Joseph Cardella
Article paru dans l’hebdomadaire mauricienWeek Enddu dimanche 9 novembre 2008)
Quelque soit notre provenance sociale ou culturelle, nous possédons tous des savoirs. Qu’ils soient manuels, culturels, artistiques, sociaux ou autres, nous savons tous des choses, et savons tous faire des choses. Le savoir est le propre des humains. Partant de là, l’ignorance n’existe pas. On peut être ignorant de telle ou telle chose, mais l’ignorance absolue n’existe pas. Or qu’est-ce qui fait que dans nombre de sociétés quelqu’un qui n’est pas allé à l’école soit catalogué d’ignorant ? Cette stigmatisation, comme toutes les autres d’ailleurs, est sociale, et permet de départager ceux qui « savent » de ceux qui ne « savent » pas.
Or le savoir dans les sociétés est synonyme de pouvoir. Ceux qui connaissaient les textes sacrés et les lois religieuses ont toujours eu le pouvoir dans les sociétés antiques. Le pouvoir politique et le pouvoir religieux ont toujours été entremêlés, voire parfois inextricables. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Le savoir est-il toujours synonyme de pouvoir ? Les « spécialistes » et les « savants » ont peut-être remplacé les anciens prêtres dans le pouvoir qu’ils détenaient dans la société. Aussi, on voit bien que le diplôme confère un statut qui donne du pouvoir. Les diplômés sont perçus comme des personnes ayant un savoir… et donc du pouvoir.
Aujourd’hui, de plus en plus, certains savoirs ont une importance considérable, car ils sont liés à l’économie et aux décisions politiques. Il suffit de voir les grands projets dans notre île liés au savoir : Knowledge Hub, Cyber City, tous dédiés à la connaissance. Nous produisons donc des techniciens, des savants de toutes espèces. Et nous sommes dans tous ces cas dans une spécialisation du savoir qui demandent de longues années de formations à des techniques bien précises, et en constante évolution. Ce savoir, ou plutôt ces savoirs, sont-ils accessibles à tous ? Se pose ici la question des études. Tout le monde a-t-il les moyens de faire des études ? Bien évidemment non. Les classes sociales les plus défavorisées sont, de facto, les moins scolarisées (ou les plus mal scolarisées), et celles qui comptent le moins d’individus dans les études supérieures. Mais bien plus que le savoir, c’est la mise à distance du savoir qui va nous préoccuper ici.
En effet, c’est la démarche critique qui nous semble ici essentielle. Distinguons le savoir comme un ensemble de connaissances scientifiques ou techniques dans un domaine donné, et la démarche critique. Interroger le savoir, sa place dans la société, ce qu’il véhicule, et le situer toujours dans un contexte précis, voilà ce que peut être une démarche critique. Développer la capacité de chacun à pouvoir évaluer et apprécier de manière rationnelle une expérience, une théorie, une conception, voilà ce que l’on peut appeler un esprit critique et interrogateur. Ne pas s’arrêter à ce que l’on entend ou que l’on croit savoir, c’est cela user du sens critique. Mais on pourrait nous objecter comment savoir qu’une chose que l’on croit vraie est en réalité fausse ? C’est justement en étant confronté à d’autres types de savoir, et plus particulièrement à un savoir critique que l’on peut se rendre compte de certains préjugés qui nous gouvernent, d’idées préconçues qui nous ont toujours accompagnés… et rassurés.
Imaginons une approche où non seulement certains savoirs seraient mis à la portée d’un public non spécialiste, mais où aussi l’interrogation sur ces savoirs seraient une des finalités de cette approche : cela semblerait une tâche énorme, voire impossible. Concevons un endroit où nous pourrions, à partir de certains contenus, nous interroger sur certaines idées reçues, et questionner nos propres expériences quotidiennes. Pensons à une structure qui viserait l’élitisme pour tous (voir encadré), où chacun pourrait, en fonction de ses capacités, interroger le monde et s’interroger lui-même. Où celles et ceux qui n’ont pas fait d’études ou les ont arrêtées prématurément pourraient légitimement avoir accès à des connaissances présentées avec une certaine rigueur et participer à des échanges à partir de ces connaissances. Songeons à un lieu où ce ne sont pas les meilleurs éléments rudement sélectionnés qui ont le droit d’y entrer (élitisme), mais où chacun, en fonction de ces capacités, pourraient trouver une place dans la le partage de la connaissance et dans une interaction soutenue avec celui qui transmet cette connaissance. Cet endroit, en réalité, essaie de réunir toutes ces conditions évoquées plus haut, d’ouvrir le savoir au plus grand nombre, d’amener les gens à réfléchir sur un sujet ou une question, de proposer un éventail assez large de disciplines autour de questions contemporaines et de problématiques actuelles et complexes. C’est ce que s’efforce de proposer et de défendre l’Université populaire depuis sa création en octobre 2007.
Joseph Cardella
Initiateur et responsable de l’Université populaire