« Il n’y a pas lieu de craindre ou d’espérer, mais de chercher de nouvelles armes » disait Deleuze. Face aux nombreuses attaques du gouvernement libéral, il y a lieu rapidement de trouver de nouvelles armes. Mais trouver de nouvelles armes ne signifie pas qu’il faut cesser de se battre pendant qu’on les cherche. Car parfois la récupération d’anciennes armes comme celles de l’information accompagnée des débats au sein des mouvements sociaux et syndicaux pour augmenter la mobilisation et le rapport de force peut porter des fruits. Le printemps étudiant de 2012 s’est déroulé de cette manière : s’approprier la réalité sociale, débattre sur la manière de changer le monde social et économique et se mobiliser pour obtenir ce changement en développant des alliances larges. Il s’agit en fait de restaurer de vieilles armes, mais en tenant compte cependant que nous évoluons dans un contexte politique relativement nouveau : celui de l’étatisme autoritaire.
Quand nous parlons d’étatisme autoritaire, nous pouvons parler d’une intensification autoritaire du néo-libéralisme, la nouvelle raison du capitalisme contemporain. L’étatisme autoritaire s’est bâti sur les ruines de l’État-providence, ce qui lui permet de s’inscrire dans des interstices sociaux qui échappaient autrefois aux orientations de l’État. Nous pouvons penser à l’insertion à l’emploi, au logement social, à la nouvelle philanthropie, à la criminalisation de la pauvreté, etc. L’État néo-libéral n’a pas un bon bras social et un mauvais bras économique comme certains l’ont déjà laissé entendre. Son bras social peut faire aussi mal que l’autre. C’est de cette manière, nous semble-t-il qu’il faut comprendre les nouvelles orientations dans le champ de l’aide sociale, de l’assurance-emploi, du logement social, de l’intervention dans le milieu de l’itinérance ou dans le réseau de la santé et des services sociaux avec la réforme Barrette. L’investissement étatique et privé doit donner des résultats tangibles et dans les plus brefs délais. L’intervention du bras social de l’État est mesurée et quantifiée et s’inscrit dans les règles de l’austérité économique.
D’une manière indirecte, c’est de cette manière que nous pouvons comprendre les nouvelles règles de gestion publique dans l’organisation du travail dans le secteur privé et de plus en plus dans le secteur public. Il faut surveiller, mettre en compétition et sanctionner quand il le faut, le travailleur et la travailleuse. De cette manière, l’investissement social suscitera le meilleur rendement. L’austérité dont tout le monde parle, n’est pas qu’une mesure économique, c’est aussi une mesure sociale et politique très dommageable sur le plan de la démocratie. L’austérité n’est pas une amputation et un affaiblissement de l’État. C’est de son renforcement autoritaire qu’il s’agit.
Pour faire passer la pilule dans le champ politique, l’étatisme autoritaire utilise deux armes simples, mais efficaces : la rapidité décisionnelle et le reniement de l’interlocuteur. Depuis l’élection de Mike Harris en Ontario en 1996, on assiste périodiquement à des tsunamis politiques pendant lesquels les dirigeants néo-libéraux prennent des décisions et lancent dans l’arène politique des multitudes de projets de loi qui viennent submerger les groupes sociaux et syndicaux. On l’a vu en 2004 avec le gouvernement libéral de Jean Charest. Et une variante de cette méthode est la loi omnibus de Harper dans laquelle on inscrit une multitude de projets que nous n’avons pas fini de découvrir. C’est le même phénomène aujourd’hui qu’on retrouve avec la loi 28 sur les institutions publiques et parapubliques. Dans la même foulée, on reconnaitra qui on veut quand on veut comme interlocuteur de la société civile. On l’a vu récemment lorsque le ministre Coiteux a parlé des demandes du front commun comme étant des demandes d’une autre époque.
Pour un dialogue stratégique dans la gauche québécoise.
