« Je me sens libéré d’une grande angoisse, serein, oui les ouvriers de l’Innse ont gagné […] J’ai éprouvé la même émotion, le même enthousiasme que lors des 21 jours à la Fiat de Melfi. Cette fois-ci nous avons gagné à Milan et la ville en avait vraiment besoin. Ici l’industrie et le tissu social ont subi une dévastation sans pareil. C’est la première, fois depuis des années, qu’à Milan les travailleurs et le syndicat obtiennent une victoire si nette. […] C’est une représentation en petit des raisons qui ont produit la crise globale. Il ya l’abandon d’une entreprise industrielle, cédée pour être mise à la casse à ceux qui veulent spéculer sur les machines. Les esprits les plus entreprenants jouent à la roulette de la finance et des affaires immobilières. Les bulles éclatent et après la cuite on s’aperçoit que l’industrie a encore des cartes à jouer. [..] Ces ouvriers ont résisté 15 mois, ils ont tenu grâce au rapport qu’ils ont, non pas avec le travail, mais avec leur travail. Ils ont très professionnels avec un très grand orgueil de métier […] C’est vrai l’action éclatante a attiré l’attention mais cela n’explique pas tout […]. C’était une lutte de longue durée. L’action éclatante n’a été que la dernière action dictée par la rationalité et non pas par le désespoir : Si on laissait démonter les machines et les amener, pour eux c’était fini […] Ils ont fait 3 mois d’autogestion gratis. Puis dès qu’ils arrivaient à se faufiler à l’intérieur de l’usine, ils faisaient de la manutention pour garder les machines en état. […] Sans les machines le nouveau propriétaire n’aurait pas acheté. »
Manuela Cartosio, de Il Manifesto demande à Gianni Rinaldini : « A l’Innse ont a vu une communauté à l’œuvre. Différente de celles qui se sont rassemblées pour « nettoyer le territoire des Roms et des migrants ». Rinaldini fait une mise au point : « Le mot communauté ne me plait pas. Il indique quelque chose qui exclut au lieu d’inclure. Je préfère parler d’expérience collective où l’on passait de moment d’euphories à des moments d’abattement. […] Le succès de l’Innse est un message d’espoir pour tous les travailleurs non seulement les métallos. Il dit que « la lutte paie » ce n’est pas une phrase toute faite. Cela nous donne des forces pour les défis de l’automne prochain, y compris pour le renouvellement du contrat national ».
A Milan, l’un des protagonistes de la lutte explique leurs rasions et les moments clé de celle-ci :
L’unité entre les ouvriers a été notre force.
Mariangela Maturi, il Manifesto 13 août 2009.
« Vincenzo Acerenza et ses collègues ne sont plus sur la grue. Ils ne sont plus au piquet de grève. Ils sont accueillis comme des héros. Courtisés par les journalistes, embrassés par les parents et par ceux qui pendant des mois leur ont apportés des sandwichs, du vin et un peu de soutient.
Vincenzo n’est plus un jeune homme, (qu’il ne nous en veuille pas) avec ses cheveux blancs, ses lunettes ronde et sa chemise rigoureusement bleue.
En somme a-t-il été plus difficile de monter ou de descendre de cette fameuse grue ?
Nous avons décidé d’y monté alors que nous entrions dans l’usine, sur le moment. Que faire une fois que nous étions dedans ? Ils auraient pu nous jeter dehors. Nous sommes montés sur le pont roulant. Après une semaine en descendant je n’y croyais pas ! Je n’y crois même pas maintenant, à vrai dire. Pour nous tous, la plus grande peur, à ne pas réussir à en dormir la nuit, était de pouvoir démontrer que ce n’est pas toujours le patron qui gagne. Je pensais à quel exemple nous aurions donné si nous avions échoué. Ils auraient gagné et nous aurions été obligés de l’admettre : « oui vous avez raison, il n’y à plus rien à faire ». Ce qui nous faisait le plus mal c’était quand même ceux qui nous soutenaient tout en nous disant : « il n’y à plus rien à faire ».
Mais c’est vous qui avez gagné. Des héros ?
