De l’usage de certains mots

 État

 Les éléments, les rouages et les définitions qui suivent de l’État ne sont pas exclusifs. Ils se complètent mutuellement, allant du plus abstrait au plus concret, afin d’obtenir la compréhension la plus extensive de ce qu’est l’État.

  • Trois éléments constitutifs de l’État : pouvoir politique exercé par un     Gouvernement sur la population d’un territoire déterminé.
  • Cinq rouages de l’État : pouvoir législatif, pouvoir exécutif (gouvernement), pouvoir administratif, pouvoir judiciaire (police, tribunaux, prisons) et pouvoir militaire.
  • État : pouvoir politique qui exerce le monopole de la contrainte physique légale sur    la population d’un territoire donné (définition inspirée de Max Weber).
  • État : pouvoir politique qui défend l’ordre social, en reproduisant les rapports de force inégaux entre classes sociales, entre genres (femmes et hommes), entre ethnies, entre citadins et urbains, entre régions… (définition inspirée de Karl Marx).
  • L’État repose sur un mélange de coercition et de consentement (Antonio Gramsci). Moins l’État a l’appui de la population, plus il utilisera les moyens répressifs. L’État qui ne repose que sur la répression est à la fois un État dictatorial et un État en crise.

 

Société civile

La notion de société civile est non seulement polysémique, elle est ambivalente et ambigüe. Sous cette appellation, nous devons donc distinguer, en nous fiant au contexte, les significations différentes, voire opposées, qu’il véhicule.

  • Domaine de la vie sociale qui est largement autonome de l’État.
  •  Certains documents, dont souvent ceux de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), identifient la société civile à l’économie et au marché, conformément au programme néolibéral.
  • Pour d’autres, dont l’UNESCO, la société civile comprend un ensemble d’organisations ou de groupes constitués de façon plus ou moins formelle et qui n’appartiennent ni à la sphère gouvernementale, ni à la sphère commerciale.
  • Cette dernière définition est compatible avec l’économie sociale ou solidaire qui ne vise pas le profit et qui est autonome par rapport à l’État.
  • La société civile regroupe également, d’un point de vue dynamique, les mouvements sociaux, c’est-à-dire l’ensemble des réseaux formels ou informels (des organisations et des acteurs isolés) construits sur la base de valeurs partagées ou sur la défense de droits sociaux, qui se mobilisent solidairement autour d’objectifs communs, en ayant recours à diverses formes de protestation (pétition, manifestation, grève, occupation, etc.) contre ceux qui entravent la réalisation de leurs objectifs. Les mouvements sociaux peuvent être conservateurs ou réformistes, réactionnaires ou révolutionnaires.
  • La société civile n’est pas homogène. Elle peut être traversée par des conflits de classe, de genre… Aussi, parler d’alliances implique la distinction entre ceux qui peuvent partager nos objectifs et ceux qui s’y opposeront.

Marché

Deux définitions différentes du marché :

  • système d’échanges de marchandises et de services entre acteurs économiques (producteurs, vendeurs, consommateurs) par l’intermédiaire de la monnaie;
  • système économique dont les acteurs principaux sont les entreprises privées qui entrent en compétition dans la poursuite de la croissance de la productivité et dont le moteur est le profit.

L’économie formelle est celle du marché compétitif (déf. no 2) dont les marchandises sont généralement taxées par l’État.

L’économie informelle échappe habituellement au marché no 2 et vise essentiellement, notamment dans l’agriculture vivrière, la satisfaction des besoins des familles paysannes elles-mêmes et de la population locale. Dans le marché local (no 1), les paysans et les artisans échangent, par l’intermédiaire de la monnaie, leurs produits en vue essentiellement de satisfaire les besoins de leurs familles respectives. Leur production n’est donc pas destinée à l’industrie ou à l’exportation et n’est pas mue par la recherche du profit. On distingue également l’économie sociale ou solidaire qui regroupe des associations d’individus qui, fonctionnant de manière autogérée et ne poursuivant pas le profit, offrent des services ou des produits répondant à des besoins sociaux. Ce type d’économie serait un tiers secteur entre le secteur privé, mû par le profit (marché no 2), et le secteur public et parapublic qui n’est pas autogéré.

Relations État-marché-société civile

Certains auteurs privilégient l’État par rapport à la société civile, soit parce qu’il pacifie la société déchirée par de multiples conflits (partisans de la loi et de l’ordre), soit parce qu’il instaure ou pourrait instaurer une certaine justice, en limitant la croissance des inégalités qu’entraîne le fonctionnement du libre marché (partisans de la justice sociale).

