Entrevue de Benoit Renaud par Pierre Beaudet, 9 juin 2021
Samedi prochain le 12 juin, Révolution écosocialiste (R.É.) tiendra sa première assemblée annuelle. L’organisation qui a été lancée en décembre dernier compte sur une cinquantaine de membres et d’ami-es avec une présence à Gatineau, Sherbrooke, Québec et Montréal. Selon Benoit Renaud, un des membres du comité de coordination, R.É. a été très active, avec des interventions ciblées, notamment sur la lutte du secteur public.
Les luttes syndicales ont été en attente durant la pandémie. Penses-tu que cela peut reprendre dans la prochaine période ?
Legault a obtenu des ententes avec des contingents importants, entre autres de la FAE et de la FTQ, mais rien n’est encore réglé pour la majorité. Il y a encore beaucoup de blocages sur le plan salarial et de stagnation dans les tables sectorielles. Plusieurs syndicats s’assoient sur des mandats de grève qui n’ont pas encore été utilisés. Sans s’attendre à de grandes vagues de mobilisation, des luttes sont prévisibles un peu partout, si ce n’est qu’au plan local, sans attendre grand-chose de la direction des centrales.
Sur le plan du mouvement écologiste, une coalition internationale est en processus d’émergence face au prochain sommet de la COP en novembre à Glasgow (Écosse). Avant la pandémie on avait connu des mobilisations importantes, penses-tu que le mouvement peut redémarrer au Québec ?
Il y a comme un mouvement de fond. On espère une panoplie d’actions locales et internationales, incluant des grèves et des blocages. Comme les étudiant-es ont été à l’arrêt depuis des mois, il faudra beaucoup de travail et quelques étincelles. Chose certaine, un mouvement de masse d’une grande ampleur est une condition absolue pour la relance de cette lutte et de la gauche.
R.É. se voit comme un regroupement pour stimuler l’action et la pensée anticapitaliste plutôt que le début d’un nouveau parti. Autrement dit, pour engager la bataille des idées…
Cette bataille des idées doit être menée de manière rigoureuse, et pas seulement par à-coups. C’est dans ce sens que R.É. a mis en place un programme de formation politique, avec des sessions chaque mois. Le capitalisme, le néolibéralisme, l’impérialisme, l’État, ce sont des constructions complexes qu’il faut décortiquer. La phase expérimentale du programme aura permis de valider l’appétit de générations militantes pour un exercice de réflexion qui dépasse le butinage ou l’évènementiel. Par ailleurs, il y a des « vielles » méthodes qui ne sont pas usées qui demande aux militants de lire, d’étudier, de commenter, de débattre, en regardant vers l’avant (sans définition dogmatique), mais en tenant compte aussi qu’on n’invente pas la roue, que l’histoire des luttes et des révolutions est pleine d’enseignements.
Les membres de R.É. sont actifs dans Québec Solidaire. Quel est le bilan des derniers mois en ce qui vous concerne ?
Dans la mesure (modeste) de nos moyens, nous encourageons QS à développer une approche qui repose sur des principes et une stratégie à long terme, tout en étant capables de produire des propositions concrètes, susceptibles d’attirer une masse critique parmi la population. Si ce débat a été abordé lors du dernier conseil national, l’attention a été en bonne partie drainée sur la proposition de blâmer le Collectif décolonial anti-raciste.
Ce débat n’a pas répondu aux attentes selon toi …
Au lieu du fonds de la question, le débat s’est limité à une critique moraliste ciblant les comportements et les attitudes. La majorité des participant-es étaient fâchés, souvent avec raison, face au comportement agressif et dénonciateur de certains membres de la CAD. Sur le fond, tout le monde est d’accord pour parler du racisme systémique et de la lutte qu’on doit entreprendre sur les diverses dimensions de la chose. Mais en réalité, on reste dans le flou. La proposition que nous avons diffusée pour reporter le débat et mettre en place un processus de médiation a reçu l’appui d’environ 25 % des délégué.e.s au CN. J’espère que les membres du comité de coordination national (CCN) vont trouver des moyens pour définir un processus de médiation adéquat.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Notre projet, on l’a un peu évoqué auparavant, est de stimuler un processus de politisation, d’éducation populaire, d’organisation à base où on essaie de débattre correctement, sans glisser vers les travers bureaucratiques que plusieurs partis de gauche ont connus. Nous allons en congrès de QS en novembre et évidemment, l’enjeu électoral de 2022 sera au premier plan. On peut envisager cela avec un certain optimisme à partir de certaines enquêtes d’opinions qui confirment que QS reste le parti favori de la génération des 18-35 ans. En même temps, la militance autour de Révolution écosocialiste cherche à insérer dans nos luttes politiques le concept de transition en lui donnant le sens d’une rupture avec le système économique. Il est certain qu’il faut mettre de l’avant des revendications rassembleuses, claires, à court terme. Mais faire cela, ce n’est pas reléguer nos objectifs à long terme dans une boîte noire qu’on ouvre le moins possible. Ne pas parler de transition, ne pas évoquer la nécessité de repenser un monde post-capitaliste, c’est risqué dans une société qui de plus en plus comprend que les mécanismes de marché et les décisions individuelles sont des pistes nettement insuffisantes. Des partis de gauche ont perdu du terrain en n’étant pas assez audacieux (je pense au NPD par exemple). Il faut se démarquer, à la fois avec des propositions concrètes et avec de grandes idées.
On ne peut pas éviter, dans une perspective de gauche, les risques inhérents à fonctionner dans le cadre d’un énorme et tout puissant dispositif du pouvoir…
L’oligarchie ne renoncera jamais à ses privilèges. Pour le 1%, la démocratie est valable en autant qu’elle reste dans les limites d’un pouvoir de classe. Il faut être plus visible et plus audible avec les couches populaires qui luttent contre la pauvreté et l’indignité. Il faut être sur les lignes de piquetage. Il faut dire que ce n’est pas vrai que le secteur privé peut tout organiser, la santé, l’éducation et les biens communs, et que cela doit être dans un secteur public redevable et compétent, désenglué de toutes les notions de profit et d’accumulation.
En tant que professionnel de l’éducation, tu vois les côtés pédagogiques de ce défi…
Je m’inspire des travaux du grand psychologue soviétique Vygotski qui avait développé une perspective constructiviste d’émancipation par l’éducation. Pour lui, l’émancipation humaine, tant sur le plan individuel que collectif doit venir d’une grande œuvre pédagogique où le rôle des acteurs est d’identifier les « zones proximales de développement », qui sont des idées et des projets à la portée des gens. En apprenant tout en luttant, les gens se sentent pertinents. Ils transcendent leurs instincts pessimistes, la peur, l’incertitude. Ils voient que l’impossible devient possible. Ils regagnent confiance.
L’assemblée de Révolution écosocialiste a lieu samedi le 12 juin de 10h à 15h. L’avant-midi sera consacré à l’analyse de la situation sociale et politique. Cette discussion sera divisée en trois parties: le contexte international, les mouvements sociaux et le paysage politique québécois. L’après-midi, le bilan des activités de R.É. sera proposé pour développer un plan d’action pour la suite des choses. Comme c’est une assemblée de R.É et non une activité publique, ce sont les membres inscrits qui pourront prendre les décisions. Toutefois, si vous voulez participer comme observateur ou observatrice, vous le pouvez, en écrivant à info@ecosocialisme.ca.
|