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Des chantiers pour changer le monde

Dans le sillon du Forum social mondial, un nouveau paysage social prend forme : un autre monde est non seulement possible et nécessaire, mais il est déjà en construction à travers une très grande multitude d’initiatives qui se déclinent à tous les niveaux, du local au global.

Ces propositions alternatives rejettent les modèles globaux et prônent une vision positive de la diversité qui mise sur l’autonomie créative de tous ceux et celles qui, au stade individuel ou collectif, se conçoivent comme les artisans d’un changement social salutaire pour l’humanité. En somme, comme le scandaient les participants au FSM de Porto Alegre en 2005, plutôt qu’une solution de masse, la mouvance altermondialiste propose une masse de solutions. Changer le monde, cela commence par se changer soi-même, en pensant et agissant différemment. Cela se poursuit dans son quartier, son école, sa communauté, sa ville, sa région, son pays, sa planète.

Cela peut commencer en relayant un message, puis en posant un geste, en suscitant des discussions, en travaillant autrement, en votant avec conscience, en consommant différemment, en donnant et en recevant… mais dans tous les cas, cela se fait dans l’ouverture et la relation à l’autre, avec comme principe cardinal, le souci du bien commun. De ce foisonnement émergent de manière parcellaire de grands chantiers, qui sont autant de voies d’avenir pour reconstruire les sociétés au-delà du développement.

Chantier 1 : Domestiquer la finance internationale

 

Contrôler ce secteur économique afin de le remettre en phase avec les besoins des sociétés, tel est le cheval de bataille de nombreuses organisations de la société civile, tel l’association ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne). Mise sur pied en 1998 pour remettre la finance au service des citoyens. ATTAC est aujourd’hui un réseau international, présent dans 40 pays et s’appuyant sur plus de mille groupes locaux. Sa principale proposition, inspirée par l’économiste James Tobin, consiste à instaurer une taxe sur l’ensemble des transactions financières afin, d’une part, de limiter l’activité spéculative et, d’autre part, de financer des politiques publiques visant le développement des pays du Sud ainsi que la lutte contre les changements climatiques.

Une telle taxe mondiale à un taux de 0,05% permettrait de couvrir le coût de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (180 milliards de dollars), d’aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques (170 milliards) et d’éponger les déficits budgétaires des pays développés (360 milliards). L’idée de cette taxe est aujourd’hui reprise par plusieurs pays. Une autre idée vise à domestiquer la finance par l’abolition les paradis fiscaux, ces territoires où l’on ne paie pas d’impôt.

Le nombre de ces paradis fiscaux a triplé ces trente dernières années, ce qui permet aux riches de mettre à l’abri du fisc entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars. Depuis 2009, plusieurs réseaux citoyens ont créé l’Indice d’opacité financière qui permet d’établir la liste des pays qui favorisent l’évasion fiscale. En tête du classement 2013, nous retrouvons la Suisse, le Luxembourg, Hong Kong, les Îles Caïmans, Singapour et les États-Unis. Les revendications semblent porter fruit puisque, depuis la crise de 2008, 120 pays se sont engagés à mettre fin au secret bancaire.

Chantier 2 : démondialiser la planète

 

Aujourd’hui, près de 600 accords commerciaux en vigueur ou en cours de négociation limitent les capacités d’intervention des États au profit d’une économie « globalisée », c’est-à-dire des entreprises multinationales et des grandes institutions financières.  De l’insurrection zapatiste au Chiapas mexicain (1994), aux manifestations contre l’OMC à Seattle en 1999, en passant par les mobilisations contre l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) en 1998, des actions ont obtenu des gains en démystifiant les effets du libre-échange et en ralliant à leur cause certains gouvernements. Ce fut le cas pour la Zone de libre-échange des Amérique (ZLEA) qui finalement a été bloquée par les populations et les États d’Amérique latine en 2005. Aujourd’hui encore, la contestation se poursuit, d’où la paralysie de l’OMC, toujours incapable d’imposer la « médecine » néolibérale à l’ensemble du monde.

La question de la libéralisation du secteur de l’agriculture est un sujet très sensible qui peut conduire à poser des gestes dramatiques, mais aussi à élaborer des propositions porteuses d’avenir. C’est pour dénoncer le sort tragique réservé aux agriculteurs de son pays, suite à l’ouverture de leur marché au riz américain, que le leader paysan sud-coréen, Lee Kyung Hae, s’est planté un poignard dans le cœur, durant la Conférence de l’OMC à Cancún. En Inde, près de 250 000 paysans se sont suicidés depuis 1997.