Les néolibéraux, qui identifient la société civile au marché, soutiennent le libre fonctionnement de celui-ci contre l’État dont l’exercice devrait se limiter à 3 fonctions : assurer la sécurité extérieure (l’armée), protéger la vie et la propriété de chacun (la police) et entretenir les ouvrages publics (par ex., les routes) que l’entreprise privée, mue par le profit, ne peut s’occuper. Ces intellectuels défendent le libre-échange, même s’il est inégal (le coton malien rendu non rentable par l’importation du coton américain produit par l’industrie agro-alimentaire et largement subventionné par le gouvernement états-unien; idem pour le riz haïtien) et la privatisation des grandes entreprises publiques par des multinationales qui achètent les politiciens par des prébendes et dont les faibles redevances ne rejoignent pas ou peu le peuple.

Il faut reconnaître l’efficacité économique de l’entreprise privée dans la production de marchandises. Mais le marché, laissé à lui-même, entraîne des effets pervers : exploitation de la main-d’œuvre, inégalité économique croissante au sein de chaque pays et entre pays, non-respect de l’environnement, crises financières et économiques comme celles que nous vivons, etc. Le marché doit donc être régulé, contrairement à ce que proclament les néolibéraux.

La société civile est favorisée également, mais pour des raisons inverses à celles soutenues par les néolibéraux, par des regroupements communautaires, des organisations non gouvernementales (ONG), des syndicats, etc. qui veulent satisfaire des besoins de la population ignorés ou peu considérés par l’entreprise privée et l’État (par exemple, l’éducation des adultes et l’alphabétisation). Elle est aussi appuyée par les partisans de l’économie sociale ou solidaire qui vise à ce que la communauté prenne la responsabilité de l’amélioration de ses conditions de vie par un cheminement qui combine formation, communication et démocratisation. Elle est de plus investie par des organismes militants, dont les organisations de la société civile (CSO), qui, au-delà d’une démarche charitable ou de services à rendre, veulent accroître _ au plan local d’abord, au plan national ensuite et, enfin, au plan continental et mondial _ le pouvoir des démunis par rapport à ceux qui dominent économiquement, politiquement et socialement. Au plan local, ces organisations visent la prise en main de leurs destinées par la population. Au plan national, elles désirent réformer l’État (lutte contre la corruption), augmenter les redevances des grandes multinationales qui exploitent les ressources du pays, démocratiser le fonctionnement de l’État (restriction du pouvoir de l’argent dans les élections, bannissement de l’achat des votes, médias autonomes par apport au gouvernement, etc.), défendre le rôle de redistribution sociale par un impôt progressif… Au plan continental et mondial, elles se battent pour détourner les grands organismes internationaux des grands spéculateurs financiers et des marchands de guerres, afin qu’ils se mettent au service de la paix, de la santé, de l’éducation…

Partenariat

Le partenariat, mot d’ordre défendu depuis quelque vingt ans en Relations industrielles, est devenu une mode partagée par différents acteurs. On parle ainsi souvent de partenariat entre société civile, le secteur privé et l’État.

Pour ne pas être dupe, on doit distinguer partenariat horizontal entre acteurs qui partagent plus ou moins les mêmes objectifs et les mêmes intérêts avec de moyens similaires (ex. syndicats et organismes communautaires) du partenariat vertical qui réunit des partenaires inégaux (syndicats et patrons; organisations communautaires et organismes subventionnaires).

Qui sont les acteurs de la société civile? Quels sont ceux de l’État ou de l’organisme continental ou international? Qui représente le secteur privé? Quels sont les intérêts de chacun? Les objectifs? Les moyens? Qui finance? Qui décide? La consultation, s’il y a lieu, est-elle formelle ou réelle? Qui exécute?

Le partenariat vertical est toujours structuré par un rapport de force. Il est donc plus ou moins conflictuel, les exécutants voulant acquérir un plus grand pouvoir de décision.

Gouvernance

La Banque mondiale popularise au début des années 1990 la notion de « bonne gouvernance », en affirmant qu’elle est une condition nécessaire au développement économique. La gouvernance est la manière dont un gouvernement exerce son pouvoir politique, administratif et économique et gère les ressources du pays. La bonne gouvernance reposerait sur quatre principes fondamentaux : la responsabilité et la transparence des instances gouvernementales et de ceux qui l’animent; la subordination des instances gouvernementales au droit (État de droit); la participation, dont les modalités demeurent vagues, de la société civile au fonctionnement de l’État.

En mettant l’accent sur la bonne gouvernance de l’État, la Banque mondiale minimise ses décisions et celles de la FMI qui ont favorisé la subordination des États au marché mondial, aux grandes multinationales et aux États dominants, dont celui des USA, et masque ses décisions qui ont rendu peu gouvernables les États dépendants.

J’adhère à la bonne gouvernance, mais il me semble que, pour dépasser une position purement vertueuse, il faudrait en étudier les conditions nationales et internationales, et se donner les moyens de sa réalisation.

Enfin, la notion de gouvernance ne saurait usurper la place essentielle que doit occuper la notion de démocratie.

Démocratie

État dans lequel la souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire à l’ensemble des citoyens. Il faut distinguer la démocratie directe où le peuple exerce directement les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (démocratie athénienne) de la démocratie représentative où les citoyens élisent leurs représentants pour exercer le pouvoir législatif et exécutif.

