Le néolibéralisme est en crise mais il est toujours dominant. La position par rapport au néolibéralisme joue un rôle politique majeur. On a pu le vérifier dans tous les pays du Maghreb et du Machrek dans la période récente. Après 2011, le nouveau cycle de luttes et de révolutions avait ouvert, et ouvre toujours, de grands espoirs. Ils ont particulièrement mis sur le devant de la scène les questions des libertés et les questions sociales. Les gouvernements issus des élections en Tunisie et en Egypte se sont révélés complètement acquis au néolibéralisme.
Comme dans beaucoup de pays dans le monde, notamment en Europe, ils attendent leur salut économique des capitaux internationaux, des « investissements directs étrangers ». Les forces qui s’y opposent affichent un rejet du néolibéralisme, mais le plus souvent, elles ne mettent pas en avant les mesures concrètes et les politiques pour sortir du néolibéralisme. Que peut répondre l’altermondialisme à la question « Comment sortir du néolibéralisme ? »
La situation globale
La situation globale est caractérisée par ce que l’on a convenu d’appeler la crise et qui s’approfondit depuis 2008. La dimension financière, la plus visible, est une conséquence qui se traduit dans les crises ouvertes alimentaires, énergétiques, climatiques, monétaires, etc. La crise structurelle articule quatre dimensions : économiques et sociales, celle des inégalités sociales et de la corruption ; écologiques avec la mise en danger de l’écosystème planétaire ; géopolitiques avec la fin de l’hégémonie des Etats-Unis, la crise du Japon et de l’Europe et la montée de nouvelles puissances ; idéologiques avec l’interpellation de la démocratie, les poussées xénophobes et racistes.
Il s’agit en fait d’une triple crise emboîtée : une crise du néolibéralisme en tant que phase de la mondialisation capitaliste ; une crise du système capitaliste lui-même qui combine la contradiction spécifique du mode de production, celle entre capital et travail, et celle entre les modes productivistes et les contraintes de l’écosystème planétaire ; une crise de civilisation qui découle de l’interpellation des rapports entre l’espèce humaine et la nature qui ont défini la modernité occidentale et qui ont marqué certains des fondements de la science contemporaine.
Les résistances des peuples ont accentué la crise du néolibéralisme ; elles confirment le rôle des luttes sociales et culturelles dans l’épuisement de cette phase de la mondialisation capitaliste. Les inégalités sociales, le chômage, la précarisation ont fait baisser la consommation populaire et ouvert une crise de « surproduction ». Le recours au surendettement a trouvé ses limites ; par l’extension des marchés financiers dérivés, il a contaminé tous les marchés de valeurs.
L’explosion des « subprimes » a marqué le passage de la dette des ménages à la dette des entreprises bancaires. Le sauvetage des banques par les Etats a ouvert la crise des dettes publiques. La réduction des déficits par les plans d’austérité est supposée permettre une solution à cette crise sans remettre en cause les profits et en maintenant le contrôle par le marché mondial des capitaux et les privilèges des actionnaires. Les résistances populaires s’y opposent.
L’exaspération des peuples a démasqué la dictature du pouvoir financier et la « démocratie de basse intensité » qui en résulte. La corruption est rejetée parce qu’elle est systémique. Elle est dans sa forme actuelle constitutive du néolibéralisme. Elle résulte de la fusion entre le politique et le financier qui corrompt structurellement la classe politique dans son ensemble. Le rejet de la corruption va au-delà de la corruption financière ; il s’agit de la corruption politique. Comment faire confiance quand ce sont les mêmes, avec parfois un autre visage, qui appliquent les mêmes politiques, celles du capitalisme financier.
Pendant ce temps, des changements font leur chemin, déterminant le très long terme. Parmi ces changements, il faut noter, à travers la crise, les extraordinaires bouleversements scientifiques et techniques, particulièrement dans le numérique et les biotechnologies. La révolution culturelle portée par l’écologie exacerbe l’affrontement entre les possibilités ; celles de la domestication de ce progrès au service de l’exploitation et de l’aliénation ou celles de nouvelles ouvertures au service de l’émancipation.
