Une vision issue des artisans de la Révolution tranquille veut que le Québec francophone d’avant la Révolution tranquille soit une société largement rurale, dominée par le clergé catholique et profondément conservatrice. Ce serait une société monolithique au plan idéologique, évoluant selon des valeurs bien différentes des autres sociétés nord-américaines. Ce n’est pas mon avis et c’est ce que je démontrerai dans ma communication. Sans doute, la société francophone subit l’influence des courants conservateurs européens, mais elle est soumise aussi aux valeurs nord-américaines, qu’elles viennent des États-Unis ou du Canada anglais.
C’est particulièrement vrai du coté du mouvement syndical et du mouvement ouvrier en général. Les syndicats internationaux venus des États-Unis ont dominé le mouvement syndical au Québec comme dans le reste du Canada depuis le début du XXe siècle jusqu’aux années 1960. Pendant toutes ces années, ils effectuent une action de lobby auprès du gouvernement du Québec au nom de l’ensemble des travailleurs salariés. Leurs revendications montrent qu’ils sont porteurs d’un projet de société sociale- démocrate dont les fondements sont très proches du projet de société actuel des centrales syndicales.
Ces syndicats sont aussi tentés par l’action politique partisane à l’exemple du Parti travailliste britannique dont les idées sont répandues au Québec par le mouvement syndical canadien. On peut diviser leur action en trois phases. La première démarre avec un Parti ouvrier fondé à Montréal en 1899 qui présente plusieurs candidatures ouvrières aux élections municipales, provinciales et fédérales. Il est animé par les représentants des syndicats internationaux et propose un programme d’inspiration sociale-démocrate.
Une deuxième période débute avec la fondation du Cooperative Commonweath Federation (CCF) en 1933. Il est appuyé à partir de 1943 par le Congrès canadien du travail et ses instances au Québec, le Conseil du travail de Montréal et la Fédération des unions industrielles du Québec (FUIQ). Des comités d’action politique sont chargés de prêter main forte aux candidats CCF aux élections fédérales de 1949, 1953 et 1957. Mais les résultats sont très décevants pour des raisons que nous évaluerons.
La troisième phase s’amorce avec la fondation, en 1961, du Nouveau parti démocratique (NPD) sous l’égide du Congrès du travail du Canada. Il invite ses syndicats à s’y affilier et confie à la Fédération des travailleurs du Québec la tâche de supporter ses candidats. Le début des années 1960 marquées par la Révolution tranquille aurait pu être un moment propice à l’émergence d’un parti de gauche au Québec, mais le nationalisme québécois, qui se développe au même moment, divise le nouveau parti. L’impasse débouche finalement sur la formation de deux partis : le NPD-Québec, qui se concentre en politique fédérale, et le Parti socialiste du Québec qui se limite à la scène politique provinciale (il disparaît en 1968). Quant au NPD-Québec, il subit un recul aux élections fédérales de 1968, ce qui a pour effet de provoquer un sérieux examen de conscience à la FTQ. Son comité d’action politique estime que la centrale a mis «la charrue devant les bœufs» en accordant son appui au NPD et recommande de mettre en œuvre un programme pour «refaire» l’éducation des travailleurs. Devant les piètres résultats du parti et la montée du nationalisme indépendantiste chez ses membres, la fédération retire de ses statuts l’appui officiel au NPD en 1971. Cela ne l’empêchera pas cependant de continuer à suggérer à ses membres, jusqu’en 1993, de voter pour les candidats NPD aux élections fédérales subséquentes.
La société québécoise compte donc une tradition d’action syndicale partisane dans le mouvement syndical bien avant les années 1960. Elle se développe grâce à l’action de militants issus du syndicalisme international. Ils sont influencés par le courant idéologique social-démocrate tel qu’il est articulé par le Parti travailliste britannique dont les idées sont relayées au Québec via le Canada anglais.