Les députés du NPD viennent de mener une lutte symbolique importante contre l’ignoble loi adoptée en fin de semaine pour forcer le retour au travail des 48 000 travailleurs et travailleuses de la poste et qui est en fait le premier signal de ce qui s’en vient avec le gouvernement de Stephen Harper. À court terme, l’ensemble de la fonction publique est directement menacée par l’arsenal administratif et législatif dont dispose Harper. En prévision des coupures massives de postes qui s’en viennent, les manœuvres ont déjà commencé. Ainsi plusieurs centaines de fonctionnaires ont déjà été licenciés, notamment à Environnement Canada et aux Travaux publics et services gouvernementaux Canada. Selon la députée d’Aylmer Nycole Turmel, les agences privées qui sont présentement sous-contractées pour faire le travail à la place des travailleurs de l’État se font préciser que les salaires des contractuels ne doivent pas dépasser $10,75 de l’heure, alors que l’équivalent dans la fonction publique fédérale est $20. On voit donc bien dans quel sens va aller la « revue opérationnelle stratégique » que nous préparent les Conservateurs. On peut sincèrement se demander comment pourra s’organiser la résistance au Parlement du fait que le NPD ne peut résister autrement que verbalement à la grosse machine.
Les nouveaux alignements du NPD
Entre-temps, d’autres « grandes manœuvres » ont commencé au sein du NPD pour profiter du momentum de l’élection de mai dernier. En tant qu’ « opposition officielle », plusieurs pensent que le moment est venu de « réorganiser » le parti pour en faire un sérieux candidat au pouvoir. Lors du congrès de juin dernier à Vancouver, quelques signaux ont été envoyés dans ce sens. Peut-être que le plus important est l’élection à la présidence du parti de Brian Topp. Natif de Montréal (comme Jack Layton), Topp a gravi les échelons du NPD pas à pas. Il a été notamment le principal conseiller de l’ancien premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow. Au Québec on se souvient de Romanow comme un des principaux « stratèges » avec Pierre Trudeau du « rapatriement » de la constitution contre la volonté du Québec. Dans les milieux informés à Ottawa, on décrit Topp comme un « modéré », représentatif d’un certain establishment du NPD, ancré dans les gouvernements provinciaux du NPD à l’ouest. Lors du congrès de Vancouver, cet establishment a préféré agir avec prudence. Il est en effet apparu que la possibilité d’une « alliance » avec le Parti Libéral du Canada (PLC), préconisée en douce par Topp, était vraiment mal reçue par les délégués. On a donc laissé tomber cela, du moins pour le moment. De même, la question très symbolique d’enlever ou non la référence au « socialisme » dans les statuts du parti, a jeté un certain inconfort. Bien que le NPD ait effectivement depuis longtemps liquidé l’héritage social-démocrate et socialiste des fondateurs du NPD, plusieurs membres du parti estimaient qu’il y avait derrière cette idée une autre manœuvre. C’est ainsi que le tout a été reporté. Et c’est Brian Topp qui doit « régler » cette situation plus tard.
Comment gagner les prochaines élections ?
En fin de compte, Topp et une grosse partie de la députation ont une chose principale dans la mire, qui est de placer le NPD au centre de l’échiquier politique, en « fusionnant » ou même en « absorbant », si cela est possible, ce qui reste du PLC. C’est une stratégie raisonnable surtout si on pense à gagner les prochaines élections. Pour cela évidemment, il y a un coût à payer, qui est de « liquider « l’héritage, ce qui n’est pas impossible, comme on l’a constaté avec les gouvernements provinciaux du NPD ces dernières années. Ces gouvernements provinciaux du NPD ont agi à peu près de la même manière que les gouvernements provinciaux ailleurs au Canada. Comme celui de Bob Ray lorsqu’il a été PM de l’Ontario au début des années 1990, ces gouvernements NPD ont adopté des programmes de « restriction fiscale », de réduction de la fonction publique, en gros en ligne avec les politiques néolibérales. Ce qui les a menés à durement confronté le mouvement syndical. Toute idée de réforme du système politique anti-démocratique que le Canada a « importé » de la couronne britannique (qui exclut tous les partis qui veulent contester le « consensus », manipulation des partis et des médias, etc.) a été relégué par le NPD trop content de devenir l’un des deux « grands partis » pouvant aspirer au pouvoir (cette « logique » pourrait s’appliquer au fédéral alors que le NPD en aspirant à devenir un des deux grands partis ne devrait pas être trop intéressé à une réforme du mode électoral qui laisserait plus de place aux tiers partis). Par ailleurs, alors que le gouvernement du PQ a au moins établi le système de garderies communautaires subventionnées, pratiquement aucune réforme sociale d’importance n’a été mise de l’avant par les administrations du NPD dont plusieurs se sont disloquées et ont effectivement perdu le pouvoir au profit de la droite (en Saskatchewan, en CB, en Ontario). Malgré ces déboires, Brian Topp et l’establishment du NPD persistent à croire que le « recentrage » est la seule manière d’avancer. Ils savent cependant que la tâche ne sera pas facile.