Il n’est pas toujours aisé de prendre du recul par rapport à la prégnance du néolibéralisme secoué mais toujours dominant. Le temps long des mouvements donne le recul nécessaire. Le mouvement ouvrier s’est construit depuis le milieu du 19ème siècle. Il a connu une période d’avancées de 1905 à 1970. Malgré les guerres et le fascisme, il a réussi des révolutions en Russie, en Chine et dans plusieurs pays du monde ; à travers son alliance avec les mouvements de libération nationale, il a quasiment encerclé les puissances coloniales ; il a imposé des compromis sociaux et un « Welfare State » dans les pays du centre capitaliste.
Depuis 1970, s’est ouverte une période de quarante ans de défaites et de régressions du mouvement social dans les pays décolonisés, dans les pays qui avaient connus des révolutions et dans les pays industrialisés. Les bouleversements et la crise pourraient caractériser la fin de cette longue période de régressions, sans que l’on puisse définir précisément ce qui va suivre.
Les avenirs possibles
L’épuisement du néolibéralisme ne signifie pas pour autant le dépassement du capitalisme. Il va déboucher sur une nouvelle phase de la mondialisation capitaliste avec une nouvelle logique, ses contradictions et de nouvelles forces anti-systémiques. A plus long terme, la crise structurelle porte la confrontation entre plusieurs avenirs possibles, entre plusieurs visions du monde. La stratégie des mouvements se définit par rapport aux avenirs possibles et aux conceptions qui les sous-tendent. Ils ont été précisés dans les débats du Sommet des peuples qui a été organisé par les mouvements sociaux en contre point de la Conférence des Chefs d’Etat Rio+20, en juin 2012.
Trois horizons, trois conceptions, se sont dégagés : le renforcement sous d’autres formes de la financiarisation et son extension à la Nature ; un réaménagement du capitalisme fondé sur une régulation publique et une modernisation sociale ; une rupture ouvrant sur une transition écologique, sociale et démocratique. Les situations concrètes seront caractérisées par des articulations spécifiques entre ces trois logiques.
La première conception, celle du renforcement du néolibéralisme, est celle de la financiarisation de la Nature. Elle a été exposée dans le document de travail préparé par les Nations Unies et les Etats, pour Rio+20. Dans cette vision, la sortie de la crise passe par la recherche du « marché illimité » nécessaire à la croissance. Elle fonde l’élargissement du marché mondial, qualifié de marché vert, sur la financiarisation de la Nature, la marchandisation du vivant et la généralisation des privatisations.
Cette approche reconnait que la Nature produit des services essentiels (elle capte le carbone, elle purifie l’eau, etc.). Mais elle considère que ces services sont dégradés parce qu’ils sont gratuits. Pour les améliorer, il faut les marchandiser et les privatiser. Dans cette optique, seule la propriété privée permettrait une bonne gestion de la Nature qui serait confiée aux grandes entreprises multinationales, financiarisées. Il s’agit alors de restreindre les références aux droits fondamentaux qui pourraient affaiblir la prééminence des marchés. Il s’agit de subordonner le droit international au droit des affaires.
La deuxième conception est celle du Green New Deal, défendue par d’éminents économistes de l’establishment comme Joseph Stiglitz, Paul Krugman et Amartya Sen souvent qualifiés de néo-keynésiens. Elle part de l’ « économie verte » qu’il s’agit de maîtriser. La proposition est celle d’un réaménagement en profondeur du capitalisme à partir d’une régulation publique et d’une redistribution des revenus.
Elle est encore peu audible aujourd’hui car elle implique un affrontement avec la logique dominante, celle du marché mondial des capitaux, qui refuse les références keynésiennes et qui n’est pas prêt à accepter qu’une quelconque inflation vienne diminuer la revalorisation des profits. Il faut rappeler que le New Deal adopté en 1933 n’a été appliqué avec succès qu’en 1945, après la deuxième guerre mondiale.
