Pour que s’achève le mouvement qui conduit à une connaissance juste, il faut souvent maintes répétitions du processus consistant à passer […] de la pratique à la connaissance, puis de la connaissance à la pratique. Telle est la théorie marxiste de la connaissance, la théorie matérialiste dialectique de la connaissance.
— Mao
Le mouvement de la connaissance, c’est le passage pratique-connaissance-pratique. La pratique est intérieure au mouvement rationnel de la vérité. Dans son opposition à la théorie, elle fait partie de la connaissance. C’est cette intuition qui enthousiasme Lénine dans la conception hégélienne de l’Idée absolue, au point qu’il fait de Marx le simple continuateur de Hegel. La phrase de Mao Tsé-toung donne sa précision à l’enthousiasme de Lénine. Elle est le contenu historique général de l’énoncé dialectique de Hegel. Ce n’est pas n’importe quelle pratique qui est l’ancrage interne de la théorie, c’est la révolte contre les réactionnaires. Et la théorie, en retour, ne légifère pas extérieurement sur la pratique, sur la révolte : elle s’y incorpore par le dégagement médiateur de sa raison.
La sagesse de la révolte
On a raison de se révolter contre les réactionnaires, cela veut dire, non pas d’abord : il faut se révolter contre les réactionnaires, mais : on se révolte contre les réactionnaires, c’est un fait, ce fait est raison. La phrase dit : primat de la pratique. La révolte n’attend pas sa raison, la révolte est ce qui est toujours déjà là, pour n’importe quelle raison possible. Le marxisme dit seulement : la révolte est raison, la révolte est sujet. Le marxisme, c’est le récapitulatif de la sagesse de la révolte. Pourquoi écrire Le Capital, des centaines de pages de scrupules minutieux, d’intelligence laborieuse, des volumes de dialectique aux lisières parfois de l’intelligible ? Parce que cela seul est à la mesure de la profonde sagesse de la révolte. L’épaisseur historique et l’opiniâtreté de la révolte précèdent le marxisme, cumulent les conditions, et la nécessité, de son apparition, parce qu’elles enracinent la conviction qu’au-delà des causes particulières qui provoquent la levée prolétaire, existe une profonde et indéracinable raison. Le Capital, de Marx, est la systématisation, en termes de raison générale, de ce qui se donne dans la sommation historique des causes.
La révolte, c’est la victoire
« On a raison de se révolter contre les réactionnaires » veut dire aussi : la révolte aura raison. Les réactionnaires rendront raison au tribunal de l’histoire de tous les forfaits de l’exploitation et de l’oppression. L’obstination de la révolte prolétaire, c’est certes, premier sens du mot raison, le caractère objectif, irréductible, de la contradiction qui oppose ouvriers et bourgeois, mais c’est aussi la certitude pratique de la victoire finale, c’est la critique spontanée, sans cesse renaissante, du défaitisme ouvrier. Que l’état des choses soit inacceptable et divisé, telle est la première raison de la révolte contre les réactionnaires. La révolte est sagesse parce qu’elle est juste, parce qu’elle est fondée en raison, mais aussi parce que c’est elle qui légifère sur l’avenir. Mais « raison » signifie encore autre chose, autre chose qui est la fusion scindée de ses deux premiers sens. La révolte peut se renforcer de la conscience de sa propre raison. L’énoncé lui-même « on a raison de se révolter contre les réactionnaires » est à la fois le développement de noyaux de connaissance internes à la révolte elle-même, et le retour dans la révolte de ce développement. La révolte, qui a raison, trouve dans le marxisme de quoi développer cette raison, de quoi assurer sa raison victorieuse. Ce qui fait que la légitimité de la révolte (premier sens du mot raison) s’articule à sa victoire (deuxième sens du mot raison), c’est une fusion de type nouveau entre la révolte comme pratique toujours là et la forme développée de sa raison.