La lutte menée face au capital par les travailleurs/travailleuses et les couches urbaines et rurales paupérisées partout dans le monde se déroule aujourd’hui dans le cadre de l’économie et la société capitaliste mondiale à un moment spécifique de son histoire, qui est aussi celle de l’humanité. La crise économique et financière – qui a commencé en juillet-août 2007, connu un premier moment paroxystique en septembre 2008 (faillite de Lehmann) et débouché sur une récession mondiale suivie d’une stagnation sans fin [1] – est bien plus qu’une nouvelle « très grande crise ».
Elle marque à un degré jamais connu avant les limites historiques du capitalisme qui, faute d’avoir pu être transcendées, annoncent une nouvelle époque de barbarie. Cette dernière inclut centralement le basculement, différencié bien entendu entre pays et continents, dans les formes d’exploitation et les conditions d’existence des travailleurs et des masses paupérisées, mais aussi le changement climatique et d’autres dimensions de la crise environnementale (par exemple les pollutions chimiques) dont ils sont déjà le plus souvent les premiers à subir les conséquences. Enfin, elle est marquée par des guerres nouvelles dont les populations paupérisées sont une fois encore les premières victimes, comme au Proche et au Moyen-Orient.
Les luttes menées par les travailleurs et les opprimé·e·s sont morcelées entre pays. Dans le cadre européen, lors des années 1990, les grandes grèves avaient un écho d’un pays à l’autre; ces avancées n’ont pas résisté à la crise et la montée du chômage. La mise en concurrence directe des travailleurs sur le plan de l’emploi et des salaires entre pays d’un même continent — ainsi que d’un continent à l’autre – dans le cadre de l’économie mondialisée présente donne à chaque bourgeoisie, quelle que soit sa place dans la structure hiérarchique changeante du capital mondial, une position de force inédite historiquement à l’égard de ses « propres » travailleurs, travailleurs immigrés compris. Elle est adossée au capital comme rapport d’exploitation et de domination mondial et c’est au capital compris ainsi que les travailleurs se heurtent en dernière instance, partout où ils se trouvent.
Ce texte vise à contribuer à une caractérisation de ce moment historique. Il porte sur des questions spécifiques relatives au mouvement économique du capitalisme mondial (presque rien ne sera dit sur le changement climatique). Il est complémentaire à celui écrit en août 2014 [2]. Quelques arguments sont repris ou développés. Il est fait d’une combinaison de rappels théoriques essentiels (dont je fais l’exégèse, ce qui est considéré très souvent comme « archaïque », mais reste nécessaire) sur lesquels je prends appui pour développer des éléments d’interprétation et présenter des données empiriques relatives à des questions qui n’attirent pas l’attention qu’elles méritent. Cette première partie est centrée principalement sur la production et l’appropriation de la plus-value dans le cadre de l’économie mondialisée.
La seconde partie portera sur l’accumulation, à partir des années 1960, de capital sous la forme de capital fictif, les nouveaux types d’actifs spéculatifs créés dans les années 1990, la crise financière de 2007-2008 et la puissance que la finance a conservée. C’est dans la seconde partie que sera traité le « shadow banking ».
Le marché mondial pleinement constitué
Depuis le tournant du vingtième siècle, disons pour donner une date depuis l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001, nous sommes aux termes du processus énoncé par Marx comme quoi « le marché mondial est contenu dans la notion même de capital ». Après Marx et Engels, parmi les grands penseurs révolutionnaires c’est surtout Trotski qui a développé cet énoncé et ses conséquences. On peut donc prendre comme point de départ la Préface à l’édition française de La révolution permanente lorsqu’il écrit contre la théorie du « socialisme en un seul pays » développé par Staline :
« Le marxisme procède de l’économie mondiale considérée non comme la simple addition de ses unités nationales, mais comme une puissante réalité indépendante créée par la division internationale du travail et par le marché mondial qui, à notre époque, domine tous les marchés nationaux ».
La qualité de « puissante réalité indépendante » de l’économie mondiale s’exprime d’abord dans le fait que l’anarchie de la production capitaliste et « les lois immanentes de la production capitaliste imposée par la concurrence comme lois coercitives externes à chaque capitaliste individuel » [3] a le marché mondial comme terrain. Elle fait d’autant plus de ravages qu’elle s’impose à de très grands groupes industriels et commerciaux soutenus par des appareils d’État qui sont les protagonistes d’une intense rivalité oligopolistique dont les conséquences leur échappent.
Les mouvements du prix du pétrole en sont un exemple : huit ans après une phase de très forte hausse, en 2014 une chute brutale. Ils sont la conséquence de changements dans les sources d’approvisionnement et dans la stratégie géopolitique des États-Unis à l’égard de l’Arabie saoudite (sans parler d’accentuations de sa pression sur le Venezuela et sur la Russie), mais leur effet d’ensemble est de retarder encore la « reprise ». La vitesse de propagation mondiale des crises financières, dont 2008 a fourni un exemple, est celle de cette « puissante réalité indépendante » qui naît de la constitution du marché mondial.
L’économie mondiale est un ensemble hiérarchisé. Si « l’Angleterre et l’Inde, les États-Unis et le Brésil (sont) les éléments d’une plus haute unité qui s’appelle l’économie mondiale », ils n’y occupent pas la même place. Au moment où Trotski écrit, les uns en ont déterminé la configuration en tant que puissance impérialiste, les autres s’y sont vu assigner une place subordonnée de pays colonial ou néocolonial. Certains ont pu ensuite en sortir du fait de l’entre-déchirement des États impérialistes et du mouvement de libération nationale des années 1945-1980. Pour beaucoup de pays, le terme néocolonial demeure une caractérisation exacte et pour d’autres encore la meilleure approximation pour définir une situation de pays subissant les effets de ce qui est nommé pudiquement des « rapports asymétriques ».
Poursuivons la lecture : « L’évolution du capitalisme – si on la considère dans sa réalité historique et non dans les formules abstraites du second tome du Capital, qui conservent pourtant toute leur importance comme phase de l’analyse – s’est faite de toute nécessité par une extension systématique de sa base. Au cours de son développement et, par conséquent, au cours de la lutte contre ses propres contradictions intérieures, chaque capitalisme national se tourne de plus en plus vers les réserves du “marché extérieur”, c’est-à-dire de l’économie mondiale ».
C’est à partir des « contradictions intérieures » des États-Unis et de l’Europe qu’il faut encore analyser la genèse et l’essor de la mondialisation du capital contemporaine, dite aussi mondialisation « néolibérale ». C’est aux États-Unis qu’il faut rechercher les germes de la crise économique et financière mondiale ouverte en juillet-août 2007. C’est eux qui ont mis en mouvement la « puissante réalité indépendante » telle qu’elle s’est manifestée sous la forme de très grande crise de 2008 sur des marchés financiers où la tendance à l’autonomie du capital-argent porteur d’intérêts et du capital fictif avait été portée à un niveau hors de tout contrôle. À partir du tournant du siècle, sous l’effet de ses « propres contradictions intérieures », la Chine, réduite à un statut semi-colonial à la fin du XIXe siècle, puis devenue un espace d’accumulation autocentrée, s’est tournée elle aussi « vers les réserves du “marché extérieur” », avec une forte dépendance à l’égard des exportations, ainsi que l’établissement du fait de ses besoins en matières premières et l’importance de ses capitaux des rapports de domination économique avec des États africains et de rivalité avec de « vieux » pays industriels relevant en gros de l’analyse faite au chapitre VII de L’impérialisme, stade suprême.