La troisième conception est celle des mouvements sociaux et citoyens qui a été explicitée dans le processus des forums sociaux mondiaux. Ils préconisent une rupture, celle de la transition sociale, écologique et démocratique. Ils mettent en avant de nouvelles conceptions, de nouvelles manières de produire et de consommer. Citons : les biens communs et les nouvelles formes de propriété, la lutte contre le patriarcat, le contrôle de la finance, la sortie du système de la dette, le buen-vivir et la prospérité sans croissance, la réinvention de la démocratie, les responsabilités communes et différenciées, les services publics fondés sur les droits et la gratuité. Il s’agit de fonder l’organisation des sociétés et du monde sur l’accès aux droits pour tous et l’égalité des droits.
La stratégie des mouvements définit les alliances par rapport à ces avenirs possibles. L’urgence est de réunir tous ceux qui refusent la première conception celle de la financiarisation de la Nature. D’autant que l’imposition du système dominant malgré l’épuisement du néolibéralisme porte les risques d’un néo-conservatisme de guerre. Cette alliance est possible d’autant que les mouvements sociaux ne sont pas indifférents aux améliorations en termes d’emploi et de pouvoir d’achat que pourrait apporter le Green New Deal.
Mais de nombreux mouvements constatent l’impossibilité de concrétiser cette régulation publique dans les rapports de forces actuels. Ils considèrent de plus que la croissance productiviste correspondant à un capitalisme, même régulé, n’échappe pas aux limites de l’écosystème planétaire. Dans la durée, et si le danger du néo-conservatisme de guerre peut être évité, la confrontation positive opposera les tenants du green new deal et ceux du dépassement du capitalisme. Les alliances concrètes dépendront des situations des pays et des grandes régions.
Les changements de la mondialisation capitaliste
Les mouvements sociaux sont confrontés à l’évolution de la mondialisation et aux bouleversements géopolitiques. La bourgeoisie financière reste encore au pouvoir et la logique dominante reste celle de la financiarisation. Mais la mondialisation est en train d’évoluer et ses contradictions augmentent. Elle se traduit par une différenciation des situations suivant les régions du monde, une sorte de dérive des continents. Chaque grande région évolue avec des dynamiques propres et les mouvements sociaux cherchent à s’adapter à ces nouvelles situations. Cette évolution modifie les conditions de la convergence des mouvements.
Dans la réflexion et les mobilisations sur la crise et la transition, la dimension géopolitique est souvent négligée. Elle est trop pensée de manière subordonnée à la dimension économique et sociale alors que les conflits et les guerres rappellent que la géopolitique peut déterminer les situations sociales et leurs issues.
Les nouvelles puissances participent du basculement du monde. Mais ces « émergents » ne forment pas un ensemble homogène. Ils n’annulent pas la domination actuelle qui reste une caractérisation pertinente pour comprendre l’état du monde et les rapports entre les pays. Mais, la domination évolue et les rapports géopolitiques sont modifiés. Les nouvelles puissances s’imposent dans les grandes régions et contribuent à leur différenciation.
La nature des économies émergentes s’inscrit dans l’évolution de l’économie mondiale. Dans les années 2000, plusieurs pays se sont imposés avec un taux de croissance soutenu, une balance commerciale excédentaire, des réserves de devises considérables. Ces pays ont résisté à la crise de 2008. Il s’agit d’une trentaine de pays dans le monde. Après l’émergence des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), un nouveau groupe de pays s’affirme, le CIVETS (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie, Afrique du Sud).
Ce groupe de pays se caractérise par des populations jeunes, une économie diversifiée, un endettement soutenable et une relative volonté politique. Ils continuent à bénéficier de forts investissements étrangers et d’une attention particulière des multinationales. Il ne faut pas oublier aussi le rôle géopolitique de certains pays rentiers à l’exemple de l’Arabie Saoudite et du Quatar.