C’est pour remédier à ces drames que le mouvement paysan international Via campesina, qui regroupe 150 organisations représentant 200 millions de paysans, revendique la souveraineté alimentaire des peuples, ce qui signifie que les paysans doivent produire avant tout pour se nourrir, eux-mêmes, leurs familles et leurs communautés. Sa proposition principale vise à stimuler l’agriculture locale et vivrière, plutôt que l’agro-industrie d’exportation.

C’est dans une perspective similaire qu’il faut aborder le courant du commerce équitable. Il se base sur une relation directe entre consommateurs conscientisés et responsables situés au Nord et petits producteurs au Sud rassemblés en coopératives de production. Cette nouvelle relation de solidarité fondée sur une juste rétribution des producteurs est possible grâce à la mise en place de réseaux de distribution (Oxfam, Artisans du monde, la Fair Trade Federation en Amérique du Nord ou encore le Network of European Worldshops) et de certification (World Fair Trade Organization-WFTO, Fair trade Labelling Organizations-FLO, Max Havelaar). Le commerce équitable implique plus de deux millions de producteurs répartis dans 75 pays, avec un chiffre d’affaire en forte progression récemment évalué entre 5,5 et 6 milliards d’euros (2012).

Du côté des consommateurs, près de 80 millions de familles font régulièrement le choix équitable.  Le chantier de la démondialisation de la planète vise à desserrer les liens tissés entre les pays par les accords commerciaux et financiers. Il repose sur une diversité de stratégie, allant de la contestation des accords. Dans tous les cas, au cœur de cette nouvelle manière de commercer, se trouve une préoccupation fondamentale : le bien-être des communautés et l’essor de l’économie locale.

 Chantier 3 : Socialiser l’économie

 

Repenser les échanges internationaux sur des bases solidaires constitue un chantier fondamental du post-développement envisagé par la mouvance altermondialiste. Cette approche se prolonge par une nouvelle façon de concevoir les rapports de production. C’est le chantier ouvert par les organismes d’économie sociale et solidaire (ESS). Alternative à la logique capitaliste centrée sur la maximisation du profit, la mobilité du capital, la croissance absolue et la loi de la concurrence, l’ESS est construite autour de cinq piliers :

  • une lucrativité maîtrisée.
  • Une organisation interne démocratique (modèle coopératif).
  • Une logique d’engagement social dans la communauté.
  • Une orientation vers la recherche du « bien vivre ».
  • Un ancrage territorial local.

En France, le secteur de l’ESS constitue 10 % du PIB et emploi 2,35 millions de salariés répartis dans plus de 200 000 entreprises sociales et solidaires. En Argentine, l’ESS, considérée comme une stratégie de sortie de crise suite à la faillite du pays en 2001, représente 10% du PIB et 22% de la production agricole. Au Canada, l’ESS fournit de l’emploi à plus de 100 000 personnes. Cette tendance visant la réinsertion des populations exclues se retrouve dans plusieurs autre pays d’Amérique latine et d’Afrique, où l’ESS apparaît aujourd’hui comme une solution afin de fournir un service minimum de protection sociale à près de 80% de la population, qui œuvrent dans les secteurs informel et rural et qui ne peuvent bénéficier des régimes publics ou privés.

Si l’ESS semble aujourd’hui avoir le vent dans les voiles, elle n’est cependant pas à l’abri des critiques. Pour plusieurs, elle apparaît comme une forme de subsidiarité de l’action publique qui permet à l’État de se dégager de ses obligations vis-à-vis de ses administrés, ce qui alimente la vision néolibérale préconisant le recul de l’interventionnisme étatique dans le contexte de mondialisation.

Chantier 4 : Rendre leur dignité aux travailleurs et aux travailleuses

 

L’un des moteurs de la mondialisation néolibérale réside dans la prolifération des investissements directs étrangers (IDE). Cette migration du capital rend compte de l’extension des ramifications des entreprises multinationales, soit par la délocalisation des usines, soit par l’achat de filiales à l’étranger. Ce qui pousse les entreprises à se mondialiser en répartissant leurs unités de production aux quatre coins du globe, c’est la recherche d’une plus grande compétitivité, et cela passe généralement par une équation simple : produire plus à moindre frais. Et dans ce calcul, le coût et la docilité de la main d’œuvre sont des facteurs de premier plan.