Le nouveau leitmotiv de la gauche québécoise pourrait être le suivant : Reprendre le temps à notre compte et chercher à se faire respecter. S’approprier le temps signifie concrètement que les batailles politiques ne sont pas terminées après l’adoption en bâillon de la loi 10 par exemple. Les luttes politiques doivent se poursuivre au sein du réseau de la santé et des services sociaux dans la mesure où les travailleurs et les travailleuses ont un mot à dire sur la gestion de ce secteur et qu’ils et elles ont le droit de réclamer une gestion démocratique du réseau de la santé et des services sociaux. La lutte contre l’étatisme autoritaire doit se faire au quotidien d’une manière avouée dans les lieux de travail que ce soit en santé, en éducation ou ailleurs au Québec.
Pour se faire respecter par le gouvernement libéral, il ne manque pas d’acteurs politiques et sociaux. Il est possible de réunir les conditions pour procéder à des changements et lutter contre l’étatisme autoritaire. Cependant, ce qui manque c’est un dialogue permanent sur les perspectives stratégiques. Qui sont ces acteurs? Nous nommons ici quatre grandes catégories : les mouvements sociaux, le mouvement syndical, la gauche intellectuelle et la gauche politique. On le voit à chaque fois que l’État québécois cherche à sévir d’une manière plus intense, cette communication entre ces acteurs devient parfois déficiente. On se rappellera que les centrales syndicales avaient décidé de créer, en 2010, l’Alliance sociale alors qu’existait déjà la Coalition contre la privatisation et la tarification des services appelée communément la coalition des mains rouges. Mais il y a des problèmes plus importants dans la mesure où la gauche québécoise, à notre sens, se prive d’un dispositif qui pourrait être puissant en créant une assemblée permanente des mouvements sociaux et syndicaux dans laquelle la gauche politique, sociale et intellectuelle pourrait mettre la main à la pâte dans la lutte sociale et théorique.
Pourquoi cet espace n’existe pas?
Nous pouvons l’expliquer par certaines hypothèses qui seront certes embryonnaires, mais qui pourraient aider au débat. Le mouvement syndical a tendance à ne voir que ce qui se passe à l’intérieur de son mouvement, en l’occurrence la négociation du secteur public. Les différents secteurs des mouvements sociaux sont traversés par les tentatives de l’État de les intégrer dans l’espace étatique. La gauche intellectuelle est également aux prises avec les transformations de l’institution universitaire.
Que peut faire un parti politique comme Québec solidaire dans le cadre de la lutte contre l’austérité? Un acteur politique comme Québec solidaire, fort de ses trois députéEs à l’Assemblée nationale peut très bien encourager la mise en place d’une assemblée permanente des mouvements sociaux et syndicaux dans laquelle il pourrait participer au même titre que les autres acteurs. On pourrait qualifier cette assemblée d’une sorte de constituante contre l’austérité et l’autoritarisme de l’État québécois. Cela pourrait être une bonne manière pour QS de vraiment devenir le parti de la rue en plus d’être le parti des urnes.
Cette proposition d’assemblée permanente des mouvements sociaux et syndicaux ne fait pas l’économie du débat sur la grève sociale. Au contraire, une grève sociale réunissant les mouvements sociaux et syndicaux et les groupes politiques peut être un formidable moyen de favoriser ce dialogue stratégique. Les défis sont nombreux pour arriver à réunir les conditions nécessaires pour une mobilisation sociale et syndicale assez forte pour ébranler les certitudes du gouvernement libéral. Nous pouvons anticiper que les luttes sectorielles seront nombreuses. Les étudiants-es vont se mobiliser, les écologistes et les féministes aussi. Le mouvement syndical va en découdre avec le gouvernement libéral sur les régimes de retraite et probablement aussi sur la négociation dans le secteur public.
Alors que tout le monde ou presque risque de se battre, une pratique de dialogue stratégique est un des moyens efficaces pour lutter contre l’étatisme autoritaire
René Charest, militant syndical
17 février 2015