La plus ou moins grande représentativité des régimes démocratiques dépend de différentes conditions : séparation des pouvoirs législatif, exécutif (gouvernemental) et judiciaire; subordination de l’armée au pouvoir législatif; neutralité de l’appareil administratif par rapport aux gouvernements; autonomie des médias par rapport aux gouvernements; élections honnêtes et non subordonnées au pouvoir économique, etc.

Seule la démocratisation de l’État peut rendre possible une bonne gouvernance.

Plaidoyer

On utilise beaucoup dans certaines ONG le terme de plaidoyer à la place de celui d’argument qui signifie « raisonnement destiné à prouver une proposition ».

L’utilisation fréquente de « plaidoyer » indique que le langage juridique, celui des avocats, en est arrivé, pour des raisons qu’il faudrait analyser, à exercer son hégémonie sur le langage politique.

Le plaidoyer est un « discours prononcé devant un tribunal pour défendre le droit d’une des parties ». Or, le tribunal, par définition, doit être neutre vis-à-vis des parties. Or, lorsqu’une ONG « plaide » devant un organisme gouvernemental ou privé, il ne se retrouve pas devant un organisme neutre et objectif, mais devant un établissement qui a ses propres intérêts et objectifs, ainsi que son propre agenda.

Le plaidoyer peut ainsi être écarté par ces organisations pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la rigueur de l’argumentation. Pour aller de l’avant, l’ONG doit alors décider de passer du discours à l’action sociale et politique, en vue de modifier en sa faveur le rapport de forces qui le lie aux instances dominantes.

Citoyenneté et citoyenneté active

Le Citoyen est une personne qui a le droit de participer à la vie politique d’un État (droit de vote et d’éligibilité). Le concept de citoyen est donc lié à la démocratie : à l’époque de la royauté, il n’y avait pas de citoyens, mais uniquement des sujets, c’est-à-dire des personnes assujetties au roi. Le citoyen jouit de la protection de l’État, y compris à l’étranger (le passeport), de droits politiques (il est détenteur d’une partie de la souveraineté politique) et est assujetti à des devoirs (payer ses impôts, respecter les lois…).

On distingue parfois la citoyenneté politique de la citoyenneté civile qui correspondrait aux droits fondamentaux, dont ceux de la liberté de penser, de s’exprimer publiquement, de s’associer… Ces droits sont essentiels : comment la démocratie peut-elle se développer, si les représentants du peuple n’ont pas accès aux médias?

On attache souvent une citoyenneté sociale à la citoyenneté politique. Le citoyen aurait des droits sociaux (à l’éducation, à la santé, à la protection contre le chômage, à un logement salubre…) et des devoirs correspondants (de s’éduquer, de protéger sa santé, de chercher du travail, de maintenir salubres les lieux privés et publics…). Que faire dans les pays où l’État honore en parole ces droits, mais ne les respecte pas dans la réalité? Que faire dans les États qui ont peu de moyens financiers pour rendre accessibles ces droits?

Le citoyen est détenteur d’une partie de la souveraineté nationale? Mais que signifie cette souveraineté, si elle doit se plier aux dictats de la Banque mondiale, du FMI, de l’OMC, du G20, du G8 et de la superpuissance états-unienne?

La citoyenneté politique se limite trop souvent à voter tous les 4 ou 5 ans. Les droits politiques accordés aux citoyens sont souvent jugés formels et peu praticables : la corruption, les tricheries durant les élections, la mainmise du gouvernement sur les moyens d’information, etc. entraînent l’absentéisme chez ceux qui considèrent que leur vote ne fera pas de différence. En opposition à cet absentéisme, à cette apathie et à cette démoralisation, des groupes communautaires et des CSO  (organisations de la société civile) ont mis de l’avant le concept de citoyenneté active.

Le citoyen actif n’attend pas que l’État ou l’entreprise privée vienne satisfaire ses besoins. Il s’organise avec d’autres de sa communauté pour se donner les moyens de cette satisfaction. Il cherche à faire entrer toujours plus de monde dans cet espace de citoyenneté active, en s’ouvrant à ceux différents de lui par le genre, l’âge, l’ethnie, la religion, etc. Il développe, par l’éducation populaire, la capacité de proposer des alternatives à ce qui engendre l’ignorance, la pauvreté et l’exclusion, la capacité d’évaluer le travail des élus et des fonctionnaires, la capacité de comprendre le fonctionnement du marché et les intérêts des grandes multinationales.

La citoyenneté active, c’est prendre sa place, en se donnant les moyens pour prendre la parole. La citoyenneté active, c’est penser, parler et agir ensemble. La citoyenneté active, c’est reprendre sa dignité, gérer sa vie, c’est défendre ses droits à l’éducation, à la santé et à la dignité. La citoyenneté active, c’est défendre ses droits au plan local, national, continental et mondial, en vue d’un monde plus juste, plus égalitaire et plus pacifique.

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