Ce qu’on appelle le dumping social, c’est cette concurrence déloyale entre pays qui conduit à une réduction généralisée des conditions de travail du fait de la délocalisation des emplois des pays à haut salaire et forte protection sociale, vers des pays où la main d’œuvre est moins bien payée et protégée. Sachant qu’entre 1980 et 2008, le volume des IDE a été multiplié par 40, on prend la mesure de l’impact du phénomène sur l’évolution des conditions de travail.  Une stratégie de changement est donc nécessaire. Dans cette vaste entreprise, la promotion du travail décent constitue un axe important. Viser un travail décent suppose de déployer, au niveau national mais aussi mondial, un ensemble de politiques qui doivent être complémentaires et simultanées, et qui s’inscrivent sous quatre priorités : la recherche du plein emploi, le développement de la protection sociale, la défense des droits fondamentaux au travail et le renforcement du dialogue social.

Le mouvement syndical international s’est investi avec la mouvance altermondialiste dans la lutte pour promouvoir le travail décent. La Confédération syndicale internationale (CSI) regroupe 180 millions de travailleurs affiliés à 315 organisations syndicales réparties dans 156 pays. En 2013, la CSI a organisé 274 actions de sensibilisation sur le thème du travail décent dans 64 pays. Ces actions sont déployées dans le cadre de coalitions incluant syndicats, associations de consommateurs, organismes de coopération international, etc. C’est le cas de Clean Clothes Campaign ou Labour Behind the Label, des réseaux européens qui dénonce les conditions de travail aliénantes dans l’industrie du vêtement. Également, The Asia Floor Wage Alliance revendique un salaire décent pour les travailleurs de l’industrie textile en Asie. Notons aussi Play Fair, une campagne mondiale visant à promouvoir les droits des travailleurs œuvrant à la préparation d’événements sportifs internationaux (coupe du monde de football, jeux olympiques…).

Chantier 5 : démocratiser la démocratie

 

Au-delà de la sphère économique, l’univers du politique doit lui aussi être repensé dans la perspective du post-développement. La démocratie représentative est entrée en crise, rendant de plus en plus évidente la fracture entre gouvernants et gouvernés. Les différents gouvernements qui se succèdent appliquent les mêmes politiques d’austérité (rigueur budgétaire, réduction des dépenses publiques, libéralisation commerciale et financière). Pour contrer cette tendance à l’évitement du débat démocratique, de nombreuses initiatives visent à promouvoir la participation citoyenne.

Dans la ville de Porto Alegre, qui a été l’hôte du premier Forum social mondial, les citoyen-nes expérimentent le budget participatif, qui permet à la population de discuter et définir le budget et les politiques publiques municipales. Aujourd’hui, on évalue qu’il y a plus de 300 budgets participatifs dans le monde. Au-delà de cette pratique, apparaît la volonté de redonner aux gens un pouvoir dans le processus d’élaboration des règles de la vie commune dans la mise en œuvre des politiques publiques.

 Démocratie participative

Depuis 2003, les insurgés du Chiapas ont rassemblé les 38 municipalités qu’ils contrôlent en cinq caracoles. Ces territoires zapatistes autonomes depuis 1994 sont administrés par des Conseils de bon gouvernement. Les membres de ces conseils sont désignés par consensus par les assemblées communautaires des municipalités administrées et ne siègent que par rotation (pour des périodes de 10 jours). Ils ne reçoivent aucune rémunération pour ces tâches perçues comme un service à la communauté où la participation des femmes est fortement encouragée. Certes, par ce système de rotation des charges publiques, les Conseils peuvent perdre en efficacité, mais cela à l’avantage de permettre à tout le monde de prendre part à la gestion du bien commun et surtout d’apprendre par la pratique l’autogouvernement.

 

Cette logique d’auto-organisation se retrouve dans les mobilisations des indignés et de Occupy.  Par le geste symbolique de se réapproprier l’espace public, de revendiquer La rue est à nous ! et d’occuper les parcs, les occupants signifiaient à la fois leur critique des processus de privatisation de la vie collective, mais surtout, leur volonté de se réapproprier la démocratie et de lutter contre la confiscation représentative. Sur les places occupées, que ce soit à New York, Madrid, Rio ou Montréal, les décisions collectives étaient prises en assemblée générale sur la place, les animateurs d’assemblée et les orateurs étaient tirés au sort parmi des volontaires, les charges au sein des campements étaient réparties selon une rotation systématique, les formes d’échange et de communication favorisaient l’écoute active et le refus de la dictature de l’urgence.

