Le commerce, c’est la guerre

Depuis déjà plusieurs années, la mondialisation néolibérale et ses nombreux avatars ont été décortiqués et critiqués au point où des institutions phares, associées à ce virage, ont changé de vocabulaire. La Banque mondiale, le FMI, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) préfèrent maintenant parler de « lutte contre la pauvreté », de « bonne gouvernance », de l’importance de limiter les inégalités.

Tout en se disant émus devant le sort des brebis, les loups n’en continuent pas moins de pratiquer les mêmes politiques au nom de l’« austérité ». Les mêmes politiques de prédation financières et commerciales qui avaient mené au crash de 2007-2008 se perpétuent, aggravant les écarts entre le 1 % et le 99 %. C’est cette analyse que poursuit l’économiste africain Yash Tandon dans, Le commerce, c’est la guerre, un ouvrage publié par le Centre Europe–Tiers Monde (CETIM) de Genève .

Tandon démontre la « logique » de cette mondialisation de choc qui s’inscrit dans la lignée du commerce des esclaves africains, du génocide des populations des Amériques et des invasions meurtrières de la Chine et de l’Inde par les puissances européennes au 18e siècle. Il explique le « relookage » de ces politiques dans le contexte de la relance des impérialismes au tournant des années 1980, jusqu’à leur déploiement militariste après l’implosion de l’URSS (années 1990). Aujourd’hui, les guerres de conquête accompagnent et approfondissent les guerres commerciales orchestrées par l’OMC. Elles sont relayées par les divers accords de libre-échange et les sanctions imposées aux États « récalcitrants ».

Le trait original de l’ouvrage vient du fait que Tandon a vécu, depuis plusieurs années, ces batailles de l’intérieur, si l’on peut dire, en tant que conseiller de divers pays africains notamment l’Ouganda (son pays d’origine), le Kenya et la Tanzanie. Il a donc participé directement aux interminables rencontres et négociations au sein de l’OMC et dans le cadre des relations entre l’Union européenne et les pays du tiers-monde (l’Accord ACP). Plus tard, à titre de directeur du Centre Sud, un think tank mandaté pour soutenir les résistances du tiers-monde, il a pu suivre ces dossiers de près. Il y décrit le fonctionnement de l’OMC, notamment, comme une perpétuelle conspiration, qui se fait dans l’opacité la plus totale, et où les « petits » se font constamment mettre au pied du mur par les « gros ».

De véritables « machines de guerre » menées par des batteries d’économistes et de juristes sont à l’œuvre pour subjuguer les nations, mais également pour tromper l’opinion publique, au nord comme au Sud. Il mentionne de croustillants épisodes de cette guerre non armée comme étant la tentative en cours visant à imposer au tiers-monde le vol des ressources génétiques du monde sous couvert de « propriété intellectuelle ». Le « petit » problème » pour les « mondialiseurs », comme le rappelle Tandon, c’est la résistance des peuples. Depuis déjà quelques années, l’OMC est pratiquement paralysée. Les accords de libre-échange que les États-Unis et leurs alliés-subalternes voulaient étendre à toute la planète ont été bloqués par l’Amérique latine. Des pays « émergents » comme la Chine et le Brésil sont en mesure de faire obstacle aux programmes des pays du G7 et aux institutions qui leur sont associés. De nouveaux réseaux sont mis en place pour resserrer la coopération sud-sud, ce qui mine les puissances.

Tandon évoque une sorte de guerre de guérilla à l’échelle mondiale, non violente, pour se détacher de l’emprise impérialiste. Cette guerre de guérilla, dit-il, peut s’étendre par des milliers de « petits bateaux » qui se mettent à la mer au fur et à mesure que le grand navire du capitalisme mondial prend l’eau et commence à sombrer.

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