelles collaborations ont également émergé de l’événement, entre des personnes de différents milieux. Nous avons reçu des commentaires positifs de professeur·e·s qui ont été enchantés de pouvoir discuter, partager et réfléchir avec des personnes hors du milieu universitaire. Nous avons également reçu des témoignages de personnes disant qu’elles n’auraient jamais pensé un jour assister à une activité à l’université et qui en ont retiré une grande fierté.
Enjeux
Malgré tous ces aspects positifs, l’expérience nous a montré qu’il est loin d’être simple de mettre en œuvre un espace de collaboration entre des milieux qui se côtoient peu habituellement. Loin d’être insurmontables, nous croyons que ces difficultés sont partie intégrante de ce genre d’expérience, surtout lors des premières éditions. Comme nous souhaitons voir ce type d’activité se multiplier, nous voulons présenter les défis qui se dégagent de notre expérience à la suite des deux éditions de l’École d’été citoyenne de façon à aider quiconque veut s’inspirer de notre projet et créer des espaces de collaboration entre acteurs de différents milieux.
Le calendrier
Un des premiers défis sur lequel il faudrait réfléchir est le peu de participation de personnes appartenant au milieu universitaire. En effet, l’expérience montre une belle participation de la communauté, que ce soit à la première édition qui s’est tenue principalement sur le campus, qu’à la deuxième dans des locaux externes. Toutefois, la participation des universitaires (étudiantes et étudiants, professeur·e·s, etc.) a été plutôt faible. Or, pour mieux répondre à l’objectif de rapprochement entre la communauté et l’université, il serait impératif de les attirer davantage. Cette situation soulève la question du meilleur moment où tenir l’événement. En effet, les mois de mai et juin se veulent des mois fort occupés pour les professeur·e·s alors que c’est la fin de session, la correction et une série de colloques où leur participation est nécessaire pour diffuser leurs travaux et pour se tenir à jour dans leur domaine d’expertise. D’autre part, beaucoup d’étudiantes et d’étudiants ont quitté la région à la fin de la session et la majorité a intégré un emploi rémunéré dès la fin de la session.
Des réalités différentes
Il faut aussi considérer les différentes réalités, celles du milieu universitaire, des organismes communautaires et de la population. À titre d’exemple, examinons la production du zine. Du côté de l’université, cette activité s’intègre à plusieurs autres et les réflexions et échanges lors de l’événement s’insèrent souvent dans un bassin plus grand de matériaux nécessaires au développement de travaux de recherche. De l’autre côté, les personnes peuvent parfois s’attendre à des résultats plus rapides associés aux suites de l’événement. Dans le cas des artistes du LAB, il aurait été souhaitable de voir les résultats concrets de leur travail plus rapidement, alors que le zine de la première année a été lancé un an plus tard, à l’ouverture de la seconde édition.
Outre le moment de l’année où tenir ce genre d’événement, l’horaire demeure une difficulté. La première édition de l’École d’été a eu lieu du mardi au vendredi. Or, selon des commentaires adressés au comité organisateur, les personnes occupant un emploi peuvent difficilement se libérer quatre jours durant la semaine pour assister à l’événement. C’est ainsi que la deuxième année, on a décidé de tenir l’événement du mercredi au samedi. Dans ce cas-là, la participation a été moindre le samedi, alors que les personnes en congé ont profité d’une belle journée estivale.
Un troisième défi consiste à trouver un juste milieu quant au degré de sensibilisation des personnes présentes. Loin de nous l’intention de les hiérarchiser, mais il faut quand même reconnaitre qu’il est normal qu’il y ait certaines différences. C’est justement dans cette perspective que ça devient un défi. Nous avons d’un côté des personnes dont le niveau de sensibilisation à certains enjeux sociaux est élevé alors qu’il l’est moins chez d’autres. Évidemment, cette situation peut occasionner des frictions. Or, si nous revenons à l’objectif premier de l’événement, soit de démocratiser l’université en favorisant un rapprochement avec la population, il faudra voir à créer un lieu de réflexion où les deux milieux peuvent se côtoyer et se respecter. Il faudra développer une certaine tolérance pour éviter les clivages et pour créer des espaces d’ouverture afin que des discussions franches puissent avoir lieu dans l’optique de sensibiliser le plus grand nombre et de favoriser un meilleur vivre ensemble.
Un autre défi consiste à trouver la place de toutes et tous dans l’organisation de l’événement, c’est-à-dire mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Évidemment, il est normal de donner de la visibilité à l’université qui finance l’ensemble du projet. Cependant, la contribution des acteurs est à la hauteur de leurs ressources. Donc, encore ici, il faut se rappeler l’objectif initial de l’événement : rapprocher la population et l’université. Dans cette perspective, l’ensemble des acteurs qui collaborent à l’organisation devraient être mis à égalité dans les médias, à titre d’exemple.
Finalement, il faut soulever l’enjeu de la gratuité de l’inscription à l’événement. En effet, nous avons constaté, lors des deux événements, un important taux d’absentéisme par rapport au nombre de personnes inscrites. Il devient alors difficile de planifier les activités. Dès lors, comment maintenir l’accessibilité à l’événement, ici la gratuité, tout en ayant un moyen fiable de prédire le nombre de personnes participantes ?
Conclusion
En terminant, il est important de rappeler que malgré les nombreux enjeux soulevés, nous demeurons fiers des résultats obtenus. Nous croyons à la pertinence de ce genre d’événement et nous souhaitons cerner ces enjeux afin d’améliorer les éditions à venir, mais également pour faciliter la tâche des personnes qui seraient tentées de s’en inspirer. Nous espérons voir les initiatives de ce type se multiplier afin de travailler vers l’objectif commun, soit une société plus juste où l’implication de toutes et tous est encouragée.
Finalement, nous pouvons annoncer qu’une troisième édition de l’École d’été citoyenne aura lieu. Elle se déroulera les 21 et 22 mai ainsi que les 6 et 7 juin 2025. La programmation sera disponible prochainement sur le site Internet de l’UQO ainsi que sur la page Facebook de l’événement.
Par Martin Chartrand, Chargé de cours au département de travail social de l’UQO
- Martin Chartrand a agi comme chargé de projet lors des deux premières éditions de l’École d’été citoyenne. ↑
- Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Référentiel des compétences des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux, 20212. ↑
- La directrice du CSIPU, Mme Stéphanie Demers, maintenant doyenne des études, et son équipe vont collaborer avec la professeure St-Amour à l’organisation de l’événement. ↑
- Le comité organisateur fut complété par Joey Néron du CSIPU. ↑
- <https://trocao.org/wp/>. ↑
- <https://lfpo.org/qui-sommes-nous/>. ↑
- UQO, Une toute première École d’été citoyenne à l’UQO, 2023. ↑
- Ibid. ↑
- Pour plus de détails, voir le Guide de la personne participante. ↑
- <http://www.cipto.qc.ca/>. ↑
- <http://www.cipto.qc.ca/le-lab/>. ↑
- <https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8363521/zine>. ↑
- Pour davantage de détails, voir le Guide de la personne participante : <https://uqo.ca/ecole-ete-citoyenne-2024/guide-la-personne-participante>. ↑