La question du PLC
Bien qu’assommé par leur défaite de mai dernier, le PLC garde de profondes racines. Une partie importante des élites canadiennes l’ont appuyé pendant des décennies, comme le « parti du gouvernement ». Le PLC, surtout depuis Trudeau, avait effectivement un grand mandat, soit celui de mâter le nationalisme québécois. Par ailleurs, la direction de ce parti savait bien manœuvrer avec un discours centriste et keynésien d’une part, et des pratiques néolibérales d’autre part. En 1993 notamment, le PLC avait facilement renié ses promesses en maintenant en place et même en les accélérant les réformes néolibérales entreprises par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney (coupures drastiques dans les dépenses sociales, alignement sur les États-Unis notamment via l’intégration dans l’ALENA, etc.). Ce sont encore aujourd’hui ces élites, comme Paul Desmarais par exemple, qui dominent le PLC et elles restent très hostiles à un rapprochement, encore moins à une « fusion » avec le NPD.
Aujourd’hui par contre, le PLC est en lambeaux. Les élites ont presque toutes basculé du côté de Harper. Les classes « moyennes » sont déstabilisées par la « restructuration » néolibérale, déchirées politiquement et culturellement, et de plus en plus abstentionnistes. Les immigrants, traditionnelle chasse gardée du PLC, sont maintenant hégémonisées par une nouvelle génération de micro businessmen qui sont conservateurs de cœur et d’esprit ! Tout cela met en péril le rêve d’un retour du PLC, n’en déplaise à Paul Desmarais. Il se peut donc qu’une partie du personnel politique, des quelques députés restants et des électeurs du PLC évoluent vers une alliance plus ou moins explicite avec le NPD, comme cela avait d’ailleurs été esquissé par Stéphane Dion avec son idée de gouvernement d’alliance il y a quelques années. Bref, le pari du « recentrage » est loin d’être gagné d’avance même si un certain nationalisme canadien, largement partagé par les deux formations pourraient contribuer à les cimenter idéologiquement.
Le dilemme québécois
La chose est encore plus compliquée si on remet dans l’équation la question québécoise. Si effectivement Brian Topp impose ses vues, il faudra cependant faire d’assez grosses transformations dans la réalité et l’image du NPD. Il faudra, notamment, éviter tout « dérapage » sur la question du fédéralisme. En dépit des déclarations de Jack et de Thomas Mulcair durant la dernière élection, le NPD a une priorité et non deux, soit celle de maintenir l’État fédéral, ce qui implique d’éradiquer le nationalisme québécois. Les élites « éclairées » canadiennes, du Globe and Mail jusqu’à « Lord » Conrad Black l’ont bien vu : pour eux, la victoire du NPD au Québec a été la meilleure chose qui pouvait survenir, étant donné le fait de la « menace » que représente le nationalisme québécois. Dernièrement à la Chambre des communes, des députés « seniors » du NPD comme Pat Martin (Winnipeg) et Charlie Angus (Timmins) ont manœuvré avec les émissaires de Harper pour restreindre encore plus la présence des quatre survivants du Bloc Québécois. Dans la presse anglo-canadienne (y compris parmi les journalistes et éditorialistes qui ne sont pas à la solde de Harper), la question du Québec est réglée pour longtemps et tout simplement, pour ces milieux, le Bloc Québécois n’existe plus. Au NPD dont la députation est majoritairement québécoise, il y a quand même un dilemme qui donne des maux de tête, d’autant plus que plusieurs nouveaux députés du NPD sont ou ont été souverainistes.
