Les problèmes que vit maintenant le Brésil ne peuvent être réduits à la seule question de la corruption. On ne peut pas dire que c’est la corruption seule qui a englouti le parti de Lula, celui-là même qui avait apporté à la présidence de la République l’espérance populaire d’en finir avec la scandaleuse inégalité sociale brésilienne.
La corruption est certes le vecteur d’une énorme crise qui paralyse aujourd’hui le gouvernement ainsi que l’économie, et crée des antagonismes sociaux dangereux pour la démocratie, durement conquise après 20 ans de dictature militaire. Mais les problèmes actuels, nés après les élections de 2014, traduisent en fait la non-acceptation par les classes moyennes et aisées des résultats de l’élection de 2002, qui a mené à la présidence un ouvrier métallurgiste et au pouvoir un parti dont la majorité des dirigeants se déclarent socialistes. C’est pourquoi j’ai repris, dans le titre de ce texte, la trouvaille du journal Le Monde dans un texte récent sur ce qui se passe au Brésil : « ceci n’est pas un coup d’État »…
Au lendemain de la première victoire de Lula, ceux et celles qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges ont commencé à agir pour revenir au pouvoir le plus tôt possible. Cependant Lula a habilement rendu cet objectif difficile en combinant des initiatives contre la pauvreté extrême, comme les programmes « faim-zéro » et « bourse-famille », et un dialogue direct avec les chefs d’entreprise, et s’appuyant sur des crédits et des travaux publics de grandes dimensions.
Certaines mesures comme l’acceptation des OGM ou la reprise du programme nucléaire ont amené des critiques, ainsi que la non-réalisation de la réforme agraire pourtant promise dans le discours d’investiture. D’autre part, l’arrivée au pouvoir du Parti des travailleurs (PT) a nui à la dynamique des mouvements sociaux, qui ont dû composer avec la difficulté de critiquer un gouvernement qu’ils avaient élu. Mais la position classique d’assurer la croissance économique a satisfait la majorité. Réélu confortablement, Lula a fini son deuxième mandat avec une énorme popularité et a facilement obtenu l’élection de la candidate de son choix, l’actuelle présidente Dilma Rousseff.
Ni Lula ni le PT n’ont voulu cependant prendre de front la culture politique brésilienne, pleine de contradictions. En raison de la promiscuité entre le public et le privé, cette culture transforme le pouvoir exécutif et spécialement les parlements, à tous les niveaux, en des lieux de choix pour les opportunistes de tous côtés. Dans ce milieu propice au développement de la corruption, de dangereux acteurs connus de tout le monde ont gagné du terrain: il s’agit des grandes entreprises de travaux publics qui sont prêtes à financer les élections de n’importe qui sans distinction d’idéologie, pour ensuite appuyer les gouvernants en attendant leur rétribution…
Lula a créé de nouveaux organismes pour combattre directement la corruption, tout en sachant que les enquêtes nécessaires n’épargneraient aucun parti. Il a aussi agi différemment des pratiques habituelles – de ceux qui cherchent à se protéger pour le futur… – en nommant à la direction des différents organismes d’État des fonctionnaires élus par leurs camarades. Il recueille maintenant les fruits de ces décisions correctes mais risquées.
Grâce à de vrais coups de chance, la police fédérale et le judiciaire découvrent peu à peu les preuves d’éléments plus ou moins connus : les plus grandes entreprises brésiliennes s’entendaient entre elles – avec des complices à l’intérieur de l’État – pour arracher des revenus de la grande entreprise pétrolière brésilienne et des contrats du gouvernement pour de grands travaux publics, et finançaient les campagnes électorales de tous les partis, y compris celles des plus pragmatiques du PT…
Les conditions défavorables de l’économie mondiale à partir de la crise de 2008 ont rendu difficile le premier mandat de Dilma. Ensuite, elle a été réélue de justesse, avec une campagne utilisant des arguments de communication peu judicieux, qui ont permis à ses opposants de remettre en question sa victoire. Lula et Dilma ont ensuite été atteints par des enquêtes qui ne sont pour le moment que des enquêtes…
« L’autre moitié » des électeurs s’est alors accrochée à cet ensemble de conditions pour, enfin, tenter de battre le PT. Tout en comptant sur l’appui explicite des grands médias, acteurs très importants toujours au service des grands intérêts, elle cherche à démonter le mythe de Lula, pour l’empêcher de se présenter aux élections de 2018. Et ce, même si les enquêtes n’arriveront probablement pas à trouver un seul centime d’argent public dans les poches de Lula et de Dilma.
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