  

 

Chantier 6 : pratiquer la sobriété heureuse

 

Pour la mouvance altermondialiste, lutter contre le réchauffement climatique exige une profonde réforme du système productiviste et pour le moment aucun gouvernement n’a le courage d’aborder de front ce problème. Certains pays adoptent même des positions carrément régressives (le Canada, par exemple). L’urgence d’agir, pourtant, apparaît de plus en plus clairement. Selon le rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants, 250 millions de personnes d’ici 2050 pourraient devenir des « réfugiés climatiques » à cause des catastrophes environnementales.  Dans l’optique du post-développement, la croissance économique n’est pas la solution, mais le problème. Pour sortir du cycle infernal d’une croissance insoutenable, plusieurs proposent de mettre de l’avant la notion de décroissance conviviale, voire la « sobriété heureuse ».

Vivre sobrement, par ailleurs, ne veut pas dire se priver, mais plutôt refuser la société de gaspillage fondée sur une consommation compulsive ou dit autrement, s’émanciper de la condition de consommateur faussement hédoniste pour redevenir des êtres humains socialisés et solidaires. En fait, la décroissance suppose de produire plus de liens (sociaux) et moins de biens (matériels), de ré encastrer l’économie dans des rapports sociaux locaux, de proximité. Cela est visible dans les nombreuses expériences alternatives autour des monnaies locales et des Systèmes d’échanges locaux, du réseau des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne en France, de l’agriculture soutenue par la communauté et du réseau des fermiers de famille au Québec, de l’agro-écologie, du tourisme vert de proximité, de la finance lente et des coopératives de toutes sortes.

 Du PIB au BNB

Plutôt que de mesurer le développement et la richesse de manière purement matérielle à l’aide du Produit intérieur brut (PIB), il importe d’adopter des indicateurs plus englobants, comme ceux élaborés par le Programme des Nations Unies pour le développement, soit l’Indice de développement humain (IDH). Plusieurs suggèrent d’aller encore plus loin, en suivant le modèle du Bhoutan qui, depuis 1972, fait la promotion du Bonheur national brut (BNB), qui mesure à la fois la croissance économique, la promotion de la culture nationale, la sauvegarde de l’environnement et une gouvernance responsable. Signe d’un changement de mentalité, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté en juillet 2011 une résolution appelant à introduire la notion de bonheur dans les indicateurs de développement.  

Chantier 7 : Vivre bien

 

Si le mouvement pour la décroissance trouve ses racines en Europe, les pays andins d’Amérique du Sud ont apporté leur pierre à l’édifice du post-développement à travers la notion du buen vivir (vivre bien). Ensemble de principes éthiques issus de la cosmovision amérindienne, le vivre bien (traduction de Sumak Kawsay en quechua) entend réconcilier le développement humain et celui de la nature. Il suggère de substituer à la logique actuelle de surexploitation des ressources à des fins d’accumulation individuelle illimitée de capital, le respect des droits de la Terre-Mère (Pachamama) dans un rapport d’équilibre et d’harmonie avec la nature. Il s’agit d’une rupture avec la conception occidentale du processus de civilisation qui tend à dissocier l’homme de la nature.  Cet héritage ancestral des peuples autochtones des Amériques a rejailli sur la scène internationale pour enrichir la réflexion sur le post-développement à la faveur de deux phénomènes conjoncturels.

Le premier est l’arrivée au pouvoir de l’Aymara Evo Morales en Bolivie (2006), suivie très vite de celle de Rafael Correa en Équateur (2007). Ces deux représentants de la gauche latino-américaine ont fait de la reconnaissance des peuples autochtones et de la cause environnementale leur cheval de bataille. D’ailleurs, ces deux pays ont récemment inscrit le droit de vivre bien dans leur nouvelle constitution, garantissant à tous leurs citoyens le droit à l’eau et à l’alimentation, à un environnement sain, à la communication, à la culture, à l’éducation, à l’habitat, à la santé, au travail et à la sécurité sociale.