Aujourd’hui « procéder de l’économie mondiale » exigerait de placer la Chine au centre de l’analyse et non d’en faire une grande économie qu’on essaie (ou non) d’inclure à la fin d’analyses dont les États-Unis restent le pivot. C’est la Chine qui a permis au capitalisme mondial d’éviter en 2009 que la récession partie des États-Unis se transforme en une dépression de type 1930. L’injection d’argent pour sauver le système financier n’aurait pas réussi si l’accumulation massive de capital réel en Chine n’avait pas assuré un vaste débouché aussi bien aux machines industrielles allemandes qu’aux matières premières de base en provenance des pays voisins d’Asie et d’Amérique du Sud.
Aujourd’hui la faible reprise étatsunienne a un effet bien inférieur sur l’état de l’économie mondiale que le ralentissement de la croissance chinoise rattrapée par la suraccumulation de moyens de production et tributaire des rapports économiques et politiques du système chinois dont la bulle immobilière et la formation d’un « shadow banking » chinois sont les manifestations.
Comme je l’ai écrit dans l’article d’août 2014 [voir article sur ce site, en date du 11 août 2014, onglet économie], le FMI et l’OCDE font désormais des projections mondiales dans lesquelles la Chine est centrale, dont faute des compétences particulières demandées je n’ai pas à chercher à comprendre la méthodologie. Dans des pays comme le Brésil les effets de changements dans la demande chinoise sont désormais chiffrés. Mais une « macroéconomie mondiale », marxienne ou marxo-keynésien-structuraliste fait terriblement défaut [4].
La division internationale du travail aujourd’hui
Le capital accumulé et centralisé dans le cadre des économies de l’État-nation s’étend vers l’extérieur par l’investissement direct, autant et dans beaucoup de secteurs plus que par les exportations. L’émergence contemporaine du « marché mondial pleinement constitué » est le résultat successivement de l’internationalisation des groupes financiers à dominante industrielle [5] des années 1965-1985, dans un cadre d’économies à accumulation autocentrée encore partiellement protégées, puis à partir des années 1990 de la mondialisation du capital proprement dite. Celle-ci est née de la libéralisation et de la déréglementation qui ont été organisées d’abord par des opérations et flux financiers par les pays du G7, le FMI et la Banque mondiale à partir des années 1978-1982, puis par des échanges commerciaux, de l’investissement direct à l’étranger (IDE) dans le cadre de l’OMC.
La libéralisation, la déréglementation et la mondialisation financières ont été la première étape et en quelque sorte le fer de lance de la mondialisation du capital, mais la dimension décisive en est l’articulation entre la libéralisation des échanges commerciaux et celle de l’investissement direct à l’étranger (IDE). A partir de 1994, c’est à l’OMC que la partie essentielle se joue pour le capital financier et les gouvernements du G7. La pleine intégration de la Chine au marché mondial par son adhésion à l’OMC en marque la pleine réussite et représente le moment d’apogée de la mondialisation néolibérale.
Aujourd’hui, les décisions d’investissement des grands groupes financiers à dominante industrielle et commerciale et les formes organisationnelles prises par cet investissement sont le facteur le plus puissant dans la détermination de la place et des formes d’insertion des différentes économies nationales dans la division internationale du travail. 80 % des échanges mondiaux comportent l’intervention d’une TNC (Transnational corporation, ou STN). Il n’y a que les États-Unis et la Chine où les gouvernements disposent d’une certaine marge de décision concernant leur insertion dans la division du travail mondiale.
L’usage qu’ils en font reflète les rapports antagonistes de classe avec les travailleurs et dans le cas étatsunien la configuration interne du capital dans la phase de financiarisation du capitalisme mondialisé. Les économies capitalistes industrielles qui avaient pu auparavant partiellement choisir, à l’aide de politiques plus ou moins réfléchies et délibérées, leur place dans la division du travail – l’Allemagne, la France, le Japon, plus tard la Corée du Sud – ont peu de marge. Ils subissent les aléas de la demande mondiale pour les marchandises produites ou sont enfermés dans des choix effectués il y a plusieurs décennies. (C’est le cas de la France avec le nucléaire et les industries militaires « classiques »).
Un cas tout particulier est celui du Royaume-Uni dont la place est construite sur l’institution multicentenaire de valorisation du capital argent qu’est la City. Dans le cadre de la financiarisation du capitalisme mondial, le Brésil et l’Argentine sont redevenus des pourvoyeurs de matières premières minières et agricoles.
Mais au-delà de ces situations encore aisément identifiables, la division internationale du travail est très complexe. Au terme des deux étapes d’internationalisation et de mondialisation proprement dite, plus de la moitié des importations mondiales de produits manufacturés concernent des biens intermédiaires (biens primaires, pièces détachées et composants, et produits semi-finis), et plus de 70 % des importations mondiales de services concernent des services intermédiaires, comme les services aux entreprises.
C’est le résultat successif et combiné de l’accroissement des échanges intra-industries (échanges croisés représentant une division du travail de plus en plus fine à laquelle de petites et moyennes entreprises peuvent participer), des échanges intragroupes entre les filiales des STN (36 % du commerce mondial en 2006) et enfin les mécanismes organisationnels de captation par les STN de valeur produite dans des entreprises plus faibles auxquels le terme « chaînes de valeur globales » (CVG) devrait être réservé strictement. [6] Une sous-section spécifique leur est consacrée plus bas.
Le fait qu’aujourd’hui la majeure partie des transactions internationales de biens et de services est faite d’intrants intermédiaires, traduit l’internationalisation du moment P du circuit complet du capital (A-M-P-M’-À ») et sa complexification. Dans la plupart des économies, environ un tiers des importations des marchandises dites « biens intermédiaires » finissent en exportations. Plus l’économie est petite, plus cette part est importante, mais même aux États-Unis et au Japon, elle atteint respectivement 17 % et 22 % de la production totale. L’intensité décuplée de l’exploitation que connaissent, dans le cadre des CVG, une très grande partie des travailleurs des pays, notamment en Asie du Sud-Est, sera analysée plus loin, mais il faut poser tout de suite les conditions qui la rendent possible.
Concurrence internationale entre travailleurs et armée industrielle de réserve mondiale
La libéralisation des IDE et des échanges de marchandises dans le cadre de l’OMC, qui est plus accentuée encore dans le cadre institutionnel de marchés uniques comme celui de l’Union européenne, a eu pour conséquence de mettre en concurrence directe sur le plan de l’emploi et des salaires les travailleurs entre pays d’un même continent ainsi que d’un continent à l’autre. C’est là que se trouve le socle des rapports entre le capital et le travail au plan mondial qui donne à chaque bourgeoisie, quelle que soit sa place dans la structure hiérarchique changeante du capital mondial, un avantage objectif immédiat, dont elle n’avait jamais bénéficié avant, dans ses rapports avec ses « propres » travailleurs, travailleurs immigrés inclus. Pour en aborder l’analyse et comprendre la portée on peut d’abord relire le passage du Manifeste du parti communiste où Marx et Engels parlent de la concurrence que le capital crée entre les travailleurs et des moyens auxquels ceux-ci ont recours dans leur lutte pour en limiter les ravages :
« Les intérêts, les conditions d’existence au sein du prolétariat, s’égalisent de plus en plus, à mesure que la machine efface toute différence dans le travail et réduit presque partout le salaire à un niveau également bas. Par suite de la concurrence croissante des bourgeois entre eux et des crises commerciales qui en résultent, les salaires deviennent de plus en plus instables; le perfectionnement constant et toujours plus rapide de la machine rend la condition de l’ouvrier de plus en plus précaire; les collisions individuelles entre l’ouvrier et le bourgeois prennent de plus en plus le caractère de collisions entre deux classes. Les ouvriers commencent par former des coalitions contre les bourgeois pour la défense de leurs salaires. Ils vont jusqu’à constituer des associations permanentes pour être prêts en vue de rébellions éventuelles. Çà et là, la lutte éclate en émeute.