Ces pays amorcent un infléchissement de la nouvelle division internationale du travail. Même si l’affrontement sur les recherches et les nouvelles technologies s’exacerbe et s’il peut y avoir des fléchissements et des reculs par rapport aux taux de croissance, il est peu probable que la réorganisation des échanges et des richesses revienne à l’ancienne situation. On observe déjà une restructuration de la classe dominante mondiale recomposée avec les financiers des nouvelles économies. Les conséquences géopolitiques majeures sont à venir.
Le chamboulement géopolitique se traduit d’abord sur le plan économique. Les économies émergentes se déclarent pour une économie ouverte mais ne laissent pas les marchés financiers fixer les prix, les taux de change et orienter les investissements. Les politiques économiques laissent un rôle d’intervention stratégique à l’Etat. Ils ne rompent pas avec le marché mondial des capitaux mais tentent de maîtriser leurs rapports notamment avec les fonds d’investissements publics. Ils cherchent des nouvelles politiques économiques qui combinent le respect des contraintes néolibérales avec des politiques de redistribution partielles qui réduisent la pauvreté mais ne compensent pas les inégalités.
A Durban, en mars 2013, au moment du quatrième sommet des chefs d’Etat des BRICS, pour la première fois, un contre-sommet a été organisé par les mouvements de ces mêmes pays. Des liaisons ont été organisées avec le FSM de Tunis. La convocation de ce contre-sommet affichait la question : « BRICS : Anti-imperialist, sub-imperialist or in between ? » Les mouvements sociaux des pays émergents sont porteurs de plusieurs revendications : la volonté de négociation sociale ; la démocratisation ; le refus de la domination et des oukases extérieurs. Ces mouvements joueront un rôle central dans la redéfinition du mouvement altermondialiste.
La stratégie altermondialiste
La pensée stratégique, se construit dans l’articulation entre la question de l’urgence et celle de la transformation structurelle. Il s’agit d’inscrire les réponses à l’urgence dans une perspective de long terme. Dans les forums sociaux mondiaux, deux préoccupations sont présentes : la définition de mesures immédiates à imposer pour améliorer les conditions de vie des couches populaires et la nécessaire définition d’une orientation alternative.
Pour sortir du néolibéralisme, on peut définir plusieurs démarches : dans le court terme, celle que peuvent engager des gouvernements, sous la pression des mouvements, pour définir des politiques nouvelles ; dans le moyen terme, les efforts pour faire évoluer le système international et gagner des marges de manœuvre ; dans le long terme, les politiques alternatives de dépassement du capitalisme. Toutes ces démarches doivent être engagées dès aujourd’hui.
Les mouvements mettent en avant que d’autres politiques sont possibles. Pour cela, il leur faut combattre l’inertie des forces gouvernementales qui sont persuadées qu’il n’y a pas d’alternatives. Il faut répondre à cette fausse évidence en répondant aux raisons qui guident les gouvernements. Il y a plusieurs raisons qui conduisent les gouvernements à reproduire les politiques dominantes. Ils le font parce que les contraintes internationales sont trop fortes et rendent très difficiles des démarches indépendantes.
Des coups d’état de différente nature sont possibles ; du coup d’état financiers au coup d’état militaire, il y a une gamme de déstabilisations possibles. Ils le font parce qu’il y a toujours une raison d’attendre ; des élections, une constitution, de meilleures situations. Ils le font parce qu’ils sont conservateurs, profondément conservateurs et garants de l’ordre social ; et les politiques néolibérales sont la représentation la plus achevée du conservatisme.
Ils le font parce qu’ils pensent qu’ils peuvent trouver des aménagements ; ainsi par exemple ceux qui expliquent que le capital arabe leur donnera des marges de manœuvre alors qu’ils savent très bien que la condition préalable mise par le capital arabe est de suivre la doctrine du FMI. Ils le font parce qu’ils y croient, par réalisme, parce qu’il n’y a pas d’autre moyen que l’investissement étranger pour doper la croissance et répondre aux problèmes d’emploi et de niveau de vie.