Pour sa part, l’Équateur articule la lutte pour la justice sociale, l’égalité et l’abolition des privilèges, avec la construction d’une société qui respecte la diversité et la nature. C’est cela qui motivait son Initiative Yasuni-ITT, lancée en 2007, et qui visait la préservation d’une région amazonienne riche en biodiversité et en ressources pétrolières, en gelant l’exploitation de ces ressources fossiles, sous réserve d’obtention d’un fonds de compensation de la part de la communauté internationale. Malheureusement, le projet a été abandonné devant le peu d’enthousiasme des pays développés à alimenter ce fonds de solidarité écologique. Autrement, devant le blocage des négociations sur le renouvellement du protocole de Kyoto, la Bolivie a convoqué à Cochabamba en 2010 une conférence réunissant 35 000 participants, laquelle a débouché sur une déclaration sur les droits de la Pachamama.

Le texte reconnaît la dette climatique des pays développés par rapport au reste du monde, fait la promotion de la souveraineté alimentaire, des droits des peuples autochtones et des réfugiés climatiques et propose la création d’un Tribunal international pour la justice climatique et environnementale. En somme, cette crise structurelle de notre modèle de développement débouche sur un nouveau projet social, l’écosocialisme qui entend substituer la qualité de vie à la quantité de biens accumulé comme étalon du bonheur.

Chantier 8 : Prendre son temps

 

La vitesse et la mobilité ont été érigées au rang de vertu suprême de l’âge global. Ce n’est pas un hasard puisque ces deux phénomènes se nourrissent des innovations technologiques et du développement industriel et sont liés au moteur de la mondialisation : la productivité. Puisque le temps, c’est de l’argent, il ne faut pas le perdre, et surtout, toujours chercher à en gagner. Pourtant, que l’on soit riche ou pauvre, développé ou sous-développé, nous avons tous 24 heures dans une journée. Aussi, s’émanciper signifie avant tout changer le rapport à l’espace et au temps. C’est travailler moins pour vivre mieux.

C’est se relocaliser en pratiquant la politique de l’escargot. Telle est l’approche prônée par le mouvement Slow. Se définissant comme un mouvement pour la sauvegarde et le droit au plaisir, ce mouvement est né en Italie en 1986, pour défendre la gastronomie contre les ravages du Fast-food. Aujourd’hui, Slow-food compte près de 100 000 membres répartis dans 132 pays.

Ce mouvement promeut l’éducation au goût, défend la biodiversité et soutient les économies locales, durables et de petite échelle. Il se consacre à la protection des aliments de qualité et des méthodes de culture et de transformation traditionnelles et équitables. Le mouvement Slow Food estime que le seul type d’agriculture qui offre de vraies perspectives de développement est celui qui se base sur la sagesse des communautés locales en harmonie avec l’écosystème qui les entoure. Pour le mouvement, « manger est un acte agricole », et les consommateurs informés et conscients de l’impact de leurs choix sur les logiques de production alimentaire et sur la vie des producteurs deviennent des coproducteurs. Pour ces derniers, les aliments de qualité doivent être bons, propres et justes. Bons, capables de stimuler et de satisfaire les sens de ceux qui les consomment.

Propres, donc produits sans porter atteinte aux ressources de la terre, aux écosystèmes et à l’environnement, et sans mettre en danger la santé de quiconque. Et finalement justes, c’est-à-dire respectueux de la justice sociale dans le sens de rétributions et des conditions de travail équitables à chaque étape du processus, de la production à la consommation. Le mouvement Slow Food a par ailleurs encouragé la croissance du mouvement Cittaslow (Villes lentes), qui prônent, notamment, la fermeture du centre-ville au trafic automobile un jour par semaine et la création d’espaces et d’occasions de contact entre producteurs et consommateurs.

Pour ne pas conclure

 

Contrairement à une image bien connue, le monde actuel n’est pas divisé entre, d’une part, un monde « développé » et, de l’autre, un monde « en développement ». En réalité, il n’y a qu’un seul monde, et il est mal développé. Sortir des ornières dans lesquelles nous ont engagé le capitalisme aujourd’hui financiarisé n’est pas une mince affaire. Mais l’urgence écologique et la quête lancinante de justice sociale ne nous laissent pas le choix. Il nous faut reconstruire notre vie collective, ses fondements éthiques et ses finalités. Il nous faut aussi nous redéfinir personnellement, parce que changer le monde commence par se changer soi-même.

 

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