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Le Fonds de solidarité en péril ?

Dans un article du 16 janvier dernier Francis Vailles du journal La Presse (1) réclamait le dégel de l’argent des actionnaires placé au Fonds de solidarité FTQ même s’il admet qu’en principe, ce gel de leur argent se justifie par le 30% de crédit d’impôt accordé par les gouvernements parce que le Fonds FTQ investit dans des entreprises plus risquées, parfois pour sauver des emplois. Mais cela démontre tout de même l’état d’esprit actuel.

Les interrogatoires de Guy Gionet, ex-pdg de SOLIM, le bras immobilier du Fonds de solidarité, ainsi que de Jean Lavallée, ancien président de la FTQ construction et membre du CA de SOLIM, n’ont eu pour effet que de le discréditer un peu plus. Jean Lavallée a beau clamer qu’il s’agit d’un fonds de travailleurs, comment peut-il justifier que la FIPOE (Fédération interprovinciale des ouvriers en électricité) dont il était le président ait été le seul syndicat à bénéficier du privilège d’effectuer des placements conjoints avec la SOLIM et ainsi bénéficier de taux d’intérêts de 15% qui ont généré un retour sur investissement de 700 000$ à 1 million$ par année. Pourquoi les autres syndicats de la FTQ n’ont-ils pas eu droit aux mêmes avantages ? De toute évidence il s’agissait d’un secret bien gardé.

Cet événement illustre bien le conflit d’intérêt dans lequel des dirigeants comme Jean Lavallée semblent avoir été impliqués. Un des problèmes des fonds d’investissement comme le Fonds de solidarité FTQ c’est que dans un système basé sur le profit, il ne peut qu’encourager la cupidité. Érigé en système de partenariat, cela ne peut qu’avoir des conséquences politiques néfastes pour le mouvement syndical comme le fait que le président de la FTQ de l’époque Michel Arsenault ait séjourné sur le bateau d’Accurso et qu’il ait entretenu des liens aussi intimes avec un entrepreneur au point de le consulter sur des questions concernant la centrale syndicale telle que l’attitude à adopter à l’égard de Jocelyn Dupuis, ancien directeur de la FTQ construction.

Selon Guy Gionet, Tony Accurso bénéficiait à lui seul de 20% des investissements du Fonds et deux autres « joueurs » importants se partageaient un autre 30% des investissements. Avec une concentration de 50% des investissements immobiliers aux mains de trois entrepreneurs seulement, on s’éloigne dangereusement de la mission d’origine du Fonds qui est celle de favoriser la petite et moyenne entreprise, sans parler de la création d’emplois qui semble bien loin dans les préoccupations.

Pire encore, selon les enregistrements entendus à la commission Charbonneau, l’ancienne responsable des fonds régionaux et actuelle ministre du PQ Élaine Zakaïb a dit à Michel Arsenault que que les compétiteurs de Tony Accurso étaient bloqués de tout financement du Fonds de solidarité. À cela l’ancien président de la FTQ Michel Arsenault rétorque que le rendement des placements avec Accurso pour le Fonds de solidarité était de l’ordre de 15 à 20%. Or, plusieurs témoins entendus par la Commission ont affirmé que la collusion avait permis de gonfler les prix des contrats de 20% à 30%. Selon projet Montréal la ville de Montréal a accordé pour 60 millions$ de contrats à ses entreprises en 2012 seulement.

En juin 2013 Revenu Québec déposait des accusations contre Constructions Louisbourg ltée, Constructions Marton (une division de Constructions Louisbourg ltée) et Louisbourg Simard-Beaudry Construction inc. Pour avoir fait de fausses déclarations et avoir demandé indûment des crédits de taxe et des remboursements de taxe. Des accusations de fausse facturation ont également été déposées contre M. Accurso et ses sociétés. Francesco Bruno, propriétaire de l’entreprise BT Céramique et Tony Accurso auraient privé le Canada de 3 millions de dollars en impôt. Deux de ses entreprises avaient déjà plaidé coupables dans une affaire d’évasion fiscale de 4,1 millions $, en 2010.

Conséquemment on peut déduire que le haut taux de rendement des placements du Fonds de investis dans les entreprises de Tony Accurso a été en bonne partie le résultat de la fraude fiscale, donc défrayé par les taxes et impôts des citoyens et citoyennes.

Ces problèmes peuvent-ils être réglés par l’amélioration de règles au Fonds de solidarité et par le changement de direction à la FTQ ? L’idée que le président de la FTQ ne siège plus au CA du Fonds pourrait apporter la distinction essentielle dans son rôle de syndicaliste et non d’administrateur d’investissement. C’est une correction qui aurait dû être apportée il y a longtemps. Mais à l’étape actuelle tout cela est loin d’être suffisant. Le syndicalisme investisseur est devenu une véritable institution de partenariat social. La collusion avec des entrepreneurs comme Accurso n’est qu’une partie du problème.

La SOLIM, le bras immobilier du Fonds de solidarité, avait injecté 3 millions $ dans Capital BLF en 2008, une société publique lancée par Claude Blanchet, l’époux de la première ministre Pauline Marois. Selon La Presse (1) Solim aurait dérogé à ses habitudes pour effectuer un tel investissement. Peu importe qu’elle ait dérogé ou pas, avec une telle proximité, on peut se questionner sur les véritables intentions de construire un rapport de force lorsque vient le temps de mobiliser contre les projets anti sociaux du gouvernement.

Il faut d’ailleurs se demander pourquoi les gouvernements ont accepté dans le passé d’accorder un tel avantage aux syndicats. Si dans les années 80 la combativité et la mobilisation ont permis de créer un rapport de force, les gouvernements ont aussi utilisé la concertation pour dévier les luttes dans le carcan du partenariat social. Il y a trente et un ans, au moment de la création du Fonds de solidarité, le ministre de l’industrie et du commerce du gouvernement du Parti Québécois, Rodrigue Biron, avait déclaré que l’idée maitresse n’était pas tant l’investissement global des syndiqués, important certes mais pas tellement dans le cadre d’une stratégie globale d’investissement industrielle, que sa contrepartie : faire participer les travailleurs à la gestion, « ce qui supposera une transformation des stratégies syndicales » avait-il affirmé.

En 2014, dans une période où cette transformation des stratégies syndicales a fini par éroder la mobilisation, où des victoires possibles nous ont échappé, non pas faute de combativité mais parce que le partenariat prenait le pas sur la lutte, aujourd’hui il faut se demander si les gouvernements jugeront encore utile de maintenir ce type de collaboration. Le gouvernement Harper vient de répondre non. L’abolition du crédit d’impôt aux fonds de travailleurs en fait foi. Pour lui le moment est venu de passer à l’offensive en règle contre les syndicats.

Il est plus que temps de réfléchir à la mission première du mouvement syndical et de construire un front commun des forces syndicales et progressistes. Les États généraux du syndicalisme doivent en être l’occasion.

(1) La Presse, Denis Lessard, 23 janvier 2014

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