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Le NPD peut-il se mettre au diapason du Québec ?

Frédérick Guillaume Dufour (professeur au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal)

 

En 2015, des chercheurs québécois et moi avons appuyé le NPD aux élections fédérales. Pour une rare fois, nous pouvions appuyer non seulement les politiques économiques du parti, mais aussi la vision de la fédération qu’il avait endossé sous Jack Layton depuis 2006: la Déclaration de Sherbrooke[1]. La gauche québécoise n’a pas de difficulté à appuyer une formation sociale-démocrate ou écologiste, mais elle en a encore moins quand cette formation reconnait et prend au sérieux la complexité de sa trajectoire historique. La Déclaration de Sherbrooke prenait en compte cette complexité.

L’ouverture

Dave McGrane et moi avons enquêté sur l’appui du NPD au moment où le parti était au sommet des sondages au Québec en 2015[2]. Nous questionnions les députés, les membres et les électeurs potentiels du parti, au Québec et dans le reste du Canada, sur différentes dimensions du fédéralisme asymétrique incarné par la déclaration de Sherbrooke. Notre analyse confirmait l’attachement à ces principes par les députés et électeurs potentiels du Québec. Elle montrait également que les électeurs du reste du Canada étaient davantage en accord avec l’esprit de la déclaration qu’avec sa traduction dans des principes politiques. Deux conséquences pratiques découlaient de cette analyse : le parti devait capitaliser sur cette plateforme pour conserver son attrait au Québec et il devait faire un meilleur travail pour expliquer l’importance de la déclaration aux députés du reste du Canada. Depuis 2015, trop peu a été fait sur ces deux fronts.

Comment rater le coche ?

Le 22 août dernier, le NPD commémorait le 10ème anniversaire de la mort de Jack Layton. Que le parti ait capitalisé sur l’image de son ancien chef est de bonne guerre. Ce qui est plus décevant, c’est qu’il ait raté l’occasion de rappeler que sa contribution la plus substantielle concernant le Québec était la Déclaration de Sherbrooke. Si Layton a rallié autant de Québécois, ce n’était pas pour son image et son visage sympathique. C’était parce que pour une rare fois, des électeurs québécois pouvaient voter pour une formation sociale-démocrate qui ne faisait pas l’impasse sur des décennies de luttes de reconnaissance menées au Québec. En tablettant la déclaration de Sherbrooke, le NPD n’a pas seulement miné sa capacité à offrir à une partie de la gauche québécoise une conception de la fédération dans laquelle elle peut se reconnaître, il a aussi miné sa capacité à maintenir dans son sillon les militantes et militants avec qui Layton était entré substantiellement en dialogue.

Se distinguer

Sur le plan tactique, cette décision explique aussi pourquoi le NPD semble manquer de munitions au Québec durant la campagne actuelle. Pourtant, il pourrait mieux y capitaliser sur les faiblesses de ses adversaires. La Déclaration de Sherbrooke distinguait clairement le NPD du Parti Vert, si ce parti existe encore… Le Parti Vert n’a jamais démontré le début d’une compréhension de la complexité de la vie politique québécoise et ce n’est visiblement pas sous sa cheffe actuelle qu’un tel intérêt va se manifester. Contre cette formation, le NPD aurait bien besoin de rappeler qu’il comprend que toutes les manifestations de luttes de reconnaissance des québécoises et québécois ne peuvent pas être réduites de façons infantiles à des manifestations de racisme.

À la recherche d’une alternative

L’esprit de la Déclaration de Sherbrooke permettait aussi au NPD de ne pas laisser tout le terrain identitaire au Bloc Québécois. Ce dernier est parvenu à maintenir une cote de popularité non négligeable depuis la dernière élection. Son cadrage selon lequel il « défend le Québec » active une polarisation qui est renforcée par le Quebec Bashing des autres formations. Cependant, le fait que le Bloc se positionne comme la courroie de transmission de la CAQ dans l’arène fédérale le place dans une situation fragile autant auprès de la gauche fédéraliste que nationaliste au Québec. L’appui de Blanchet au projet de troisième lien entre Québec et Lévis illustre ce problème de crédibilité. Les partis d’opposition à l’Assemblée nationale sont unanimes pour considérer ce projet comme une aberration financière, économique et écologique. À côté de ce fiasco annoncé, même l’amphithéâtre vide de la ville de Québec a l’allure d’un projet visionnaire. Par conséquent, plusieurs militantes et militants de Québec Solidaire et du Parti Québécois cherchent une alternative à ce qu’ils perçoivent comme un laquait de la CAQ sur l’échiquier fédéral. Le NPD gagnerait à leur offrir cette alternative en mettant de l’avant son ouverture au fédéralisme asymétrique et à l’autonomie gouvernementale qu’il manifestait de 2006 à 2015.

