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« Lire et relire Lénine, pour préparer l’avenir »

«En pleine crise du capitalisme, même s’il ne faut pas feindre d’ignorer la montée de l’extrême droite et autres symptômes de désespoir, on discerne un besoin de perspectives politiques – besoin qui s’exprime, ici et là sur la planète, dans des mobilisations fort diverses. L’œuvre et l’action de Lénine, penseur majeur de la révolution, nous éclairent dans cette recherche. J’identifie dans cette œuvre six thèses qui me paraissent avoir conservé toute leur actualité.

1 – La révolution, tout d’abord, est une guerre. Lénine compare la politique à l’art militaire, et souligne la nécessité qu’existent des partis révolutionnaires organisés, disciplinés : car un parti n’est pas un club de réflexion (dirigeants du PS : merci pour le spectacle !).

2 – Pour Lénine, comme pour Marx, une révolution politique est aussi et surtout une révolution sociale, c’est-à-dire un changement dans la situation des classes en lesquelles la société se divise. Cela signifie qu’il convient toujours de s’interroger sur la nature réelle de l’État, de la «République». Ainsi, la crise de l’automne 2008 a-t-elle montré, avec évidence, combien dans les métropoles du capitalisme, l’État et l’argent public pouvaient être mis au service des intérêts des banques et d’une poignée de privilégiés. L’État, autrement dit, n’est nullement au-
dessus des classes.

3 – Une révolution est faite d’une série de batailles, et c’est au parti d’avant-garde de fournir, à chaque étape de la lutte, un mot d’ordre adapté à la situation et aux possibilités qu’elle dessine. Car ce ne sont ni l’humeur que l’on prête aux «gens», ni l’ «opinion» prétendument mesurée par les instituts de sondages qui sont à même d’élaborer de tels mots d’ordre. Lorsque, au paroxysme d’une série de journées de manifestations, 3 millions de personnes se retrouvent dans la rue (c’est ce qui s’est produit en France, début 2009), il y a nécessité de leur proposer une perspective autre que la seule convocation d’un énième rendez-vous entre états-majors syndicaux. Faute de quoi, le mouvement s’épuise, et décourage ceux qui ont attendu en vain que leur soit indiquée la nature précise des objectifs à atteindre ainsi que le sens général de la marche…

4 – Les grands problèmes de la vie des peuples ne sont jamais tranchés que par la force, souligne également Lénine. «Force» ne signifie pas nécessairement, loin s’en faut, violence ouverte ou répression sanglante contre ceux d’en face ! Quand des millions de personnes décident de converger en un lieu, par exemple la place Tahrir, au centre du Caire, et font savoir que rien ne les fera reculer face à un pouvoir détesté, on est déjà, de plain-pied, dans le registre de la force. Selon Lénine, il s’agit surtout de battre en brèche les illusions d’un certain crétinisme parlementaire ou électoral, qui conduit, par exemple, à la situation où nous sommes : une «gauche» tendue presque tout entière vers des échéances dont une masse immense de citoyens, à juste raison, n’attend… presque rien. 


5 – Les révolutionnaires ne doivent pas dédaigner la lutte en faveur des réformes. Lénine est, certes, conscient qu’à certains moments, telle réforme peut représenter une concession temporaire, voire un leurre, auquel consent la classe dominante afin de mieux endormir ceux qui tentent de lui résister. Mais il considère, cependant, qu’une réforme constitue la plupart du temps une sorte de levier nouveau pour la lutte révolutionnaire. 6 – La politique, enfin, depuis l’aube du XXe siècle, commence là où se trouvent des millions, voire des dizaines de millions d’hommes. En formulant cette sixième thèse, Lénine pressent que les foyers de la révolution tendront à se déplacer toujours davantage vers les pays dominés, coloniaux ou semi-coloniaux. Et, de fait, depuis la Révolution chinoise de 1949 jusqu’à la période des indépendances, dans les années 1960 du siècle dernier, l’histoire a très largement confirmé ce dernier pronostic. — Bref, il faut lire Lénine, après le déluge et la fin du «socialisme réel». Le lire, et le relire encore. Afin de préparer l’avenir. »

Par Jean Salem, philosophe, professeur de philosophie à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne (*).

(*) Jean Salem est notamment l’auteur de Lénine et la révolution, Encre marine, 2006.

Propos recueillis par 
Laurent Etre

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