Mais non ! Pas des héros ! Nous savions depuis longtemps que l’action finale ne pouvait être seulement qu’une occupation symbolique. La nuit où nous sommes entrés, la police en position était très nombreuse. Nous n’aurions pas pu passer, ils étaient bien plus forts que nous. Donc nous devions contourner le problème. Pour ne pas nous faire choper nous nous sommes écriés : « Hé ! Nous faisons un saut à la réunion de la bourse du travail ? » Et nous nous sommes éloignés à cinq, en catimini. Nous avons pris la voiture, et au lieu de partir nous avons contourné la zone, qui était très grande. Nous connaissons toutes les entrées latérales depuis trente ans que nous sommes à l’Innse. Nous avons traversé les champs, je te dis pas… au milieu des faisans, quelle scène ! Mais ainsi nous avons réussi à rentrer, puis nous sommes montés. Je ne te dis pas la tête d’un type de la digos (2) qui trois heures plus tôt m’avait dit « Eh les gars c’est fini ! » Cela dit nous sommes et nous restons des ouvriers, nous n’allons pas devenir des entrepreneurs. Nous retournerons travailler pour le patron pour 1300 euros par mois. Mais maintenant nous savons ce dont nous sommes capables !
L’espériez vous cela il y a un an ?
Oui, mais c’était des mois terribles. D’abord nous avons essayés avec la production directe « regardez ce n’est pas difficile de mener une usine sans un patron ». Puis le magistrat a fait un choix à mi-chemin, ils ne nous a pas laissé continuer et à scellé l’usine. Cela a été pour nous un moment difficile et nous avons choisi de continuer la lutte. En décembre, l’Innse a été « restituée » à Genta qui pouvait ainsi la démanteler. Cela a été un autre moment dramatique. A un moment donné, après des mois de disputes, nous avons fait une réunion à la Préfecture avec toute les institutions, la Ormis (l’entreprise qui voulait racheter la Innse) et un fonctionnaire du ministère qui au lieu de résoudre les choses a dit à tous : « Que chacun dise ce qu’il veut ». Après une demi-heure l’acheteur est parti et la rencontre a sauté.
Absence des institutions ?
Oui seul la Province est intervenue, mais ce n’était que des belles paroles. Et les syndicats nous proposaient des compromis que nous ne voulions pas accepter. A la fin ça c’est passé comme il fallait : Nous, les ouvriers, avons pris toutes les décisions et le syndicat nous a suivi. Comme cela doit être. Après c’est nous qui avons tout choisi avec les risques que cela comporte, mais nous avons voulu tenter le tout pour le tout, jusqu’à la fin.
Choix gagnant.
Oui mais quel effort ! La fameuse « politique du travail » a échoué, quand dans la négociation on est passé à l’affrontement entre police et ouvrier. Et puis, excuse moi, si je me retrouve au sommet d’une grue à devoir faire mes besoins dans un sachet et à les jeter par-dessous, ou à demander à un collègue de tenir une bouteille d’eau pour rincer le champoing de ma tête à dix mètres de hauteur, je crois qu’on m’enlève aussi ma dignité. Nous nous sommes sentis seuls de nombreuses fois. Mais l’honnêteté profonde et la solidarité entre collègues a été notre force. Nous voulons le dire aussi aux autres ouvriers. Quand il y à un affrontement entre la volonté d’un patron et l’unité des ouvriers, la partie reste ouverte. »
Le caractère exemplaire et le retentissement de cette lutte vont bien au-delà d’un fait local mais représentent une mise en scène de la revanche et de la dignité retrouvée. Pour reprendre les mots de Roberto Gramiccia sur Liberazione d’aujourd’hui : « Les ouvriers de l’Innse nous fournissent un courageux exemple opposé au « ne pas faire ». Il se sont réappropriés la possibilité d’interférer avec leur propre destin. Ils l’on fait par une action qui, y compris sur le plan esthétique est une magnifique œuvre d’art conceptuelle. Les quatre hommes volants ont déjà gagné » (3) .
Notes
(1) Interview de Gianni Rinaldini par Manuela Cartosio, Il Manifesto 13-8-09.
(2) Divisione investigazioni generali e operazioni speciali. C’est une division spéciale de la police.
(3) Roberto Gramiccia, Performance su gru, opera contemporanea, dans Liberazione 13-8-09.