Parfois, les ouvriers triomphent; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs. Cette union est facilitée par l’accroissement des moyens de communication qui sont créés par une grande industrie et qui permettent aux ouvriers de localités différentes de prendre contact. Or, il suffit de cette prise de contact pour centraliser les nombreuses luttes locales, qui partout revêtent le même caractère, en une lutte nationale, en une lutte de classes. Mais toute lutte de classes est une lutte politique, et l’union que les bourgeois du moyen âge mettaient des siècles à établir avec leurs chemins vicinaux, les prolétaires modernes la réalisent en quelques années grâce aux chemins de fer.
Cette organisation du prolétariat en classe, et donc en parti politique, est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que se font les ouvriers entre eux. Mais elle renaît toujours, et toujours plus forte, plus ferme, plus puissante. Elle profite des dissensions intestines de la bourgeoisie pour l’obliger à reconnaître, sous forme de loi, certains intérêts de la classe ouvrière : par exemple le bill de dix heures en Angleterre. »
Depuis que ceci a été écrit par Marx et Engels, le cadre de la lutte syndicale et politique pour les salaires et les lois sociales a effectivement toujours été national, avec un degré d’efficacité dont l’une des variables a été l’appel de différentes bourgeoisies aux réserves de main-d’œuvre dans les campagnes et leur recours à l’immigration. L’AIT, la Seconde Internationale et la Troisième dans ses premières années (en gros jusqu’à la question de la révolution chinoise et l’appui, puis la subordination politique à Chang Kaï-chek) ont permis aux partis ouvriers révolutionnaires et réformistes radicaux nationaux de se rencontrer et de chercher à se forger des théories et des appréciations de la situation commune.
Ces partis n’ont jamais coordonné des luttes ouvrières même dans des pays voisins. Et il n’y a que le texte de Trotski sur les États-Unis socialistes d’Europe [textes de 1923 et 1926] qui esquisse l’idée d’une division du travail organisée entre partis révolutionnaires de différents pays. L’aspiration majeure des courants internationalistes authentiques de la Seconde et de la Troisième internationale, puis de la Quatrième a été de mener la lutte commune contre la guerre, celle de 1914 comme celle de 1939, et de donner leur appui et leur aide aux luttes de libération nationale dans les pays coloniaux. Dans le cas européen, les années 1960 et 1970 l’appui aux luttes de libération nationale et, dans une moindre mesure, le combat contre les armes nucléaires ont été les seuls terrains d’un internationalisme effectif.
La libéralisation des IDE et des échanges de marchandises a fait du marché mondial constitué le terrain sur lequel le mouvement de création d’une « surpopulation relative » par rapport aux besoins en main-d’œuvre du capital se produit aujourd’hui.
Rappelons les termes utilisés par Marx dans le chapitre XXV du Capital :
« La loi selon laquelle une masse toujours plus grande des éléments constituants de la richesse peut, grâce au développement continu des pouvoirs collectifs du travail, être mise en œuvre avec une dépense de force humaine toujours moindre, cette loi qui met l’homme social à même de produire davantage avec moins de labeurs, se tourne dans le milieu capitaliste – où ce ne sont pas les moyens de production qui sont au service du travailleur, mais le travailleur qui est au service des moyens de production – en loi contraire, c’est-à-dire que, plus le travail gagne en ressources et en puissance, plus il y a pression des travailleurs sur leurs moyens d’emploi, plus la condition d’existence du salarié, la vente de sa force de travail, devient précaire. L’accroissement des ressorts matériels et des forces collectives du travail, plus rapide que celui de la population, s’exprime donc en la formule contraire, savoir : la population productive croit toujours en raison plus rapide que le besoin que le capital peut en avoir. »
Le degré auquel le capital a besoin d’acheter ou non la force de travail a conduit Marx à distinguer pour la Grande-Bretagne au moment où il écrit Le Capital, « en dehors des grands changements périodiques qui, dès que le cycle industriel passe d’une de ses phases à l’autre, surviennent dans l’aspect général de la surpopulation relative (…) quelques grandes catégories, quelques différences de forme fortement prononcées – la forme flottante, latente et stagnante » de surpopulation relative. La possibilité pour le capital de tel ou tel pays dont le rythme de l’accumulation était supérieur à d’autres de faire appel à l’immigration a donné à ce mouvement, à partir de la fin du dix-neuvième siècle, un caractère international accentué plus tard par la possession de colonies.
La libéralisation des IDE et des flux de marchandises doublées des processus politiques (chute de l’URSS, succès de la politique de Deng en Chine) a conduit à l’incorporation, à partir du milieu des années 1990, à la force de travail offerte au capital les travailleurs de Chine, de l’Inde et des pays de l’ex-Union soviétique. La force de travail mondiale a doublé entre 1980 et 2000. [7] Elle est estimée à 3.5 milliards de travailleurs. [8] Sans que le niveau moyen des salaires soit fixé au niveau du marché mondial, ni même en Europe du marché unique. Ainsi, le « China wage », aujourd’hui plutôt celui du travailleur vietnamien, et dans l’UE celui du travailleur « faux clandestin » (connu de la police) mis entre les mains du capitaliste local (avec son statut de « sans-papiers ») ont néanmoins un statut de référence. Plus l’armée industrielle de réserve est élevée, plus la possibilité de flexibilisation du travail et de précarisation des travailleurs s’accroît.
C’est cette énorme masse de travailleurs qui subit le mouvement de flux et de reflux de la demande par le capital de force du travail selon le moment du cycle de l’accumulation, aujourd’hui celui d’une crise mondiale chronique. Elle le subit évidemment de façon différenciée par pays du fait, inter alia, de sa taille, du taux de croissance du PIB, de sa configuration en rapport à l’économie mondiale et du degré d’organisation politique et de syndicalisation des travailleurs, ainsi que des types d’activités sectorielles et du niveau d’éducation. Le jeu de la loi de la surpopulation relative est mondial, mais ce n’est qu’au niveau de chaque pays que les différentes strates de l’armée industrielle de réserve sont analysables. C’est à la bourgeoisie et au gouvernement de chaque pays qu’il échoue de gérer les effets des phases de reflux des besoins de force du travail du capital et de décider les mesures sociales et politiques en fonction de la dimension et des traits spécifiques de chaque strate.
Le capital peut puiser dans les ressources de force de travail offerte par la surpopulation relative mondiale en organisant des flux migratoires contrôlés ou en allant vers les pays où elle se manifeste de façon particulièrement forte. Les flux migratoires contrôlés (« faux clandestins » inclus) bénéficient aux entreprises de toutes dimensions et de tous les secteurs d’activité. Se projeter là où la force de travail est abondante et sans défense est à la portée seulement des grands groupes financiers à dominante industrielle et commerciale.
