Il fallait bien sûr s’attendre à ce que le manifeste de LA CLASSE fasse jaser. Bien qu’à mille lieues du brûlot, le simple fait d’appeler ça un « manifeste » semble raviver chez plusieurs des souvenirs… explosifs? Personne n’a encore évoqué la FLQ, à ce que je sache, mais des images de bombes doivent bien trotter dans la tête de certains. Hier, on apprenait que la police de Montéal a transféré le dossier étudiant au département (tenez-vous bien) du crime organisé.
LA CLASSE et le crime organisé, même combat? C’est fort en ketchup, comme d’ailleurs certains commentaires qui ne sont pas passés inaperçus depuis la publication du manifeste. Je retiens les deux plus savoureux: celui de Normand Lester, qui voit du fascisme dans les propos étudiants, et de Louis Fournier qui, lui, parle d’anarchisme. Pour l’un, c’est l’extrême droite qui sévit, pour l’autre, l’extrême gauche. Tout un saut, là aussi.
Mais qu’est-ce qui les énerve tous autant ?…
Normand Lester, on le sait, aime se crêper le toupet. On se souvient de sa charge à fond de train contre l’électorat québécois suite aux dernières élections fédérales. Des « centaines de milliers de Ti-counes ont voté comme leurs voisins », se plaignait-il, traitant les Québécois de « peuple de suiveux et de moutons complexés ». Le moins qu’on puisse dire c’est que chaque fois que le Québec s’exprime politiquement à gauche, M. Lester est là pour nous asséner un bon coup de savate, quitte à invoquer Mussolini (l’extrême droite) pour le faire. Cré Normand.
Si les allusions à Mussolini et au fascisme surprennent, l’ex-journaliste du petit écran nous explique d’où vient son inspiration en parlant « des relents de fémino-fascisme » de LA CLASSE. « Tout le monde sait qu’ici au Québec, nous sommes depuis toujours une société dominée par les bonnes femmes », écrit-il. Il en rajoute en disant que le « gender politics » qui mène les étudiants par le bout du nez a comme mantra: « t’as le choix d’être d’accord avec nous ou de fermer ta gueule ».
Voilà donc ce qui énerve tant notre Normand national. Au moment d’écrire ces lignes, un homme quelque part au Colorado vient de tuer 12 personnes assises dans un cinéma, encore un autre, mais ce serait les femmes les vraies fascistes, les femmes qui ont le vrai pouvoir, même si elles ne sont pas aux postes de commande, sauf exception, et que la discrimination salariale persiste comme si de rien n’était. On n’est pas à une contradiction près.
Beaucoup moins incendiaires, les propos de Louis Fournier, surprennent également, si ce n’est que l’ex-journaliste et syndicaliste est un ami de la gauche, non un adversaire acharné comme Normand Lester. Mais, de la même façon que Lester voit de la graine de fascistes chez les Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde, Louis Fournier, lui, voit des anarchistes, une réincarnation selon lui « du bon vieux marxisme-léninisme, populaire ici à la fin des années 70 et au début des années 80. »
Normand Lester est hanté par les « bonnes femmes » alors que Louis Fournier est hanté par les « m-l », et plus précisément par le douloureux souvenir du référendum de 1980 où les m-l votèrent non. Bref, si un homme de gauche comme Louis Fournier s’en prend à la plus vigoureuse expression de gauche à survenir depuis belle lurette, c’est qu’il soupçonne LA CLASSE d’être des « adversaires du nationalisme ». En ce sens, il rejoint un troisième commentaire, celui de Marc Laviolette et Pierre Dubuc du SPQ Libre, accusant LA CLASSE de bouder « la question nationale » (Le Devoir, 19 juillet).
Pour plusieurs, cette « absence » est plus grave encore que l’appel à la désobéissance civile. Comment peut-on passer à côté du « pays », à plus forte raison quand on se nomme « avenir »?…
A mon avis, c’est mal comprendre ce qui se passe actuellement. C’est amener de vieilles préoccupations à une conjoncture totalement nouvelle. Pour reprendre un cliché, nous avons abandonné l’axe fédéralisme-souveraineté pour l’axe gauche-droite. C’est manifeste depuis les dernières élections fédérales et incontournable depuis la crise étudiante.
Comme me disait le metteur en scène et militant Dominic Champagne, un « séparatiste » par ailleurs convaincu, « ce n’est pas le combat pour l’indépendance qui intéresse en ce moment, c’est davantage poser des gestes de souveraineté ». Tels la gratuité scolaire (peu importe ce que font les autres provinces), le rapatriement de nos ressources naturelles, une alliance avec les peuples autochtones, l’égalité homme-femme… précisément ce dont parle LA CLASSE dans son manifeste.
Il y a plusieurs façons d’envisager la liberté. Le manifeste de LA CLASSE a le mérite de mettre du contenu sur la table, des cibles concrètes, plutôt que de rêver au simple contenant, « le flag sur le hood », comme disait Jean Chrétien.
Les nombreuses critiques parfois insensées de ce texte illustrent bien l’impasse dans laquelle se trouve le Québec, tout comme celui de la souveraineté comme telle.
Francine Pelletier, journaliste, réalisatrice et scénariste