« Discipliner » la garderie
La tâche est donc donnée à Mulcair avec l’appui de son « aile fédéraliste » (composée d’ex-députés libéraux et de la « jeune garde » d’étudiants et d’étudiantes de McGill qui ont élus en mai dernier) de fermer la porte. On fait discrètement pression sur certains députés NPD souverainistes pour qu’ils se disent « autonomistes ». L’approche principale est cependant de dire que la question québécoise et constitutionnelle n’est plus sur l’échiquier politique. C’est contradictoire avec les promesses de la campagne : on se souvient que Mulcair lui-même avait dit que le NPD se battrait pour que le gouvernement fédéral respecte la loi 101. Mais maintenant que la poussière est retombée, on revient au discours jovaliste traditionnel au sein de la social-démocratie canadienne, à l’effet que la question québécoise n’est pas vraiment importante et que c’est une vieille lubie de leaders nationalistes frustrés. Peut-on s’imposer au Québec avec un tel discours ? C’est douteux en tout cas à long terme. Mais les stratèges du parti pensent surtout à court terme. S’ils réussissaient effectivement à reléguer la question québécoise, Jack, Mulcair et Brian Topp, du moins le pensent-ils, élimineraient la « peur » que pourrait susciter un alignement politique pro-Québec, peur qui est celle des élites canadiennes et, il faut le dire, d’une grande partie des couches populaires et moyennes canadiennes pour qui le nationalisme québécois est perçu comme une grave menace. Le NPD pourrait affirmer son identité canadienne en prétendant même avoir « dompté » le Québec (comme Trudeau l’avait dit dans les premières années de son pouvoir). L’espoir de Brian Topp reste cependant fragile. On peut présumer qu’un certain nombre de dossiers « chauds » vont ramener la question québécoise au devant, comme par exemple la « réforme » du Sénat. Harper veut affaiblir stratégiquement des institutions québécoises comme la Caisse de dépôts au profit de ses amis banquiers de Toronto. Et plein de choses encore. On verra si le NPD pourra réconcilier l’irréconciliable.
D’autres dilemmes
Il y a un autre domaine où le NPD « recentré » doit faire ses preuves. Traditionnellement, ce parti s’est opposé à l’alignement du Canada sur les politiques impérialistes des États-Unis. Cette opposition était pratiquée avec « modération », mais elle voulait quand même dire quelque chose, surtout à l’époque de la guerre du Vietnam. Au début des années 1990 cependant, le NPD comme d’autres partis de sensibilité social-démocrate s’est en partie converti au discours de la « guerre humanitaire ». En Irak, en Yougoslavie, en Somalie et ailleurs, on disait à Washington mais aussi à Paris (sous le PS français) et à Londres (avec Tony Blair) que l’impérialisme états-unien devait intervenir militairement pour « sauver des vies ». En 2001, ce consensus pro-intervention est devenu dominant avec l’invasion de l’Afghanistan, y compris au sein du NPD. Il a fallu attendre jusqu’en 2007 pour que le nouveau chef Jack Layton réclame le retrait des troupes canadiennes. C’est vrai et il faut lui donner le crédit, Jack a adopté des positions claires sur l’Afghanistan, contrairement au Bloc Québécois. Aujourd’hui, cette question afghane continue d’être un dossier chaud, mais cette situation évolue. On le sait, Washington est en train de préparer le retrait, quitte à s’assurer de certaines garanties de la part des Talibans qui pourraient revenir au pouvoir. Cela fait bien l’affaire de Harper, qui sent la soupe chaude avec le détournement des centaines de millions de dollars de l’ « aide canadienne », avec la complicité dans les pratiques de prédation et de torture, et avec le bilan pitoyable de l’intervention militaire comme telle. Pour le NPD donc, le dossier afghan va perdre son éclat, mais voici que surgissent d’autres enjeux majeurs.
Que faire devant la prochaine étape de la « guerre sans fin » ?
