La plateforme économique[1] de la Coalition pour l’avenir du Québec vise clairement une relance de ce qu’on appelle communément Québec inc., c’est-à-dire la classe d’affaires québécoise, tant privée ou coopérative qu’étatique. Cela n’est guère surprenant quand on sait que l’initiative provient de deux hommes d’affaires notoires.
Dans la continuité plutôt que la rupture
Même si leur discours demeure imprégné par l’obsession de la performance et de la productivité caractéristique des disciplines managériales, leur projet se démarque de ceux de la nouvelle droite idéologique québécoise sous plusieurs rapports. Ce projet ne renie pas l’héritage de la Révolution tranquille. Au contraire, il souligne les « gains importants » qu’ont constitués « la prise de contrôle par les Québécois de l’ensemble des leviers économiques, et la formation d’une classe d’entrepreneurs locaux qui ont connu du succès ». Les auteurs déplorent néanmoins que le modèle québécois ait perdu de son lustre et appellent les associations syndicales et patronales, ainsi que tous les acteurs sociaux, à jouer à nouveau un rôle positif de dialogue et d’ouverture. En ce sens, ce projet s’inscrit dans un certain continuum historique. Il prend aussi la peine de préciser que les changements envisagés « devront se faire en tenant compte des plus défavorisés et en maintenant une fiscalité résolument progressive », mais sans élaborer davantage. À la différence de la nouvelle droite, ce projet ne considère pas l’État comme une nuisance, mais comme « un leader et maître d’œuvre dans les domaines de l’éducation et de la santé, et comme un accompagnateur dans le domaine économique ». Il valorise fortement l’éducation et la formation comme « les plus grands facteurs de création de richesse », même si les moyens proposés dans un autre plan d’action apparaissent singulièrement abrasifs à l’égard de la profession enseignante.
Recréer les synergies entre les sociétés d’État et l’entreprise privée
Le cœur du projet demeure le renforcement du pouvoir économique québécois, compris comme association entre l’État québécois et la classe d’entrepreneurs québécoise. Pour cela, on compte sur un rôle plus interventionniste de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), où la même importance serait accordée au mandat de développement économique qu’à celui de rendement sur les épargnes des déposants. Ce qu’on demande à la Caisse, c’est d’investir davantage dans le capital-actions d’entreprises québécoises. On propose aussi la création d’un fonds de 5 milliards financé par la CDPQ et par un appel à l’épargne, pour prendre des participations minoritaires dans les projets d’exploitation des ressources naturelles. Pour les auteurs, cela permettrait d’ajouter aux revenus tirés des redevances.
Soutenir et promouvoir l’entrepreneuriat québécois
Pour la promotion de l’entrepreneuriat québécois défaillant, les efforts d’imagination ne manquent pas. Certaines propositions visent le regroupement des terres agricoles par le biais de mutuelles afin de conserver leur propriété au Québec, ou encore des mesures fiscales pour favoriser le transfert d’entreprises familiales à des proches. Pour encourager les Québécois à investir à long terme dans les actions d’entreprises à charte québécoise, on propose de moduler entre 50 % et 100 % l’exonération pour les gains de capital en fonction de la durée de détention des actions. On souhaiterait en outre ajouter une nouvelle mission pour les fonds fiscalisés (FTQ, CSN et Desjardins) concernant spécifiquement la commercialisation de produits québécois à l’étranger.
Pour favoriser les investissements dans les technologies, les auteurs envisagent un réaménagement des crédits d’impôts des entreprises, sans toutefois indiquer ce qui serait sacrifié. Ils proposent aussi la mise sur pied d’un régime public de fonds d’entreprises technologiques pour éviter que les PME québécoises soient rachetées par les multinationales. Sous certains aspects, celui-ci fonctionnerait comme l’ancien Régime d’épargne actions (REA).
Plusieurs angles morts
La dette publique préoccupe aussi les auteurs qui proposent de consacrer 100 % des nouvelles redevances sur les ressources naturelles non renouvelables pour rembourser la dette. Une telle proposition a surtout une valeur symbolique, étant donné les faibles rentrées fiscales prévisibles de ce côté dans un avenir prochain. Au lieu de se gargariser avec des lieux communs éculés sur le fardeau de la dette, les auteurs du projet auraient mieux fait de préciser le sort qu’ils réservent aux investissements publics dans les infrastructures, qui sont responsables du gros de l’accroissement de la dette publique depuis une décennie.
En somme, on se trouve en présence d’un projet cohérent, mais de portée limitée, centré sur la promotion des milieux d’affaires québécois. Plusieurs questions ayant des incidences économiques, comme les politiques de soutien du revenu, la lutte à la pauvreté, l’environnement, les rapports avec le fédéral, ne sont même pas effleurées. Il est tout aussi regrettable que le souci des investissements ne se manifeste pas à l’égard d’une économie verte et des énergies renouvelables. À ce sujet, la plateforme demeure étrangement silencieuse.
Pierre Beaulne
Économiste CSQ
Juin 2011
[1] Coalition pour l’avenir du Québec, une économie de propriétaires et non de succursales, juin 2011