Bien que je condamne comme tout le monde, ou presque, la « collusion tentaculaire » de quelques entrepreneurs sur l’industrie de la construction au Québec, et à ce sujet, je souhaite ardemment que le travail de la Commission Charbonneau aboutira au démantèlement de ce système. Il n’en demeure pas moins que la couverture médiatique des derniers jours me laisse plutôt songeur.
En effet, il m’apparaît plutôt paradoxal de voir les médias de Power Corporation et de Québecor multiplier les manchettes pour dénoncer cet « empire colossal », diagrammes à l’appui, ainsi que le contrôle et l’influence démesurés exercés par seulement 7 entrepreneurs cachés derrière 147 sociétés diverses. Une couverture médiatique pour le moins « surréaliste » quand on y pense quelques instants.
Un droit de vie et de mort sur les journalistes et les politiciens
Et pour cause, ces journalistes et chroniqueurs qui dénoncent cette mainmise de quelques entrepreneurs sur l’industrie de la construction sont eux-mêmes à l’emploi de deux empires encore plus puissants et influents auprès de l’opinion publique et de nos politiciens. En effet, à eux seuls, Power Corporation et Québecor contrôlent plus de 90 % de l’information écrite au Québec et ces mêmes journalistes ne semblent guère s’en offusquer.
Et c’est sans compter leur influence qui s’étend dans le secteur de l’information télévisée. Pour Québecor en détenant le groupe TVA, le plus important réseau de télévision privée au Québec, et les journaux de Power à travers leur alliance avec Radio-Canada. Ces deux empires sont suffisamment puissants pour faire et défaire les carrières journalistiques, au gré des caprices de leurs propriétaires, aussi bien que les carrières politiques.
Les tentacules de Québecor et Power
Les récentes révélations des visites fréquentes de notre premier ministre Jean Charest, au domaine de Sagard, démontrent jusqu’à quel point cette influence des barons de la presse n’est pas moins inquiétante que celle des rois de l’industrie de la construction.
C’est bien beau de nous montrer les tentacules des pieuvres Accurso, Fava, Catania, et autres empires de la construction, mais qu’attendent ces médias pour brosser le portrait de ces pieuvres médiatiques que sont Québecor et Power et nous montrer leurs nombreux tentacules et jusqu’à quel point ces intérêts influencent leur façon de nous informer ?
Une information « sous influence »
Qu’en est-il des liens d’affaires étroits entretenus entre le grand patron de Québecor et les autorités de la Ville de Québec ? Jusqu’à quel point ces intérêts communs ont-ils teinté la couverture faite par les journalistes de Québecor du dossier de l’amphithéâtre de Québec ? Et que dire des autres liens unissant Québecor au gouvernement de Stephen Harper ? Sans oublier le détournement du temps d’antenne dans les bulletins de nouvelles de TVA ou de LCN, ou la récupération de l’espace rédactionnel dans les journaux de l’empire, pour tout simplement faire l’autopromotion des produits de l’empire… avec la complicité de journalistes qui n’ont guère le choix.
Mêmes malaises du côté de Power alors que nous ignorons, quoi qu’en dise Pierre Foglia, jusqu’à quel point les multiples intérêts de la famille Desmarais, notamment dans le pétrole, les gaz de schiste, les assurances, et j’en passe, n’influencent pas la pensée éditoriale des médias de l’empire, comme leur couverture journalistique. Les doutes sont d’autant plus renforcés quand on voit tout le temps que le journal La Presse a dû prendre avant de nous parler de la fameuse vidéo montrant certains politiciens réunis à Sagard pour célébrer l’anniversaire de Jacqueline Desmarais… alors que la nouvelle faisait déjà largement la manchette dans les médias concurrents.
Un « pouvoir familial » unique en Occident
Je veux bien qu’on s’inquiète des empires qui font la pluie et le beau temps dans l’industrie de la construction, et j’en suis, mais l’influence des Desmarais et Péladeau qui fabriquent l’opinion publique à coup de sondages questionnables, de chroniqueurs asservis, de manchettes assassines, et de reportages biaisés, qui relèvent plus de la propagande que de l’information, ne mérite-t-elle pas qu’on s’y arrête également ?
Le taux de concentration de la presse atteint au Québec et au Canada est le plus élevé en Occident. Aucun autre pays industrialisé ne permettrait qu’un tel pouvoir d’informer et d’influencer l’opinion publique repose entre les mains de si peu de personnes. Des empires médiatiques tels que Power et Québecor n’auraient jamais pu se constituer dans aucune autre démocratie qu’au Québec et au Canada. Pourtant, non seulement cela a été possible ici, mais je n’entends personne demander que l’on démantèle un duopole aussi puissant et menaçant pour notre société.
Ce que vous ne verrez jamais à la Une
Verrons-nous un jour, à la une des médias de Québecor ou de Power, les diagrammes faisant voir à l’ensemble de la population les multiples tentacules de ces pieuvres qu’ils sont devenus ? Pourra-t-on voir visualiser les liens étroits unissant leurs propriétaires et leurs chroniqueurs à divers think-tank et lobby de droite ?
Aurons-nous droit un jour, au Québec, à une commission d’enquête chargée de se pencher sur les effets réels de la concentration de la presse, des conséquences d’un pouvoir aussi concentré sur l’objectivité journalistique et l’opinion publique ? Je sais bien que je rêve mais je ne peux m’empêcher de penser qu’on toucherait là quelque chose d’aussi gros et d’aussi important pour le bien commun que la Commission Charbonneau.