La « financiarisation » du capital mondialisé
La relecture que j’ai faite du Capital pour chercher à cerner au mieux la notion de financiarisation dans sa relation avec la mondialisation du capital née de la libéralisation des investissements et des échanges me conduisent à définir la financiarisation comme une phase spécifique de l’histoire du capitalisme dans laquelle :
1° l’appropriation de plus-value déjà créée s’est redéveloppée aux côtés de la production de plus-value allant jusqu’à l’emporter dans certaines configurations du rapport capital-travail;
2° profit, intérêt et rente tendent à se confondre en raison de formes d’interpénétration entre le capital hautement concentré dans ses trois formes (capital industriel, capital commercial et capital argent) et
3° enfin où le fétichisme de l’argent a envahi toutes les activités sociales. Cette phase englobe et accentue les traits de l’impérialisme comme « capitalisme monopoliste » sur lesquels Lénine en particulier a mis l’accent, à savoir son caractère parasitaire et rentier.
Mais nous ne pouvons plus enseigner à sa suite, comme nous le faisions encore il y quarante ans, fût-ce en introduisant des nuances, que :
« Le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production; il entraîne en quelque sorte les capitalistes, en dépit de leur volonté et sans qu’ils en aient conscience, vers un nouvel ordre social, intermédiaire entre l’entière liberté de la concurrence et la socialisation intégrale. » Ou encore que : « De tout ce qui a été dit plus haut sur la nature économique de l’impérialisme, il ressort qu’on doit le caractériser comme un capitalisme de transition ou, plus exactement, comme un capitalisme agonisant. » [9]
Ou alors il faut dire que ce capitalisme agonisant entraîne l’humanité et la civilisation dans son agonie. Disons à ce point, sans développer l’argument, que les théories dites stagnationistes (dont la Monthly Review étatsunienne est le principal support) donnent une représentation gravement erronée du capital dont le mouvement « sans fin et sans limites » le pousse à une agression sans fin et dans des formes constamment renouvelées contre les travailleurs et contre le milieu naturel.
C’est d’abord sur une relecture du Capital que cette définition de la financiarisation se fonde au plan théorique. Dans le livre II dans son étude du circuit du capital dans ses trois formes, Marx définit le capital industriel comme :
« le seul mode d’existence du capital, où sa fonction ne consiste pas seulement en appropriation, mais également en création de plus-values, autrement dit de surproduit. C’est pourquoi il conditionne le caractère capitaliste de la production; son existence implique celle de la contradiction de classe entre capitalistes et ouvriers salariés » (souligné par moi).
Puis vient l’observation que ce mode d’existence du capital qui ne repose pas seulement sur l’appropriation de plus-value, mais sur sa production suppose (a comme condition) la subordination du capital commercial et du capital argent :
« ne représente plus que les modes d’existence des différentes formes fonctionnelles que le capitalisme industriel prend et rejette alternativement dans la sphère de la circulation, modes d’existence promus à l’indépendance et développés à part seulement en raison de la division sociale du travail ». [10]
Pourtant trois paragraphes plus loin dans le même chapitre, Marx observe que même dans ces conditions, le capital-argent revient au premier plan dans les phases d’euphorie financière :
« Toutes les nations adonnées au mode de production capitaliste sont prises périodiquement du vertige de vouloir faire de l’argent sans l’intermédiaire du procès de production ». Pourquoi? « Parce que l’aspect argent de la valeur est sa forme indépendante et tangible, de sorte que la forme A-A’, dont le point de départ et le point d’arrivée sont de l’argent effectif, exprime de la façon la plus tangible l’idée “faire de l’argent”, principal moteur de la production capitaliste ». Et Marx de lancer, « le procès de production capitaliste apparaît seulement comme un intermédiaire inévitable, un mal nécessaire pour faire de l’argent ».
La thèse que je défends est que même si ce « vertige » prend des formes paroxystiques à des moments donnés, comme dans les années et mois qui ont précédé la crise financière de 2007-2008, la recherche de la primauté du circuit court A-A » sur le circuit A-M-P-M’-À » s’est enracinée. Elle a un caractère systémique et marque maintenant le capitalisme de part en part. Le mode d’existence du capital porteur d’intérêt-capital fictif et du fétichisme de l’argent qu’il engendre et qu’il projette se répercute sur le processus de reproduction élargie dans son ensemble. Reprenons le circuit complet A-M-P-M’-À ». Au moment A on trouve les très grandes banques et fonds financiers, mais aussi les « fonds propres » (stockholder’s equity) et les réserves de trésoreries des grands groupes financiers à dominante industrielle et commerciale.
Le capital hautement concentré opérant au moment M’ du circuit est devenu l’égal du capital engagé dans la production de plus-value, tandis qu’au moment P les modalités d’organisation et de fonctionnement du capital « industriel » (mines, agro-industrie, manufactures et services) reposent aussi bien sur la production de plus-value que sur des modalités d’appropriation de plus-value déjà produite. La contradiction de classe oppose les ouvriers salariés urbains et ruraux ainsi que la paysannerie là où elle existe encore, au capital comme un bloc dont les niveaux et rythmes de rendement sont déterminés par des critères dictés par le capital argent. Au moment A » on trouve à la fois une oligarchie financière tout à fait identifiable [11] (les 1 % étatsuniens) et la situation en surplomb des « marchés » (financiers) qui sont l’expression la plus poussée historiquement du fétichisme de l’argent et de la prétention à l’autonomie du capital argent. On peut aussi reprendre cette analyse dans les termes de la théorie du capital financier.
Un siècle après Hilferding et Lénine « capital financier » et « finance capitaliste »
À la différence des langues latines, la langue anglaise permet d’utiliser deux termes proches, mais dont la distinction est nécessaire aujourd’hui pour une analyse qui cerne de près les relations capitalistes. D’un côté, la « finance capital », le capital financier au sens de Hilferding et de Lénine, c’est-à-dire l’interrelation dans différentes configurations nationales des plus grandes banques et des plus grandes entreprises. De l’autre, le « financial capital », aujourd’hui les grands conglomérats financiers et les fonds de placement, agents de l’accumulation de capital-argent porteur d’intérêt-capital fictif qui opèrent sur les marchés financiers, pour lesquels dans les langues latines il faut recourir au mot « finance » en français au singulier [12] et en d’autres langues au pluriel. [13]
Ce sont le rôle des fonds de pension et placement financier dans la centralisation de l’épargne, le passage de la banque au conglomérat financier et l’intensité de l’influence fétiche des marchés financiers qui créent la nécessité d’introduire cette distinction entre « capital financier » et « finance ». Cela même si leurs relations sont celles d’une interpénétration dont le terme « groupes financiers à dominante industrielle » est l’une des manifestations les plus étudiées. Ce sont les éléments constitutifs de ce que je nomme « l’accumulation financière proprement dite », par opposition à l’accumulation réelle de capital productif de plus-value. Il en est question à différents moments dans trois chapitres successifs XXX, XXXI et XXXII du livre III du Capital intitulés par Engels précisément « Capital-argent et capital réel ». Je me limite à une seule citation :
« L’accumulation de capital de prêt consiste simplement en ceci : de l’argent se dépose comme argent prêtable. Ce procès diffère grandement de la transformation réelle de l’argent (….) cette accumulation peut exprimer des opérations fort différentes de la véritable accumulation. En période d’expansion d’accumulation réelle, l’accumulation de capital-argent peut soit en être le résultat, soit être le résultat de phénomènes qui accompagnent, mais en diffèrent totalement, soit enfin être le résultat d’interruptions de l’accumulation réelle. » [14]
Cette accumulation spécifique résulte bien sûr de la « pléthore continue de capital-argent à certaines phases du cycle », dont le développement se fait « de pair avec l’extension du crédit », mais elle est aussi la conséquence d’autres phénomènes : accroissement des dépôts provenant de la rente foncière et de la division du profit entre intérêt et profit d’entreprise, excédents de trésoreries des capitalistes industriels du fait de baisses de prix des matières premières. Ici, comme au sujet du « vertige périodique » discuté plus haut, je soutiens qu’on est passé de configurations encore largement de type conjoncturel à une situation systémique qui est spécifique à la financiarisation comme phase historique.