Les politiques nouvelles
Dans certaines conditions, des gouvernements peuvent être tentés de mettre en œuvre des politiques qui s’écartent du néolibéralisme, c’est-à-dire de la prédominance absolue du marché mondial des capitaux et de l’ajustement structurel des sociétés à ce marché. Deux situations peuvent y conduire. D’une part, les contradictions entre les marchés et les économies émergentes qui rencontrent les limites qui résultent du contrôle du marché mondial par l’hégémonie occidentale.
D’autre part, des mouvements sociaux peuvent conduire à des changements de gouvernements, voire de régimes, qui voudraient répondre aux aspirations populaires. Les politiques des nouvelles puissances émergentes et les politiques des régimes progressistes ont des points communs. Elles ne se confondent pas, mais elles pourraient conduire à des rapprochements ou même à des alliances contre l’hégémonie des marchés financiers, pour une réforme du système économique mondial.
En Amérique Latine, les mouvements influencent des régimes « desarrollistas » ou développementalistes qui tentent de mettre en place des politiques post-néolibérales. Des politiques qui ne sont pas du tout anticapitalistes et qui combinent des gages au marché mondial des capitaux et des politiques sociales à l’échelle nationale avec des redistributions. En Asie, dans plusieurs grands pays, des alliances différenciées combinent des bourgeoisies étatiques, nationales et mondialisées. Des alliances spécifiques et contradictoires sont tentées avec les bourgeoisies étatiques qui partagent le contrôle de l’appareil productif avec les bourgeoisies privées « nationales » et les multinationales.
C’est en Amérique latine, à travers la diversité des pays où les mouvements ont pesé sur l’évolution des régimes, que nous pouvons identifier les tentatives et les expériences qui marquent les politiques post-néolibérales. C’est le cas en Argentine, au Brésil, en Bolivie, en Equateur, en Uruguay, au Venezuela.
Quelles sont les mesures marquantes de ces politiques :
- Un traitement politique de la question de la dette (remboursement anticipé au Brésil, annulation en Argentine, audit en Equateur)
- Un contrôle du secteur financier et la création de Fonds d’investissement souverain
- Une tentative de contrôle des matières premières et des ressources naturelles
- Une redistribution des revenus (Bourse familiale, allocation logement, politique salariale, protection sociale)
- Le soutien aux secteurs créateurs d’emploi et de revenus
- Une politique environnementale incitative
- Une politique fiscale et la lutte contre les paradis fiscaux et judiciaires
- La lutte contre le précariat
- Un renforcement de l’Etat social (éducation, santé, protection sociale)
- La souveraineté alimentaire et la défense de l’agriculture paysanne
- Les politiques urbaines, les transports, la prévention pour la sécurité urbaine, la planification territoriale
- Une planification territoriale et une stratégie de relocalisation
- Un système démocratique, c’est à dire un système qui garantisseles libertés individuelles et collectives
- Des efforts de démocratie participative (décentralisation citoyenne, municipalités, budgets participatifs)
- Une politique monétaire volontariste
- La construction de grandes régions (Mercosur, Alba, …)
Les politiques concrètes dépendent des pays et des situations. Il y a des limites et de nombreuses critiques. Si ces politiques ont consolidé des évolutions économiques rapides et si elles ont conduit à des réductions significatives de la pauvreté, les inégalités sociales ont continué à s’approfondir. Les tensions se sont accrues entre les classes moyennes et les classes populaires. La primarisation des économies a servi à alimenter la croissance (soja, accaparement des terres, exploitations minières). Les alliances avec les agro-exportateurs ont pesé sur la paysannerie.