Un peu d’audace svp

L’esprit de la Déclaration de Sherbrooke permettait également de distinguer clairement le NPD du Parti Libéral (PLC) au niveau de leurs visions respectives de la fédération. Comme dans le reste du pays, le PLC a l’avantage d’être perçu comme le seul parti en mesure de bloquer le Parti Conservateur. Dans la présente élection, le PLC a également l’avantage d’avoir défendu une gestion rationnelle de la crise sanitaire et de ne pas donner l’impression que la francophonie canadienne est un fardeau dont les gouvernements conservateurs des provinces peuvent massacrer les institutions d’enseignement supérieur. Pour se démarquer du PLC auprès des gauches québécoises, le NPD a besoin d’un programme plus ambitieux que lui en matière environnementale; d’un engagement plus ferme à s’attaquer aux inégalités économiques, et d’une compréhension sincère des luttes de reconnaissance portées par les militantes et militants au Québec et les minorités francophones dans le reste du Canada. Le NPD fait bonne figure sur les premiers éléments. Le bilan du PLC en matière environnementale est sous les attentes et Blanchet n’a plus de crédibilité sur ce terrain. Or, le NPD de Singh est plus maladroit en ce qui concerne le troisième élément. En ne ravivant pas la Déclaration de Sherbrooke, il se prive de l’horizon qui lui permettrait de gagner non pas un vote par dépit, mais un véritable engagement politique chez ces militantes et militants.

Des conséquences tactiques aux conséquences politiques

Sur le plan tactique, l’abandon de l’horizon de Sherbrooke explique donc pourquoi le NPD est à court de munitions dans le cadre de sa campagne actuelle au Québec. Toutefois au-delà de la tactique et de la stratégie, il y a l’enjeu de la vision politique du parti. Un parti politique doit proposer une véritable vision politique de la fédération, pas un catalogue de statuts facebook d’intellectuels offusqués.

La conception du fédéralisme qui était défendue dans l’esprit de Sherbrooke reposait sur l’idée que les luttes sociales pour une plus grande redistribution des revenus, des fortunes et des opportunités ne sont pas mutuellement exclusives avec les luttes de reconnaissance menées par les Premières nations, une grande partie des Québécois, les minorités francophones hors Québec et les groupes racisés. À cet égard, elle représentait un véritablement changement de philosophie par rapport à la conception centralisatrice d’une série de leaders du NPD dont on se souvient de la morgue à l’égard des revendications du Québec. Cette conception reposait sur un horizon politique de réconciliation des mémoires où celles-ci n’entraient pas dans un jeu à somme nulle. Ainsi, l’on ne votait pas seulement pour Layton, mais parce que le projet qu’il portait pouvait aussi être porté sans complexe par Alexandre Boulerice, par l’avocat cri Romeo Saguanash et par l’acadien Ivon Godin. Enfin sur le plan sociohistorique, cette conception reposait aussi sur l’idées que l’histoire canadienne a vu se succéder des hiérarchies coloniales, nationales et raciales qui lui sont spécifiques et qui ne peuvent pas être amalgamées vulgairement à celles de l’histoire des États-Unis ou de la France.

Reconstruire le NPD au Québec

Autant sur le plan tactique, que politique et sociohistorique, le NPD doit donc raviver l’héritage le plus important de la mémoire de Layton : une vision de la fédération qui est profondément ancrée dans la reconnaissance des luttes sociales qui y sont menées et où un dialogue sérieux est engagé avec les militantes et militants du Québec. Pour ce faire, des ajustements doivent être effectués non seulement d’ici la fin de la campagne, mais pour la reconstruction du parti au Québec. Ce sera aux députés.es et militantes et militants du Québec de porter ce véritable héritage de Layton. Celui-ci ne se résume à une image ou à ses derniers mots avant de mourir. Il consiste en une véritable proposition politique qui tient compte de la complexité des luttes historiques menées dans ce pays.

 

 

 

[1] https://www.boulerice.org/declaration-de-sherbrooke

[2] McGrane, David et Frédérick G. Dufour. « La divergence entre principes et politiques : le NPD, le nationalisme de reconnaissance et le fédéralisme asymétrique en 2014-2015. » Politique et Sociétés, volume 39, number 3, 2020, p. 161–187. https://doi.org/10.7202/1072089ar

 

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