Cette situation est le résultat d’un long mouvement d’accumulation de capital argent potentiellement de prêt, puis de capital fictif dans ses formes classiques de créances, obligations et actions et ensuite dans des formes de plus en plus purement spéculatives. Elle commence vers 1965 à la City, d’abord nourrie par les profits non réinvestis des STN étatsuniennes, puis des commissions afférentes au recyclage des pétrodollars après 1973, puis du service des intérêts de la dette du Tiers-Monde. Avec la libéralisation et déréglementation financière des années 1979-82, son point de gravité se déplace à New York et Chicago (les « futures »), sans que Londres ne cesse d’être la première place financière pour certaines transactions ainsi que le cœur du plus grand réseau international de paradis fiscaux.
La première moitié des années 1980 voit l’envol de la dette publique aux États-Unis et dans d’autres pays capitalistes industrialisés [15] avec une modification qualitative dans la dimension des flux d’intérêts avec vocation de se valoriser comme capital de prêt. C’est alors que se développe l’écart, le ciseau entre la croissance de l’accumulation du capital-argent et du capital réel dont une approximation chiffrée présentée sous forme de graphique se trouve dans l’article cité d’août 2014. C’est dans son creusement dans les années 1990 que s’amoncellent les ingrédients de la crise financière de 2007-2008. Ce sera l’objet de la seconde partie de ce texte.
Ici il faut cerner ce que cette accumulation financière, dont une partie est le fait des groupes financiers à dominante industrielle eux-mêmes, apporte comme changement à la configuration du capital financier dans sa définition classique et au positionnement et aux opérations du « capitaliste industriel ». Pour cela reprendre l’analyse proposée par Hilferding dans le chapitre XIV plus longuement que ne le fait Lénine qui n’en cite qu’un court passage. Hilferding souligne d’abord que la concentration industrielle et la concentration bancaire se développent en parallèle et se nourrissent l’une l’autre :
« Le développement de l’industrie capitaliste a pour résultat l’accroissement de la concentration des banques. Celle-ci à son tour est un facteur important de l’accroissement du degré de concentration dans les cartels et les trusts. La cartellisation entraîne ainsi le groupement des banques, comme celui-ci à son tour entraîne la cartellisation. »
Aujourd’hui ce double mouvement se poursuit comme processus de concentration transnational qui met les travailleurs face à de très grandes STN et à des conglomérats financiers mondialisés. La cartellisation internationale constatée dans les années 1920 ainsi que celle qui s’est établie au niveau national dans certains pays et sous certaines formes a fait place à une rivalité oligopolistique intense dans laquelle l’exploitation de la force de travail est un « facteur de compétitivité » central. Chez Hilferding capital-argent et capital réel ne font qu’un. Le banquier est à sa manière un industriel. Les banques sont les représentants des propriétaires de l’argent centralisé et « mettent à la disposition de l’industrie, non seulement tout le capital de réserve de la classe capitaliste, mais aussi la plus grande partie des fonds des classes non productives ». En même elles engagent dans l’industrie leurs fonds propres et se font industrielles :
« Une partie de plus en plus grande du capital de l’industrie n’appartient pas aux industriels qui l’emploient. Ils n’en obtiennent la disposition que par la banque, qui représente à leur égard le propriétaire. En outre, la banque doit fixer une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l’industrie. Elle devient ainsi dans une mesure croissante capitaliste industrielle. J’appelle le capital bancaire – par conséquent capital sous forme d’argent, qui est de cette manière transformé en réalité en capital industriel – le capital financier. »
La forme de fusion qui s’opère entre capital-argent et capital réel est décrite ainsi :
« Si l’industrie tombe sous la dépendance du capital bancaire, cela ne veut pas dire pour autant que les magnats de l’industrie dépendent eux aussi des magnats de la banque. Bien plutôt, comme le capital lui-même devient, à son niveau le plus élevé, capital financier, le magnat du capital, le capitaliste financier, rassemble de plus en plus la disposition de l’ensemble du capital national sous forme de domination du capital bancaire. Ici aussi l’union personnelle joue un rôle important. » (dimension sur laquelle Lénine a mis l’accent fortement)
La « liquidité » recherchée par les propriétaires d’argent leur est garantie :
« Par rapport aux propriétaires (le capital financier) conserve toujours sa forme d’argent, il est placé par eux sous forme de capital-argent, capital portant intérêt, et peut toujours être retiré sous forme d’argent. »
Mais la stabilité des industriels l’est aussi :
« En réalité, la plus grande partie du capital ainsi placé par les banques est transformée en capital industriel, productif (moyens de production et force de travail), et fixée dans le processus de production. »
On est très, très loin de cela aujourd’hui. Le banquier de Hilferding qui se fait industriel réunit les positions du « capital comme propriété » et du « capital comme fonction » que Marx distingue et même oppose dans le livre III du Capital. Il n’impose pas des critères purement financiers de « gouvernance des entreprises » et considère qu’il est dans son intérêt de soutenir l’investissement, l’accumulation de moyens de production. À la place du banquier, on trouve aujourd’hui une personnification tout autre du capital-argent, à savoir un ensemble d’organisations et d’institutions possédant des traits esquissés dans son analyse du capital porteur d’intérêt, position de « capital comme propriété », « extériorité à la production » et propension à engendrer le rapport fétichisé où :
« le capital semble être la source mystérieuse et créant d’elle-même l’intérêt, son propre accroissement. L’objet (argent, marchandises, valeur) simplement comme tel est maintenant déjà du capital et le capital apparaît comme simple objet. L’argent acquiert ainsi la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l’intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires. » [16]
Dernier point où la configuration a changé du tout au tout. Pour Hilferding le recul du capital commercial :
« est définitif et le développement du capital financier réduit le commerce absolument et relativement et transforme le marchand, autrefois si fier, en un simple agent de l’industrie monopolisée par le capital financier. »
Nous en sommes aujourd’hui très, très loin. Un très haut niveau de concentration national et international dans la distribution est l’un des développements les plus marquants des quarante dernières années. D’une part, les groupes de la distribution sont en mesure d’imposer leurs conditions d’accès au marché final des biens de consommation et d’imposer un partage de la plus-value et du profit industriel en leur faveur même aux grands groupes alimentaires. D’autre part, ils organisent directement une intégration verticale en amont sous la forme de la sous-traitance et des nouveaux modes opératoires des « chaînes de valeur » globale.
La concentration nationale et internationale du capital
Les grands groupes financiers à dominante industrielle et commerciale combinent la brutalité des rapports d’exploitation permise par la mise en concurrence internationale des travailleurs et une sophistication organisationnelle au regard desquels la chaîne de montage fordiste était une forme technologique simple permettant encore aux travailleurs de se regrouper facilement pour faire face au capital. Le nombre très réduit et donc l’immense pouvoir économique et politique de ces groupes résulte d’un processus de centralisation et de concentration du capital poussé à un stade sans commune mesure avec ce qu’il était il y a seulement une trentaine d’années.
