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Féminismes contemporains en Amérique latine

Cet article s’appuie sur le livre 21st Century Feminismos: The Women’s movements across Latin America and the Caribbean qui comprend dix études de cas provenant de huit pays différents d’Amérique latine (Brésil, Argentine, Uruguay, Chili, Colombie, El Salvador, Mexique) et des Caraïbes (Haïti) et qui analysent la manière dont les mouvements de femmes et féministes ont réagi à des processus de changement sociétal, ont été façonnés par eux et se les sont appropriés.

Pourquoi est-il important d’étudier le mouvement féministe en 2022?

« Être une femme et survivre au Mexique est un acte de résistance. »

Il est d’abord important de comprendre le rôle des femmes dans le contexte historique colonial, chrétien, patriarcal, capitaliste et esclavagiste de l’Amérique latine. Ça veut dire le sexisme et le racisme structurels et des inégalités socio-économiques qui façonnent les rôles genrés historiquement construits. L’idéal type de la femme latino-américaine est une femme soumise et passive envers tous ceux qui l’entourent, en particulier les hommes. La version mythique de la droite conservatrice est une femme qui ignore le monde extérieur car son seul devoir dans la vie est d’être une bonne fille, épouse et mère à la maison. La violence est souvent réservée pour celles considérées « insoumises ». Mais il ne faut pas sous-estimer l’importance de race et classe dans les relations sociales et « l’harmonie sociale » du statu quo que la droite conservatrice cherche à préserver à tout prix.

D’où l’importance des luttes féministes pour l’autonomie, l’indépendance, la liberté et la prise du contrôle du corps féminin. Cela signifie avant tout de reconnaître les besoins et les intérêts particuliers des femmes. Cela est particulièrement vrai pour les questions relatives aux droits reproductifs et à la violence à l’égard des femmes, mais aussi les politiques publiques et le milieu de travail et politique. L’Amérique latine a l’un des taux les plus élevés de violence de genre au monde. On parle de la violence fait d’un partenaire intime ou d’un ancien partenaire et aussi du manque de sécurité publique (Juarez, Haiti). Une tendance importante, visible dans les pays de la région est l’avancement du cadre réglementaire qui reconnaît la violence à l’égard des femmes comme un crime et qui étend les droits et les services publics dans ce domaine, comme l’accès aux ordonnances restrictives ou aux conseils juridiques et psychologiques pour les femmes en situation de violence. Dans plusieurs pays, la définition du féminicide, qui est le meurtre d’une femme en raison de son sexe, a été reconnu dans le code pénal.

Au niveau de l’histoire contemporaine, il est important d’identifier les facteurs structurants des mouvements féministes : l’autoritarisme (passé et présent comme dans les cas d’El Salvador, de la Colombie, d’Haïti), les conflits sociaux (guerres), la capacité de l’État à faire respecter l’État de droit, systèmes politiques qui demandent des coalitions pour arriver au pouvoir et donc des alliances entre la gauche et les forces conservatrices, le pouvoir croissant des institutions religieuses dans la politique, l’usage des médias (sociaux) par les groupes conservateurs, le décalage de la culture (relations sociales) par rapport aux changements sociétaux, le modèle macro-économique qui rend le poids de la survie plus lourd pour les femmes et des politiques qui ne sont pas toujours adapté à la diversité des femmes.

Les disparités dans des politiques genrées découlent souvent de différentes combinaisons de plusieurs facteurs, tels que les particularités du cadre institutionnel de chaque pays, la force législative de la coalition au pouvoir, le pouvoir des femmes organisées dans chaque domaine politique (exécutif, législatif et judicaire) et la nature de ce dernier (qu’il soit très consensuel, comme les mesures visant à réduire la violence à l’égard des femmes, ou très controversé, comme les droits génésiques).

Pour faire avancer les revendications féministes, il faut être présente dans les rues, dans le pouvoir, dans les cours de justice, dans les médias (sociaux) et dans la production des connaissances. Ces efforts sont entrelacés et inséparables. L’horizontalité, diversité et la décentralisation du mouvement sont devenues sa puissance. Cela veut dire différents types de féministes : institutionnels, populaires, autonomes et aussi de différentes femmes (racialisées, de différentes classes sociales, sexualités). En plus, la diversité des mouvements fait sa force et contribue aux alliances avec d’autres mouvements. L’idée de base est qu’on a tout à gagner ou perdre ensemble. « S’ils en touchent une, ils nous touchent toutes. »

Un exemple du féminisme digital et dans la rue est le cyberféminisme a été utilisé non seulement pour diffuser des contenus (et sensibiliser le public), mais aussi pour organiser des manifestations ad hoc de type “flash-mob”, des rassemblements de masse, de longues marches et des sit-in prolongés, notamment devant ou à proximité de congrès ou d’autres édifices politiquement importants.

La présence au gouvernement central des partis progressistes a également contribué à une amélioration substantielle de la capacité des femmes organisées à faire passer leurs revendications sexospécifiques à travers les institutions politiques, y compris le système judiciaire. Les femmes organisées de ces pays ont développé un certain degré de collaboration avec leurs agences gouvernementales de politique féminine (fémocrates), ce qui a été important pour l’approbation de certaines politiques. Concernant les rapports entre les mouvements féministes et les gouvernements progressistes, ça ouvre la porte à une plus grande influence, mais dans certains cas, ça entraine aussi des immobilisations et même une relation néo-corporatiste. Dans certains cas, comme l’El Salvador et le Nicaragua, il n’a pas de différence avec des gouvernements de droite.

Les gains obtenus en Amérique latine sont le résultat de décennies d’organisation, de mobilisation, de travail pour faire évoluer la conversation sur l’avortement et, surtout, de travail en commun pour apporter le changement. Par exemple, cette année en Colombie, plus de 90 organisations et plus de 130 activistes ont intenté un procès pour demander à la Cour constitutionnelle de Colombie de dépénaliser l’avortement. Le travail collectif n’est qu’une des stratégies qui ont soutenu la lutte pour nos droits fondamentaux, les féministes de la région adaptant leur approche aux défis locaux.

Un autre trait du mouvement au niveau régional est la solidarité entre différents mouvements nationaux (bandanas vert, Chili) qui partagent des symboles, des stratégies et s’inspirent entre eux. Autre exemple est le slam féministe du Chili « Un violeur sur ton chemin » en 2019 qui a fait le tour du monde.

Finalement, il y a eu plusieurs avancés, mais il y a encore des défis majeurs. Il faut discerner les avancés dans le long terme et non pas de façon linéaire. Chose certaine : ces mouvements ont radicalement modifié le cours de la société au fil du temps. Sans les mouvements féministes, égalité hommes-femmes n’avancera pas. Néanmoins, l’avancement du féminisme fait réagir les forces conservatrices surtout dans la politique et les institutions religieuses. Jusqu’à présente, le contre « backlash » féministe se passe de façon stratégique en politique et dans la société.

 

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