Les résultats des élections du 7 avril 2014 ouvrent une nouvelle période politique marquée par le retour au pouvoir d’un vieux parti néolibéral corrompu, par une défaite historique du Parti québécois qui sera traversé par des crises à répétition, par la mise en place d’un parlement dominé par des partis de droite au service de l’oligarchie. Face à tout ça, une opposition parlementaire de gauche représentée par les députéEs de Québec solidaire aura des défis majeurs à relever et aura bien besoin d’être relayée par une opposition extraparlementaire active et militante. Car, les partis de l’oligarchie ont déjà fait connaître leurs intentions politiques : bradage des ressources naturelles, développement des énergies fossiles, privatisation des services publics et restrictions des droits démocratiques. La construction des conditions d’une contre-attaque d’ensemble des classes subalternes contre les plans de la classe dominante élaborés par ces partis à l’Assemblée nationale est plus que jamais à l’ordre du jour.
Le retour du PLQ au pouvoir, le représentant direct du 1% aux commandes de l’État
Les résultats électoraux permettront au Parti libéral du Québec de nous seriner à flot continu les discours sur la légitimité de leurs politiques. Il faudra lui rappeler, comme l’écrit le MDN [1], que la population du Québec a voté en majorité contre un gouvernement majoritaire. Le principal parti de la classe dominante s’installe au pouvoir, car il a su instiguer des peurs : peur de la souveraineté et de la tenue d’un référendum qui installerait l’instabilité et la détérioration des conditions d’existence du plus grand nombre; peur de la division de la société québécoise et des restrictions des libertés démocratiques face à une Charte des valeurs québécoises qui voulait, elle, rassembler sur la peur des autres, eux, les immigrantEs musulmanEs. Le PLQ est parvenu à faire oublier les années du gouvernement Charest : sa corruption, ses attaques contre la jeunesse, sa politique répressive contre les mouvements sociaux, ses politiques favorisant la concentration de la richesse dans les mains des plus riches… Il a su rejeter à l’arrière-plan les affaires de corruption en défendant que tous les partis étaient également corrompus. Ces esquives ont été possibles, car la campagne électorale a su rester au niveau des images et du court terme. Elle a écarté toute réflexion sur les fondements des problèmes essentiels que vit la majorité populaire. Cette dernière dans sa volonté de se débarrasser au plus vite de ce fardeau oppressif répond oui aux partis qui prétendent se poser comme des forces de changement dans la continuité.
Malheureusement, les lendemains risquent d’être moins enchanteurs. La commission Charbonneau va démontrer, tardivement, la profondeur de la corruption de ce parti. Mais ici aussi, la théorie des pommes pourries sera utilisée pour stigmatiser et frapper quelques-uns au profit de la rédemption du parti lui-même.
Philippe Couillard en appelle à l’unité, à la collaboration et prétend être le gouvernement de tous les QuébécoisEs. Ce n’est que de la poudre aux yeux. Il a déjà exposé ses priorités : la relance du programme des infrastructures routières, un plan PME pour favoriser la rentabilisation des entreprises, la mise en place de cliniques privées 24/7 pour renforcer la privatisation de notre système de santé… Mais sur tous les dossiers importants : exploitation des ressources naturelles, développement des énergies fossiles, accord du libre-échange avec l’Europe, atteinte du déficit zéro, ses intentions sont ouvertement affirmées. Sur ces questions, il va recevoir un appui de la CAQ qui partage en grande partie ses vues.
Une défaite historique du Parti québécois
Après 18 mois au gouvernement, le Parti québécois est chassé du pouvoir. Il perd 24 sièges et il se retrouve avec 30 députéEs et 25 % des voies. Une répétition de 2007. Le seul affront qui lui est épargné : il ne redeviendra pas la deuxième opposition. Mais il est tout de même talonné par la Coalition Avenir Québec qui obtient 22 députéEs et 23 % des voix. Pauline Marois perd sa circonscription. Elle démissionne comme chef.
Le Parti québécois était un parti en crise stratégique depuis la défaite du OUI au référendum de 1995. Son rapport à la souveraineté est devenu de plus en plus instrumental, servant principalement à maintenir son emprise sur les souverainistes. Dans aucune des élections depuis le référendum de 1995 (1998, 2003, 2007, 2008, 2012, 2014), le Parti québécois n’a fait de la tenue d’un référendum et de l’objectif de la souveraineté un enjeu majeur.
On répète que le PQ a fait une campagne électorale désastreuse. Et qu’il paie pour ses propres turpitudes. Vrai. Mais, il faut comprendre que sa crise stratégique, son incapacité et son manque de volonté de faire du combat indépendantiste le centre de sa politique démontraient qu’il n’avait aucune solution à proposer. Les tergiversations de Pauline Marois sur la tenue d’un référendum découlent du fait que la minorité dominante dans ce parti, les ministrables, réduit de plus en plus ouvertement ses ambitions à celle d’administrer un gouvernement provincial. C’est ce qu’illustre le mantra répété à de multiples reprises par Pauline Marois comme quoi les élections portaient sur l’élection d’un bon gouvernement et non sur la souveraineté du Québec. Les indépendantistes, dénoncés comme des purs et durs, étaient de moins en moins écoutés dans ce parti. Le dernier congrès du PQ en a été une illustration parfaite. Le refus, encore une fois, de faire de la souveraineté un enjeu des élections en était une lancinante confirmation. Tout cela a provoqué la démobilisation chez les souverainistes… et le défaitisme qui s’est peu à peu installé nourrissant sans aucun doute l’abstentionnisme dans les rangs des partisans péquistes.