La liste de 500 groupes recensés par la revue Fortune de 500 ne retient que les plus gigantesques (conglomérats financiers inclus). Leur nombre atteint 5000 si on en dresse une liste plus exhaustive. L’oligopole est la forme de marché absolument dominante de l’étape actuelle de la mondialisation. Cette concentration mondiale du capital très élevée aux moments M et M’ du circuit du capital, ainsi que le nombre restreint (aujourd’hui souvent de l’ordre d’une dizaine ou même moins dans certains domaines) des groupes qui monopolisent le moment P, dans des relations de rivalité oligopolistique, dans chaque secteur ou branche industrielle, sont le résultat d’un long processus de centralisation et de concentration du capital mené d’abord dans le cadre national puis dans le cadre mondialisé des années 1990.
Au plan national, un processus conjoint de centralisation industrielle et financière remonte au début du XXe siècle dans le cas de l’Allemagne, les États-Unis et le Japon sous des formes propres à chaque pays. En France, la forte centralisation financière n’a pas vu un développement similaire dans l’industrie avant les années 1960 où il s’est fait sous l’impulsion de l’État et a même pris un nom « création de champions nationaux ». Aux États-Unis après une phase de trente ans après la Seconde Guerre mondiale où les lois antitrust ont été appliquées, on a vu une reprise du mouvement au milieu des années 1980 sous l’effet du début de la déréglementation financière. Le cas de la Grande-Bretagne est très particulier.
C’est la centralisation par le marché boursier de Londres qui a financé l’expansion impériale britannique du XIXe siècle ainsi que la domination britannique de pays semi-coloniaux en Amérique latine, Argentine en tête. L’importance du marché boursier n’est pas allée de pair avec la formation de très grandes banques (pendant très longtemps la Lloyd engagée dans l’assurance maritime a été la plus grande société financière britannique), un petit nombre seulement de grands groupes internationalisés (ICI, Unilever, Glaxo) ont été constitués, de sorte que les compagnies pétrolières British Petroleum et Royal Dutch-Shell ont été et restent les STN britanniques les plus fortes.
La seconde moitié des années 1980 voit le début des fusions-acquisitions (M & A) transfrontières que la CNUCED commence à dénombrer. Après un court reflux, entre 1991 et 1993, elles prennent leur plein essor à partir de 1997, atteignant un premier pic en 2000 et après un léger ralentissement un second pic en 2007. La vague de fusions-acquisitions transnationales de la fin des années 1990 a été portée en particulier par la privatisation des grandes entreprises de service (télécoms, électricité, eau) notamment en Amérique latine et par la mondialisation des grands groupes de la distribution (le second groupe mondial Carrefour ayant poussé le processus très loin). C’est de ces fusions-acquisitions transnationales que résulte dans beaucoup d’industries le niveau actuel de concentration mondiale.
Les principales exceptions sont Microsoft, Apple, Google, Facebook, dont la croissance a été « endogène », pour autant bien entendu qu’on fasse abstraction de la longue projection mondiale du capitalisme étatsunien et de leur adossement à la puissance technologique (liée au militaire) et financière de l’État américain. L’entrée de groupes chinois et de quelques autres « pays émergents » dans la liste des plus grands groupes mondiaux résulte également pour l’instant d’un processus de concentration nationale surtout dans le pétrole, les métaux de base et l’agro-industrie (et bien sûr le secteur bancaire) [17].
Mais les groupes des pays émergents s’internationalisent en employant également la voie des fusions-acquisitions. Ils font partie intégrante, fût-ce dans des secteurs où prime les « dotations naturelles » [18] du « capitalisme des oligopoles-monopoles généralisé » dont parle Samir Amin. (Il reconnaît qu’il existe également « des oligopoles dans les pays du Sud », mais il leur attribue encore une capacité à combattre ceux du « Nord » et même à opérer encore une « déconnexion ».) [19]
Le « procédé violent de l’annexion », le pouvoir oligopolistique et les « chaînes de valeur mondiales »
Dans le livre premier du Capital s’agissant du capital industriel Marx établit une distinction qui s’est perdue ensuite entre d’une part « la concentration qui se confond avec l’accumulation » et de l’autre « un procès foncièrement distinct, la concentration de capitaux déjà formés, la fusion d’un nombre supérieur de capitaux en un nombre moindre, en un mot, la centralisation proprement dite. » Derrière la centralisation, il y a deux mécanismes. Il y a : « le procédé violent de l’annexion – certains capitaux devenant des centres de gravitation si puissants à l’égard d’autres capitaux qu’ils en détruisent la cohésion individuelle et s’enrichissent de leurs éléments désagrégés – (et) la fusion d’une foule de capitaux soit déjà formée, soit en voie de formation, s’accomplissant par le procédé plus doucereux des sociétés par actions, etc.
L’effet économique en restera le même. L’échelle étendue des entreprises sera toujours le point de départ d’une organisation plus vaste du travail collectif, d’un développement plus large de ses ressorts matériels, en un mot, de la transformation progressive de procès de production parcellaires et routiniers en procès de production socialement combinés et scientifiquement ordonnés. »
Les études sur la financiarisation des groupes industriels se sont focalisées sur le placement financier de leurs profits ainsi que sur leurs opérations spéculatives sur les marchés des dérivatifs [20]. Mais les dimensions les plus importantes de leur financiarisation se trouvent dans les formes actuelles du « procédé violent de l’annexion » et la mise en place par les groupes de mécanismes d’appropriation de la plus-value qui fusionnent profit et rente dans la production industrielle elle-même. De fait, la définition de la financiarisation que j’ai proposée plus haut repose sur une attention particulière portée aux chaînes de valeur mondiales (CVM). L’appropriation-centralisation par les groupes oligopolistiques de plus-value créée par de petites entreprises ou par des « travailleurs indépendants » est le trait central qui conduit à son tour aux formes et aux situations d’exploitation du travail particulièrement féroce d’aujourd’hui.
Dans le sens spécifique pris par ce terme suite à une évolution sur une vingtaine d’années, les CVM sont définis dans une étude de l’OCDE comme « l’ensemble des activités menées par une entreprise pour mettre un produit sur le marché, depuis sa conception jusqu’à son utilisation finale. » [21] Le terme désigne plus précisément l’organisation par les très grands groupes oligopolistiques d’une division internationale du travail aux étapes P-M’ du circuit du capital, allant de la création d’un modèle (design) à sa production et à sa distribution en passant par la logistique. La production est située, moyennant sous-traitance à des capitalistes locaux, dans les pays où l’armée industrielle de réserve est à la fois abondante et sans défense et la commercialisation se fait dans tous les pays où il y une demande finale soit par des magasins en franchisage, soit par les très grands groupes de la distribution.
Samir Amin parle de façon imagée d’une situation où les monopoles-oligopoles « ne sont plus des îles, fussent-elles importantes, dans un océan de firmes qui ne le sont pas, mais un système intégré (dans lequel) les petites et moyennes entreprises et même de grandes entreprises (…) sont enfermées dans des réseaux de moyens de contrôle mis en place en amont et en aval des centres oligopolistiques ». [22]
On sait gré à l’OCDE d’écrire dans son étude que « les progrès technologiques ont permis l’émergence des CVM, mais la libéralisation des échanges et de l’investissement a également joué un rôle. » Les CVM sont le résultat de la libéralisation des échanges commerciaux et des IDE autant que des progrès continus des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les plus importantes sont celles qui ont combiné des systèmes de télécommunications toujours moins onéreux et plus fiables et l’utilisation de logiciels de gestion de l’information et d’ordinateurs de plus en plus puissants.
