Devant cette avalanche de droite (Hillary Clinton) et d’extrême droite (Trump, Cruz et compagnie) qui déferle sur cette campagne présidentielle, une grande question demeure : quel sort est-il réservé à la classe ouvrière et à la classe moyenne dans l’avenir rapproché des États-Unis ? Peuvent-elles croire en des jours meilleurs devant le monolithe de droite qui se dresse devant elles ? Un seul candidat s’oppose à l’immense appareil conservateur américain : Bernard Sanders, candidat démocrate qui souhaite opérer une transformation de l’État fédéral (État-providence, soins de santé gratuits, éducation gratuite, hausse du salaire minimum à 15 $/heure).
Bernard Sanders se dit ouvertement « socialiste », terme qui ne semble plus terrifier personne en Amérique. Ce scénario aurait d’ailleurs été impensable, il y a cinquante ans : un candidat socialiste à la présidence de la superpuissance militaro-industrielle du capitalisme occidental. Issu de la grande tradition socialiste de Eugene V. Debs – célèbre militant syndical et fondateur du Parti socialiste de l’Amérique –, Sanders, depuis ses premières expériences de gouvernance en 1981 comme maire de Burlington (Vermont), s’est toujours réclamé de ce discours progressiste. De 1990 à 2006, Sanders fut représentant indépendant du Vermont au Congrès des États-Unis (le plus long mandat de l’histoire pour un indépendant), jusqu’à ce qu’il devienne sénateur indépendant du Vermont (fonction qu’il occupe toujours, après deux mandats sous la bannière de la coalition progressiste).
Les supporters de Sanders se mobilisent
Autour de Sanders, comme candidat présidentiel, s’est constituée une coalition de gauche inédite dans l’histoire politique récente des États-Unis : syndicats de base (les directions syndicales appuient Clinton), intellectuels-les, étudiants-es et groupes communautaires. Il s’agit de la plus grande mobilisation des forces progressistes américaines, depuis les années 1960. Entre-temps, des émules de Sanders mettent en place des coalitions progressistes au niveau municipal ; comme à Seattle, où la conseillère Kahama Swapant représente l’« alternative socialiste », engagée à la fois dans la bataille pour augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure et pour consolider le vote de la population en faveur de Sanders. À l’extérieur des États-Unis, on ignore généralement cette tradition du socialisme municipal. De grandes villes comme Milwaukee, par exemple, sont gérées, depuis plusieurs années, par des coalitions de centre gauche.
Le discours de Sanders (c’est sa force) est constant : il appelle au réveil des citoyens et des citoyennes des couches populaires et de la classe moyenne, tout en dénonçant l’impuissance actuelle du peuple américain face aux dérives spéculatives des banquiers de Wall Street. Il est maintenant connu de millions de personnes en dehors de son « périmètre » habituel de la Nouvelle-Angleterre. De par les prises de position précises et rigoureuses de Sanders, Hillary Clinton a dû changer son discours à plusieurs reprises et faire des promesses électorales plutôt orientées vers le centre, voire le centre gauche (plusieurs sont d’ailleurs sceptiques de la réalisation de ces promesses, advenant une victoire de Clinton à la tête des États-Unis).
De toute évidence, cette campagne est déjà bien avancée. Selon divers sondages, Sanders obtient l’appui d’une majorité de l’électorat dit « indépendant » (ni démocrate ni républicain). Les jeunes se précipitent vers lui et adhèrent à son appel de « révolution politique ». La majorité des femmes (de 18-45ans) l’appuient, ce qui déstabilise particulièrement l’équipe Clinton. Malgré qu’Hillary Clinton demeure la candidate de l’establishment démocrate, Sanders représente, quant à lui, l’espoir d’une nouvelle génération d’électeurs et d’électrices et une tout autre manière de faire la politique.
Malheureusement, le discours de Sanders (ses propos contre la domination de Wall Street et du 1 %, sa volonté d’établir un régime d’assurance maladie universel, ses positions en faveur de la gratuité scolaire pour les universités d’État, de l’équité salariale) ne trouve pas d’échos dans la communauté noire. Malgré les nombreux assassinats de Noirs par la police et le retour d’un certain nationalisme noir, le « discours de classe » de Sanders n’arrive pas à atteindre cette frange de la population américaine qu’il défend corps et âme. Pourtant, les questions raciales et la persistance du racisme systémique aux États-Unis demeurent des aspects centraux de la lutte pour les droits civiques dans la communauté afro-américaine et chez les divers mouvements progressistes qui se sont solidarisés avec celle-ci.
Conservatisme américain : un candidat qui sort du lot
Cette vague de conservatisme (droite et extrême droite) à laquelle nous sommes confrontés représente le fond d’une crise de la démocratie libérale américaine. Une démocratie minée par les intérêts économiques de l’entreprise privée, l’influence des « super PAC » sur l’adoption de certaines lois, et par cette classe d’élite complètement détachée du quotidien et des conditions de vie difficiles du peuple américain.
Du côté de Sanders, il n’y a pas d’ambiguïté : il faut renverser la mainmise des ultra-riches sur l’appareil électoral et le processus de gouvernance. Ici et là, on commence à parler de plus en plus de l’« effet Bernie » (« Feel the Bern »). Peu importe l’issue de cette campagne, Sanders aura accompli une tâche considérée impossible : sortir les idées progressistes de ses cercles habituels (syndicats, intellectuels et universitaires).
Quel sera l’impact à long terme de cette improbable percée d’une certaine gauche aux États-Unis ? Il est encore tôt pour le dire, mais l’enthousiasme que suscitent les idées de Bernie Sanders semble être le signe avant-coureur d’un « changement des mentalités » aux États-Unis. Reste à voir si le vent de renouveau porté par Bernard Sanders trouvera un souffle durable après les élections présidentielles. Cependant, espérons que tout cela puisse avoir des répercussions dans le paysage politique québécois.