Ce ne sont pas des cultures qui émigrent, mais des hommes et des femmes. Ce ne sont pas non plus des cultures qui accueillent ces gens venus d’ailleurs, mais d’autres hommes et d’autres femmes vivant en société.
Ni le multiculturalisme ni l’interculturalisme — avec leur lecture culturalisante des réalités sociales et leur occultation des disparités économiques — ne réussissent à rendre compte de la complexité des comportements de ces groupes et de ces individus qui, au-delà de leurs différences réelles ou imaginaires, partagent la même humanité.
Si par culture on entend un ensemble de valeurs, de modes de vie, de manières de penser et de représentations collectives découlant de conditions historiques, sociales et économiques particulières, on ne peut parler de culture italienne, algérienne, haïtienne ou autre au Québec.
Une conception abstraite des cultures
Ce serait proposer une conception abstraite et non dynamique des cultures et ne pas tenir compte du contexte qui les détermine et les nourrit. Il y a, par contre, dans tout pays d’accueil — sauf dans des cas extrêmes de ségrégation —, des immigrants dont les modes de vie et les façons de penser s’éloignent de plus en plus de ceux du pays d’origine pour se rapprocher de ceux de la majorité, le plus souvent dans le respect des affinités de classe.
Il y a en effet plus de similitudes entre un immigrant et un Québécois de même condition sociale qu’entre un défavorisé et un privilégié se réclamant de la même culture. Les nombreux cas de mariage et d’amitié interethniques suffisent à le prouver. Ils ont lieu la plupart du temps entre personnes de même niveau social.
La condition sociale
Ainsi, contrairement au courant culturaliste qui prétend expliquer le sort et le comportement des individus par la culture au mépris des déterminants sociaux, on peut facilement constater que des choix aussi importants que le quartier (cossu ou populaire), l’école (privée ou publique), l’emploi (prestigieux ou ordinaire), les loisirs (culturels ou communs), l’orientation politique (si l’on fait abstraction de l’option souverainiste) relèvent plus souvent de la condition sociale que de la culture d’origine.
Même le français, que la majorité des immigrants finira par maîtriser, portera les traces de leur condition sociale ou de celle à laquelle ils aspirent. Un ouvrier parlera rarement comme un professionnel.
Quant aux échecs scolaires de certains jeunes immigrants, aux comportements déviants de quelques-uns d’entre eux et à la pauvreté d’une partie des parents, il faudra beaucoup d’ignorance, sinon de mauvaise foi, pour les mettre sur le compte de la culture.
Dans la grande région de Montréal (et ailleurs au Québec où il y a des groupes d’immigrants), au-delà des cas de profilage racial et de discrimination fondée sur l’origine ethnique, on assiste à la formation d’un modèle cosmopolite auquel contribuent les nombreuses communautés immigrantes dans tous les domaines de la vie collective, bien au-delà des formes ostentatoires ou superficielles reposant généralement sur des particularités culinaires, récréatives ou folkloriques.
Il est cependant incontestable que ce qui se crée, se rêve, s’écrit et se bâtit ici est québécois, à l’image du Québec pluriel connecté au reste du monde et façonné par les nouvelles générations.
Que ce soit au travail, à l’école ou dans son milieu de vie, l’immigrant — qu’il le veuille ou non — est transformé par la société d’accueil. Comme tous les Québécois, il est appelé à faire des choix dans une communauté en perpétuel changement, aussi imperceptible soit-il, traversée par de multiples intérêts, valeurs et courants idéologiques, éclipsant ainsi le cadre restreint et évanescent de la culture d’origine. C’est néanmoins sur celui-ci que sera édifiée, dans le déni du réel, l’idéologie du multiculturalisme, au détriment non seulement des francophones d’héritage canadien-français, mais aussi des immigrants.
L’emprise des dominants
Si l’on a beaucoup reproché aux tenants du multiculturalisme canadien de ne pas reconnaître les deux peuples fondateurs et de réduire les francophones à un statut de simple communauté ethnoculturelle, on a omis, par contre, de mettre en lumière leur vision culturaliste uniformisante — partagée par les défenseurs de l’interculturalisme — des collectivités nationales et des communautés immigrantes, laquelle fait écran à la conflictualité sociale à l’œuvre dans chacune d’elles.
Abolis, les riches et les pauvres ! Balayés, les privilégiés et les défavorisés ! Chacun n’est plus que le fier porte-étendard de sa propre culture réelle ou fantasmée.
Situation idéale pour que se perpétuent l’aliénation des dominés et l’emprise des dominants.