Elles ont réduit les coûts et accéléré la vitesse de la coordination d’activités complexes au sein et entre des entreprises. Parallèlement la conteneurisation, la standardisation et l’automatisation du transport des marchandises ont en fait de même pour la circulation des marchandises. Ici encore l’OCDE reconnaît que « les politiques de déréglementation dans des segments clés des secteurs du transport et des infrastructures, comme le transport aérien, ont également contribué à la baisse des coûts ».
Les études universitaires, principalement étatsuniennes [23], ont établi voici quinze ans une distinction entre les chaînes dites « buyer-dominated » et celles dites « producer-led » ou « producer-dominated », mais la différence s’est largement estompée. Les chaînes s’articulant autour de groupes comme Wal-Mart qui exploitent leur position de monopsone de contrôle à l’accès à d’importants segments du marché final mondial, à commencer par celui des États-Unis, ou qui ont établi comme Carrefour des filiales à l’étranger [24] sont clairement buyer-dominated. Avec les chaînes construites par des groupes comme Nike, prototype des premières études de cas, la marque devient importante. Les marchandises sont relativement simples (vêtements, articles ménagers et jouets) et le coût des investissements manufacturiers reportés sur les sous-traitants de sorte que seulement les coûts de construction des réseaux logistiques et de marketing sont supportés par les groupes.
Les groupes-chefs de file des CVM se concentrent exclusivement sur le design, le marketing et le réseau de distribution. Ils montent de vastes réseaux de « fournisseurs indépendants » dans des configurations suggérées par la figure ci-jointe [placée sous le tableau des écarts salariaux]. Les fournisseurs en bout de chaînes sont des capitalistes locaux adeptes de l’exploitation forcenée. Dans l’habillement contrôlé par les grandes marques (Zara, Mango, HM, etc.), le Bangladesh – où de très importants accidents du travail ont eu lieu (catastrophe du Rana Plaza en 2013) – en est, du côté de l’organisation de la production, l’exemple par excellence. Les travailleurs sont dans le cas des pays asiatiques très majoritairement des femmes. Partout leurs salaires sont très inférieurs au niveau moyen.
Source : http://www.labourbehindthelabel.org/about-us/item/587-lets-clean-up-fashion-2007-update
Source : Koen de Backer, OECD Work on Global Value Chains and Trade in Value Added,(Presentation at the COMPNET Conference, Dublin, 13 March, 2013.
On trouve ensuite les CVM dans les industries dont les marchandises finales sont marquées par une coexistence et combinaison de « hautes technologies » reposant sur la R-D et de moyennes technologies standardisées. C’est le cas notamment de l’électronique, mais aussi de l’automobile et l’industrie pharmaceutique. Les grands groupes contrôlent la conception et l’organisation de la division internationale de la production, assemblage compris, entre des firmes plus petites dans différents pays. Le savoir-faire en matière de technologie [y compris la conception, etc.] et de production constitue une compétence stratégique. Il n’y a pas de transfert-partage de technologie de quelque importance avec de potentiels concurrents locaux sauf quand un pays possédant un marché très important peut en contrôler l’accès [cas de la Chine aujourd’hui]. Dans l’électronique les sous-traitants peuvent de très grosses entreprises et même des groupes transnationaux.
C’est le cas du groupe taïwanais adossé en fait à l’appareil d’État du PCC [Parti communiste], Foxconn qui est la plus grosse entreprise d’assemblage électronique du monde et fournisseur de toutes les plus grandes marques du secteur [Apple, Sony, HP, Dell, Nintendo, Nokia, Motorola, Microsoft]. Elle est devenue une STN en acquérant 10 % du capital du groupe japonais Sharp et possède des sites de production dans une douzaine de pays, dont le Brésil avec cinq usines et l’UE avec des usines en République tchèque, en Slovaquie et en Hongrie. Dans son usine de Longhua à Shenzhen ce sont entre 250,000 et 300,000 travailleurs qui connaissent des conditions de travail et de vie militarisées sinon concentrationnaires. [25]
Enfin les CVM ont des dimensions qui relèvent immédiatement de la finance. Elle a été précédée par ce qui a été nommé les « nouvelles formes d’investissement » où un transfert de technologie ou l’accès à un marché valait à un groupe une part du capital dans une entreprise-jointe [26], mais est devenue maintenant une pratique régulière sur une très grande échelle. Dans les secteurs industriels où la technologie est importante, les redevances de la propriété intellectuelle, brevets et licences, représentent avec les changements du droit international une source de rente toujours plus importante. [27]
Mais il y a surtout la généralisation du report par les STN sur les sous-traitants comme sur les magasins en franchise en bout de chaîne [en aval], du coût des investissements. Il n’est pas examiné dans le texte de l’OCDE, mais il l’est dans les rapports récents sur les STN de la CNUCED. Qualifiées de « non-equity modes of international production », soit « modes de production internationale sans participation au capital » [MPISPC], elles incluent une large gamme de relations de domination-subordination dans la production et la commercialisation des marchandises, qu’il s’agisse de biens ou de services : contrats de sous-traitance et de franchise. [28]
La CNUCED a évalué grossièrement pour 2010 le montant des MPISPC à 2000 milliards de dollars, comparé aux 1650 milliards de dollars d’IDE la même année.
Les industries ou secteurs où l’exploitation des travailleurs et la centralisation de la plus-value sont organisées au moyen des CVM et des MPISPC sont en général ceux qui bénéficient particulièrement de la libéralisation de l’investissement et des échanges et où la composition organique du capital penche nettement du côté de l’intensité du travail. Le degré de concentration en terme de nombre de groupes industriels signifie un acheminement de degré de concentration analogue de plus-value et de surproduit vers les grandes places financières au nombre desquelles il y a les places d’Asie du Sud-Est.
Pour avoir une vue d’ensemble du capital financier dans toutes ses composantes, il faudra dans l’article suivant introduire dans le tableau général les opérations du capital concentré dans secteurs dits « extractivistes » [29], maintenant étudiées de mieux en mieux, où le profit et la rente sur les ressources naturelles se confondent, puis celles des conglomérats financiers fortement internationalisés de la banque et des assurances. Ce n’est qu’alors qu’il deviendra possible de creuser l’analyse du capital fictif et de ses opérations. Mais on peut déjà conclure que la croyance fétiche que « l’argent aurait la propriété de créer de la valeur, de rapporter de l’intérêt, tout aussi naturellement que le poirier porte des poires » repose sur des rapports d’exploitation mondiaux extrêmement forts. [Cet article a été écrit pour la revue Herramienta d’Argentine; Francois Chesnais et Aldo Casas nous l’on fait parvenir, Rédaction A l’Encontre]
Publié par Alencontre le 1 — mars — 2015
Notes
[1] Voir les dernières prévisions en baisse du FMI.