Il y a quand même des possibilités de politiques nouvelles. Ne rien faire, en arguant des contraintes extérieures, c’est reproduire et consolider le système social et la subordination au marché mondial des capitaux. Ces politiques nouvelles peuvent être engagées sans attendre le changement du système mondial. Les mouvements sociaux peuvent occuper cet espace pour imposer des négociations et une discussion publique sur les orientations politiques.
Les perspectives
Les propositions de politiques économiques et sociales ne prennent leur sens que si elles s’inscrivent dans des propositions de long terme. C’est le fondement de la stratégie du mouvement altermondialiste. Articuler des propositions immédiates, pour améliorer les conditions de vie des couches populaires, avec une alternative qui implique une rupture plus fondamentale avec la logique dominante. Il n’y a pas de chances pour une nouvelle politique si on reste dans le court terme. Deux conditions sont nécessaires pour engager une transformation structurelle. Engager une transformation du système international, du cadre économique mondial qui permette des marges de manœuvre par rapport à la doxa néolibérale. Engager une orientation alternative.
Pour la transformation du système économique mondial, de nombreuses propositions immédiates ont été avancées dans le Forums sociaux mondiaux depuis dix ans. Par exemple : la suppression des paradis fiscaux et juridiques ; la taxe sur les transactions financières ; la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires ; la socialisation du secteur financier ; l’interdiction des marchés financiers dérivés ; les redistributions de revenus ; la protection sociale universelle ; les droits des migrants et la liberté de circulation ; les négociations environnementales et climatiques ; un nouveau système monétaire international ; etc.
Il s’agit d’instaurer un système économique fondé sur la régulation publique multilatérale en rompant avec un libre-échange qui n’a rien de libre et qui instaure le dumping généralisé (dumping social, dumping fiscal, dumping environnemental, dumping monétaire). Il s’agit aussi d’empêcher la main mise par les grands groupes financiers et les Etats des moyens de communications, d’informations et du numérique.
Ces propositions ne sont pas révolutionnaires en elles-mêmes. Elles sont reprises aujourd’hui par des économistes de l’establishement et même par certains gouvernements. Mais ces déclarations ne sont pas suivies d’effet car elles nécessitent une rupture avec le dogme néolibéral et la dictature des marchés financiers. Et ce sont toujours ces forces qui sont dominantes et qui n’accepteront pas, sans affrontements, de renoncer à leurs gigantesques privilèges.
L’orientation alternative s’est dégagée dans les forums sociaux mondiaux. C’est l’approche de la transition sociale, écologique et démocratique qui se définit dans les FSM. C’est celle de l’accès aux droits pour toutes et tous et de l’égalité des droits, du local au planétaire. On peut organiser chaque société et le monde autrement que par la logique dominante de la subordination au marché mondial des capitaux. Les mouvements sociaux préconisent une rupture, celle de la transition sociale, écologique et démocratique.
Ils mettent en avant de nouvelles conceptions, de nouvelles manières de produire et de consommer. A partir des pratiques, ces nouvelles notions se traduisent par des approches nouvelles : les biens communs ; le buen vivir et la prospérité sans croissance ; les droits de la Nature ; la lutte contre le patriarcat ; la régulation citoyenne ; la démocratisation radicale de la démocratie ; la souveraineté alimentaire ; l’achèvement de la décolonisation ; les droits des migrants et la liberté de circulation ; les institutions internationales et le droit international.
Cette alternative se construit à partir des luttes et des résistances, car résister c’est créer. Elle se traduit dans la recherche de politiques publiques d’égalité des droits. Elle s’invente à partir des alternatives concrètes qui sont mises en œuvre dans les sociétés et la lutte pour que ces alternatives se traduisent par plus de libertés et ne soient pas retournées par la recherche du profit dans plus d’inégalités, d’injustice et une remise en cause des libertés. Les enjeux de la nouvelle révolution se précisent : la définition de nouveaux rapports sociaux et culturels, de nouveaux rapports entre l’espèce humaine et la Nature, la nouvelle phase de la décolonisation et la réinvention de la démocratie.