On a entendu beaucoup de critiques envers le mouvement syndical québécois au cours des dernières années, en provenance de la gauche. Plusieurs groupes ou personnes lui reprochaient de ne pas être très actif sur la scène des luttes sociales. On peut considérer que le mouvement syndical sort beaucoup trop peu de son chemin corporatiste. Mais la question reste la même : compte tenu de l’importance que pourrait avoir le « joueur syndical » sur la patinoire des batailles progressistes, comment améliorer son implication?
Les contraintes juridiques
Les critiques formulées à l’endroit du milieu syndical oublient souvent de prendre en compte les conséquences concrètes de la formule Rand, qui impose aux employeurs de prélever une cotisation syndicale chez touTEs les employéEs couvertEs par une unité d’accréditation donnée. Il s’agit d’une immense avancée dans le domaine des relations de travail et elle est en grande partie responsable de la santé du mouvement syndical, auquel elle confère une force et une stabilité importante. Mais en matière de luttes sociales, c’est peut-être là un talon d’Achille. Si, en effet, on peut raisonnablement présumer chez l’ensemble des travailleuses et des travailleurs d’un intérêt généralisé à voir les conditions de travail s’améliorer, il est évident que les postures politiques des membres sont fort diversifiées. L’adhésion volontaire aux grands syndicats en Europe peut reposer sur un accord minimal avec des idées politiques défendues par eux. Mais ce n’est pas le cas avec la formule Rand.
À mon sens cependant, la légitimité du mouvement syndical de s’impliquer dans les causes sociales et devrait être une évidence reconnue, pour la seule raison que la défense des intérêts des travailleuses et des travailleurs ne saurait être comprise dans un sens étriqué : l’accessibilité et la qualité des services publics, pour ne citer que cet exemple, a un impact direct sur la qualité de vie des membres d’un syndicat et, partant, fait partie des intérêts qu’un syndicat a à promouvoir. Un syndicat particulier, ou l’ensemble du mouvement syndical sont donc légitimés d’intervenir lorsque des enjeux sont débattus à ce chapitre. Dans la même veine, la participation à un « deuxième front » large et solidaire est entièrement justifiée, dans la mesure où l’intérêt des membres est en jeu. Mais il importe de relever que cette légitimité est fréquemment attaquée, et qu’elle n’est pas spontanément admise, ni encore moins partie du quotidien, au sein des membres des syndicats.
Si la formule Rand n’interdit absolument pas l’implication dans les luttes sociales, elle commande par ailleurs une pratique démocratique ouverte et rigoureuse. Or même si la pyramide démocratique est certainement transparente et effective dans les grandes centrales syndicales, il reste que l’économie générale des structures éloigne dans les faits les « membres ordinaires » des décisions. La mobilisation pour l’amélioration directe des conditions de travail pose déjà tout un défi : comment mobiliser la base syndicale sur d’autres enjeux, dans un contexte où le dynamisme démocratique n’est pas toujours facile à actualiser?
Prendre position ou agir?
Le mouvement syndical prend, sur plusieurs enjeux sociaux, des positions en général assez claires et assez progressistes. Elles sont débattues et entérinées dans les instances appropriées, mais parfois assez loin des assemblées, compte tenu de la taille des centrales. Ces positions ne trouvent pas toujours leur chemin à travers les médias (qui en font de moins en moins de cas), ni ne « remontent » pas nécessairement toujours jusqu’aux assemblées. Les grandes organisations syndicales disposent donc d’un « patrimoine » assez enviable de positions cohérentes sur une foule d’enjeux. Mais force est de constater qu’elles ont peu d’écho du côté de l’action. Des nuances s’imposent ici. D’une part il y a eu des campagnes syndicales fort utiles et d’autre part, prendre des positions progressistes demeure impératif, puisque de telles positions demeurent un préalable incontournable à toute action. Mais ce qui est relevé ici, c’est une absence fréquente de conséquences à ces positions, qui débouchent rarement sur un appel à l’action auprès des syndicats ou des membres. Cette situation fait l’affaire de tout le monde : les éléments les plus mobilisés des syndicats sont fiers de voir leurs instances se situer à gauche sur l’échiquier politique, les membres qui seraient en désaccord avec les positions prises ne s’en font pas trop, tant et aussi longtemps que ces dernières n’ont justement pas de conséquences.
Retrouver le sens de l’action politique
L’équation positions – actions, dans le monde syndical, n’a pas encore été résolue. Le problème n’est pas nouveau. On peut même se demander jusqu’à quel point la réticence à oser une véritable mobilisation, dans le champ des enjeux sociaux, n’a pas contaminé la volonté syndicale de se battre même sur l’enjeu premier des conditions de travail. On ne souviendra de la dernière négociation, où au lieu de profiter d’une mobilisation évidente de la base (75 000 personnes dans la rue!) le Front commun a finalement signé une entente salariale en dessous du décret de 2005… sans vraiment livrer bataille!
Pour plusieurs membres, leur syndicat en particulier et le syndicalisme en général n’apparaissaient plus comme les véhicules naturels de changement de la société, ni même pour leurs propres conditions de travail. Ce n’est pas un constat réjouissant. Par ailleurs, il serait totalement faux de penser que les travailleuses et les travailleurs sont démobilisés ou cyniques. Au contraire, la même tournée avait aussi constaté un intérêt certain pour les enjeux sociaux et une disponibilité, affichée en tout cas, pour l’action. Il y a eu beaucoup de réflexion et d’écrits à la CSN, ces dernières années, concernant le renouveau du syndicalisme. À cet égard, le mouvement syndical a la responsabilité urgente de démontrer qu’il est capable de générer des gains, de remporter des victoires et d’influencer le cours des choses, ce qui ne peut passer que par l’action. Heureusement, la réflexion là-dessus semble lancée.
*Jean Trudelle a été enseignant en physique au Cégep Ahuntsic avant de devenir président de la Fédération des enseignants et enseignantes du Québec (FNEEQ-CSN). Il a été candidat de Québec Solidaire dans le comté de Rosemont lors des élections de 2013.