Devant l’échec des plans délirants de Bush, l’impérialisme états-unien et ses larbins à Ottawa réalignent leurs priorités. Il faut stopper le mouvement populaire dans le monde arabe, en reconsolidant des régimes alliés, quitte à faire des changements cosmétiques. Il faut maintenir, envers et contre tous, la ligne dure contre les Palestiniens et consolider Israël comme le gendarme régional. Il faut enfin assurer la suprématie militaire des États-Unis dans la région via de nouveaux dispositifs dont on commence à voir l’impact en Afghanistan, en Irak et ailleurs. Et il faut enfin créer l’instabilité dans la région, quitte à bousculer d’anciens amis comme Kadhafi. Or dans cette évolution, le cas de la Libye est effectivement emblématique. Le « soulèvement » contre la dictature est une opération que tentent d’instrumentaliser les copains de l’OTAN, quitte à soutenir une coalition bric-à-brac qui repose sur les anciens sbires de Kadhafi avec des royalistes et des intégristes musulmans (!!!). La dictature sera éventuellement renversée, mais avec elle, l’État libyen, qui contrôle d’énormes ressources énergétiques, laissera la place à un pouvoir chaotique, tenu par des marionnettes au service des États-Unis et de l’Union européenne. En même temps, cette manœuvre, l’espère-t-on du moins, donnera une « bonne leçon » aux États et forces politiques de la région. En Égypte et en Tunisie, mais aussi en Algérie, au Soudan, en Syrie, au Yémen, le danger de la dislocation et de la guerre civile est très menaçant pour ceux et celles qui veulent une démocratie réelle.
Le NPD et la « guerre humanitaire »
Pour les « réalistes » du NPD, le message est clair. Il ne faut surtout pas que la loyale opposition à sa majesté apparaisse comme un empêcheur de tourner en rond. Aussi lors du vote à la chambre des communes sur l’intervention militaire canadienne en Libye, Jack et Mulcair se sont assurés de « discipliner » le caucus. Quelques députés récalcitrants (Linda Duncan d’Edmonton, Alex Atamanenko de C.B.) ont été rapidement forcés de mettre de côté leurs réticences et c’est ainsi que les députés du NPD, unanimement, ont voté pour la motion du gouvernement, comme d’ailleurs leurs collègues du PLC et du Bloc. Le discours qui s’est imposé : l’intervention est là pour « sauver des vies » et elle respecte une résolution de l’ONU. En réalité, et de nombreux États le disent, la résolution en question a été imposée au forcing et permet n’importe quelle interprétation. Sur le fond, les impérialistes veulent d’abord et avant tout renverser le régime (« regime change ») alors qu’il n’en était pas question dans la discussion à l’ONU. Le monde entier, si on exclut les États de la « triade » (Amérique du Nord, Union européenne, Japon) l’a vu, notamment au Brésil, en Inde, en Chine, en Russie et dans la grande majorité des États africains, qui tous d’une manière ou d’une autre s’opposent à l’intervention. Entretemps, l’opération canadienne a déjà coûté plusieurs centaines de millions de dollars, implique près de 700 militaires canadiens et enlise la Libye mais aussi toute la région dans une guerre de plus en plus meurtrière.
Les prochaines couleuvres à avaler
Chose certaine, cette nouvelle aventure de Harper constitue un grand embarras pour le NPD, d’autant plus qu’un des effets collatéraux de cette nouvelle guerre est de renforcer l’argument du PM à l’effet qu’il faut investir davantage dans le militaire, à commencer par le contrat de trente milliards pour les fameux F-35. Reste à voir si cette première couleuvre avalée par le NPD sera la dernière. On peut s’attendre à ce que de tels dilemmes reviennent rapidement sur le devant de la scène. Par exemple d’ici quelques jours, il y aura probablement une confrontation entre la flottille de la liberté qui cherche à rejoindre Gaza et l’armée israélienne. Cela pourrait être évité, mais tôt ou tard, le gouvernement israélien va enclencher de nouvelles opérations guerrières contre les Palestiniens, voire contre le Liban. En effet, la « guerre sans fin » continue, sous d’autres formes. La confrontation israélienne-palestinienne n’est qu’un des « fronts ». Il y aura, à un moment ou à l’autre, le retour de la question iranienne. Sans compter celle du Pakistan, et de bien d’autres pays qui sont, malheureusement pour eux, dans l’« arc des crises » (traversant l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique) et qui sont la cible des États-Unis. Partout, les impérialistes vont nous servir le même refrain, « il faut sauver des vies », « rétablir la démocratie », « protéger les femmes », et quoi s’autres encore. On le constate donc, il sera difficile pour Jack Layton et Brian Topp de gérer tout cela, et de réconcilier l’objectif de « recentrer » le parti et d’en faire un candidat « acceptable » au pouvoir avec celui de rester loyal à un certain nombre de principes sur lesquels ce parti a été créé.