http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2014/update/02/
[2] François Chesnais, Remarques sur la situation de l’économie capitaliste mondiale sept ans après le début de la crise économique et financière mondiale, www.alencontre 11 août 2014
[3] Voir Engels dans Anti-Dühring : « Nul ne sait quelle quantité de ses produits parviendra sur le marché ni même quelle quantité il en faudra; nul ne sait si son produit individuel trouvera à son arrivée un besoin réel, s’il retirera ses frais ou même s’il pourra vendre. C’est le règne de l’anarchie de la production sociale. Mais la production marchande comme toute autre forme de production a ses lois originales, immanentes, inséparables d’elle; et ces lois s’imposent malgré l’anarchie, en elle, par elle. Elles se manifestent dans la seule forme qui subsiste de lien social, dans l’échange, et elles prévalent en face des producteurs individuels comme lois coercitives de la concurrence. Elles sont donc, au début, inconnues à ces producteurs eux-mêmes et il faut d’abord qu’ils les découvrent peu à peu par une longue expérience. Elles s’imposent donc sans les producteurs et contre les producteurs comme lois naturelles de leur forme de production, lois à l’action aveugle. Le produit domine les producteurs. »
[4] L’économiste marxiste anglais Michael Roberts en est très conscient, mais ses efforts se limitent à essayer d’inclure la Chine dans le mouvement d’un « taux de profit mondial ». Voir son article de 2012 https://thenextrecession.files.wordpress.com/2012/07/roberts_michael-a_world_rate_of_profit.pdf
[5] C’est le terme proposé très tôt par François Morin et retenu par tous ceux qui ont travaillé en France sur l’internationalisation du capital productif. Voir Morin, La structure financière du capitalisme français, Calmann-Lévy, Paris, 1974.
[6] La CNUCED et l’OCDE les chiffrent maintenant en bloc sous l’appellation de CVG (80 % des échanges mondiaux) ce qui ôte leur spécificité.
[7] L’analyse la plus synthétique est celle de l’économiste du travail étatsunien Richard Freeman dans un article de 2010. http://www.theglobalist.com/what-really-ails-europe-and-america-the-doubling-of-the-global-workforce/
[8] http://www.mckinsey.com/insights/employment_and_growth/the_world_at_work
[9] Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, chapitres I et X.
[10] Marx, Le Capital, vol. 2, Éditions Sociales, tome 4, p. 53. (Le circuit du capital-argent)
[11] Oxfam « Wealth : Having It All and Wanting More », January
http://policy-practice.oxfam.org.uk/publications/wealth-having-it-all-and-wanting-more-338125
[12] D’où le titre dû à Dominique Lévy du livre collectif de 2006 du Séminaire marxiste, La Finance capitaliste.
[13] En fait le livre de Hilferding porte, dans les conditions de faible financiarisation de son époque, sur l’un et sur l’autre et même en termes de traitement en longueur plus sur la « finance » que sur le « capital financier », interrelation des grandes entreprises cartellisées avec les banques qui les contrôlent.
[14] Marx, Le Capital, vol. III, Éditions Sociales, tome 7, p. 168.
[15] Les dettes illégitimes
[16] Marx, Le Capital, vol. III, Éditions Sociales, t.7, p. 56.
[17] Les Américains observent attentivement la formation de très grands groupes chinois dans l’électronique. Voir par exemple http://knowledge.wharton.upenn.edu/article/emerging-market-multinationals-new-giants-on-the-block/
[18] Sur le Brésil voir l’étude documentée http://www.insead.edu/facultyresearch/research/doc.cfm?did=52564
[19] « On peut imaginer que les “conflits Nord/Sud” sont appelés à prendre beaucoup d’ampleur dans les années à venir. Les réponses que le “Sud” donnera à ces défis pour-raient alors constituer l’axe majeur de la remise en question du système mondialisé. Une remise en question qui n’est pas directement celle du “capitalisme”, mais qui est assurément celle de la mondialisation commandée par la domination des oligopoles. La substance de ces réponses du Sud devrait donc être précisée dans une perspective de contribution à armer les peuples et les États du Sud face à l’agression des oligopoles de la triade, faciliter leur “déconnexion” relative par rapport au système de la mondialisation en place, promouvoir des alternatives de coopération Sud-Sud multiples conséquentes ». https://www.cahiersdusocialisme.org/2010/11/23/le-capitalisme-des-oligopoles-generalise-mondialise-et-financiarise/
[20] Voir longtemps avant les autres le travail de Claude Serfati « Le rôle actif des groupes à dominante industrielle dans la financiarisation de l’économie », dans François Chesnais (coord.), La Mondialisation financière, Genèse, enjeux et coûts, Syros, Paris, 1996, puis plus récemment celui de Greta Krippner, « The Financialization of the American Economy. » Socio-Economic Review 3, 2005.
[21] Économies interconnectées : comment tirer parti des chaînes de valeur mondiales, OCDE, 2013.
http://www.oecd.org/fr/sti/ind/economies-interconnectees-CVM-synthese.pdf
[22] Samir Amin, L’implosion du capitalisme contemporain. Automne du capitalisme, printemps des peuples? Éditions Delga, Paris, 2012, p. 15
[23] Le pionnier en est Gary Gereffi.
[24] Une étude universitaire portant en particulier sur Carrefour écrit en conclusion : « Les activités d’approvisionnement et d’implantation des grands distributeurs des produits alimentaires dans les pays émergents ou en voie de développement ont un impact élevé sur la structure de la chaîne alimentaire de ces pays. Grâce à l’ampleur des volumes de vente traités, le distributeur international dispose d’une puissance de négociation avec les fournisseurs locaux. Cette puissance lui permet d’imposer à ses fournisseurs ses pratiques, systèmes d’achat, standards de qualité de produits et un prix d’achat plus bas. Par rapport à ces distributeurs de grande taille, les fournisseurs locaux sont dans une position de grande dépendance. Les distributeurs tendent à négocier directement avec les producteurs ou les fournisseurs, en supprimant les “intermédiaires” locaux. Enfin, le distributeur international introduit des nouvelles technologies et pratiques en matière de gestion de la logistique dans le pays d’accueil ». L’étude oublie de dire qu’il apporte son expérience dans l’exploitation intense de ses propres salariés en magasin et en caisse. www.colloquemontpellier.free.fr/comindus/… /Com_Cao_Dupuis_2009.pdf
[25] http://www.monde-diplomatique.fr/2012/06/POUILLE/47866 et http://www.peuples-solidaires.org/foxconn-des-conditions-de-travail-inhumaines-poussent-au-suicide/
[26] Voir mon livre, La mondialisation du capital, Syros, 1997, p.99-101.
[27] Claude Serfati, « Financial Dimensions of Transnational Corporations, Global Value Chain and Technical Innovation. » Journal ofInnovation Economics, 2008 2.
[28] Dans le World Investment Report de 2011, la CNUCED en donne une définition très large, illustrée par une liste non exhaustive : « contract manufacturing, services outsourcing, contract farming, franchising, licensing, management contracts and other types of contractual relationships through which TNCs coordinate activities in their global value chains (GVCs) (…) without owning an equity stake in those firms » (page 122).
[29] José Seoane, Emilio Taddei y Clara Algranati, Extractivismo, Despojo y Crisis Climatica, Desafíos para los movimientos sociales y los proyectos emancipatorios de Nuestra América, Ediciones Herramienta | Editorial El Colectivo, GEAL, Buenos Aires, 2013 et José Seoane, Emilio Taddei y Clara Algranati, Extractivismo, Despojo y Crisis Climatica, Desafíos para los movimientos sociales y los proyectos emancipatorios de Nuestra América, Ediciones Herramienta, Editorial El Colectivo, GEAL, Buenos Aires, 2013 ; Victor M. Figueroa Sepulveda, Industrial Colonialismo in Latin America. The Third Stage, Brill, 2013.