Pour masquer cette crise stratégique, la campagne du PQ a multiplié les manœuvres clientélistes allant dans tous les sens. Le PQ n’a pas craint avec sa Charte des valeurs québécoises de libérer les peurs des étrangers comme étant les principaux porteurs d’une possible régression de la société québécoise. Il a ainsi libéré la parole xénophobe. Cela a contribué à brûler sa crédibilité auprès des communautés désignées comme bouc émissaire. Mais nombre de souverainistes ont aussi été indignéEs que le Parti québécois use de tels procédés. Une semaine, il invitait Québec solidaire à se joindre au Parti québécois en appelant à l’unité des progressistes. La semaine suivante, il recrutait Pierre Karl Péladeau, un antisyndicaliste notoire comme candidat dans Saint-Jérôme. Ce recrutement s’inscrivait dans la continuité des politiques visant à gagner les bases de la CAQ : reprise du déficit zéro, coupures dans les services sociaux, soutien à la privatisation en éducation et en santé, rapetissement de l’État social….
C’est un parti désorienté, une véritable girouette, sans boussole autre que la soif de pouvoir, qui s’est présenté devant les électeurs et électrices du Québec et qui doit maintenant se redéfinir sur une série de questions essentielles :
- Assumer la gouvernance souverainiste, un autonomisme de fait ou redéfinir la souveraineté comme objectif essentiel du parti?
- Définir la souveraineté visée : un associationnisme illustré par l’entente PQ-PLQ-Bloc, signé le 12 mai 1995 ou un indépendantisme clair?
- Élaborer une stratégie pour parvenir à l’objectif choisi ou continuer à refuser d’assumer jusqu’au bout les conséquences de son choix?
- Décider quel type de nationalisme privilégier : un nationalisme identitaire et ethnique ou un nationalisme citoyen?
- Dessiner un profil marqué par la protection de l’État social ou confirmer son ralliement au néolibéralisme et, choisir ainsi les liens qu’il veut établir avec le mouvement syndical, le mouvement des femmes et les autres mouvements sociaux?
- Choisir un chef, mais pour quelles politiques?
Sur toutes ces questions les clivages risquent de se multiplier et les tensions risquent de s’exacerber. Ces différents débats sont porteurs de défections et d’éventuelles scissions. La fragmentation du mouvement souverainiste n’a pas fini de s’approfondir.
La Coalition Avenir Québec ou la droite décomplexée
La CAQ s’est faite durant toute la campagne électorale porteuse d’un discours de la droite décomplexée : promesse d’attaques ouvertes contre les droits du mouvement syndical, soutien arrogant à la privatisation des services publics, volonté affirmée de rapetissement de l’intervention de l’État, propos démagogiques contre les partis politiques dominants, rejet de toute politique de défense des droits nationaux… Elle a su bâtir son appui sur ses promesses de changements et de bonne gouvernance et sur la distance (proclamée) avec les vieux partis qu’elle a su identifier à la corruption et à la suffisance de la classe politique.
Le défi de la direction Legault, c’est de profiter de la zone de turbulence dans laquelle risque de rentrer le PLQ et de la crise du Parti québécois pour s’imposer comme le Parti de l’alternance. Pour ce faire, il occupera le terrain d’une opposition de droite au PLQ, le talonnant pour qu’il aille plus loin encore dans l’application de ses politiques néolibérales. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Cela dépendra de la profondeur de la crise qui traversera le Parti québécois et de la capacité de la direction Legault de construire une équipe réellement en lien avec les ténors de la classe d’affaires.
Option nationale commence déjà à s’estomper du paysage politique
Avec 0,76 % du vote, les perspectives d’Option nationale comme parti sont pour le moins sombres. Des militantEs de ce parti ont déjà proposé de transformer Option nationale en un club politique du Parti québécois. D’autres souhaitent une fusion avec Québec solidaire…Ce sont là des perspectives incompatibles qui risquent de déchirer ce qui reste de ce parti.
Québec solidaire face à des défis essentiels
Québec solidaire a fait élire une nouvelle députée, Manon Massé. C’est là un gain majeur. Il manifeste que Québec solidaire reste un parti sur la voie de son enracinement. Ces élections lui ont permis de s’affirmer comme un acteur incontournable dans le champ politique. Mais sa progression d’à peine plus de 1 pour cent (de 6 % à 7,63 %) reflète la conjoncture difficile dans laquelle il doit œuvrer alors que la classe dominante au Québec mène des attaques à plusieurs niveaux.
Un parti politique de gauche ne pourra se développer rapidement dans une conjoncture marquée par une accumulation de défaites des milieux syndicaux, populaires, écologistes, féministes et jeunes. La participation active à l’organisation de la résistance et à la contre-attaque commune face aux politiques du gouvernement Couillard doit constituer, pour lui, un axe de travail aussi essentiel que le travail électoral dans lequel QS a déjà accumulé de riches expériences.
Le projet de société de Québec solidaire deviendra crédible (et moins susceptible d’être taxé d’utopie gentille mais irréalisable ) dans la mesure où son action s’incarnera dans des débats capables de clarifier les réponses à apporter aux attaques des partis de la classe dominante et dans des combats quotidiens où Québec solidaire saura mobiliser ses membres dans ces batailles d’ensemble et contribuer ainsi au renforcement du camp populaire.
Québec solidaire a un autre défi devant lui. C’est de participer à la réorganisation du camp souverainiste sur une nouvelle base, celle qui sait lier le projet d’indépendance nationale au projet de société égalitaire et à une démarche radicalement démocratique, tout en s’appuyant d’abord sur les forces vives de transformation sociale que l’on retrouve dans les mouvements sociaux.
[1] Cf. http://www.democratie-nouvelle.qc.ca/reaction-du-mdn-aux-elections-du-7-avril-2014/
Presse-toi à gauche, 9 avril 2014
Militant socialiste depuis le début des années 70, Bernard Rioux a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com. Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.