Il semble possible que le Front commun du secteur public ainsi que d’autres syndicats concernés soient à la veille de parvenir à un règlement. Ces derniers jours, le gouvernement a reculé sur plusieurs questions importantes concernant les conditions de travail. Il est encore tôt pour évaluer ce que sera le résultat au bout de la ligne. Évidemment, le gouvernement voudrait bien changer quatre trente sous pour une piasse : changer le rythme et la forme des ajustements salariaux, et rien de plus ! Les meilleurs négociateurs disent, « on ne parvient jamais à obtenir par la négociation davantage que ce que le rapport de force impose sur le terrain ».
Dans notre société capitaliste, cette question des salaires reste fondamentale. La politique d’austérité, l’autre nom du néolibéralisme, veut relancer l’accumulation sur l’aplatissement des couches moyennes et populaires, bref, aggraver les écarts. Le capitalisme contemporain, contrairement à celui du passé, ne peut pas consolider le système en redistribuant et en augmentant la capacité de consommer, ce qui était à la base des politiques keynésiennes.
Il est alors tout à fait malhonnête de constater que les médias et des intellectuels de service attaquent toujours les revendications salariales en les traitant de « corporatistes » et d’égoïstes. Les commentateurs-mercenaires du réseau Quebecor disent toujours la même chose, à savoir que les salaires doivent s’« ajuster » vers le bas. C’est le « modèle » états-unien que veut imposer l’Institut économique de Montréal et ses amis du PLQ.
Cela prend tout un rapport de force pour gagner une bataille qui implique plus de 500 000 personnes. L’idée d’un Front commun entre les diverses unités syndicales qui sont concernées a été et reste, à mon avis, excellente. Elle brise, en partie au moins, la fragmentation dont rêvent les élites et les gouvernements. Pour autant, mobiliser et s’entendre avec 500 000 personnes n’est pas nécessairement évident. Les conditions et les réalités sont très variables, entre hommes et femmes, entre personnel de soutien et professionnels, entre générations. Il y a dans ce processus un élément de gigantesque qui échappe, jusqu’à un certain point, à l’autonomie des syndicats locaux. Malgré ces embûches et problèmes, il est préférable de s’unir, de faire converger.
Dans le moment présent au Québec, il y a non seulement une convergence syndicale, mais une convergence des convergences, dans une lutte multiforme et multisectorielle contre l’austérité. Cette convergence ne veut pas dire que tous les secteurs peuvent s’entendre sur tout. Comme toujours, la convergence est temporaire, elle doit être constamment renégociée.
C’est une réalité qu’un certain syndicalisme d’affaires, au Québec et ailleurs, a toujours de la difficulté à accepter. Comme si la négociation d’une convention était simplement une question technique, jusqu’à tant que l’on trouve un accommodement raisonnable. En réalité, les contrats de travail sont soumis à des pressions, des dynamiques qui relèvent de contextes plus vastes. Quand les syndicats gagnent, c’est qu’en général la société veut des changements. Et le contraire est également vrai. Quand les dominants rencontrent peu d’opposition et que l’ensemble des mouvements populaires est dans une phase de confusion, les défaites s’accumulent. C’est en gros ce que la majorité des syndicats québécois ont compris depuis la Révolution tranquille jusqu’au syndicalisme de combat des années 1970 et aux pratiques innovatrices des dernières années, notamment à travers les grandes coalitions impliquant, en dehors du périmètre syndical, les mouvements étudiants, féministes, écologistes, etc.
Si le syndicalisme devient social, cela ne veut pas dire qu’il peut oublier sa raison d’être originelle, c’est-à-dire, la défense des membres des syndicats qui veulent de meilleures conditions de travail. C’est une réalité qui comporte à la fois force et faiblesse. Les syndicats ont un ancrage que peu de mouvements populaires ont. D’autre part, cela implique des compromis face à une réalité où les objectifs sont d’améliorer la situation actuelle. Le syndicalisme dans ce contexte a toujours eu et garde encore deux volets ou deux dimensions, ce qui est souvent difficile à réconcilier. Le syndicalisme est social et politique, car il confronte un système antinomique avec les droits des travailleurs et des travailleuses. Le syndicalisme est en même temps une instance de négociation où on doit, et parfois où on peut, améliorer les conditions de travail à court terme. De toute évidence, les syndicats, pas plus que d’autres sections du mouvement populaire, ne peuvent, à eux seuls, porter toutes les batailles. Ceux qui ne comprennent pas cette contrainte ne comprennent pas que la lutte « globale » est composée d’une myriade de luttes « locales ».
D’autre part, partout et toujours, la lutte n’est jamais terminée. Il y a des avancées, il y a des reculs. Le capitalisme n’est pas un gouvernement, ce n’est pas un patron, mais un système complexe, ancré dans le politique, le social, l’économique et même le culturel. Il n’y a pas une bataille décisive, mais une guerre de longue durée, sur plusieurs fronts à la fois.
D’ici quelques mois, quel que soit le résultat de la lutte du Front commun, les syndicats seront confrontés à une autre offensive patronale de grande envergure pour les démanteler et les fragmenter. Cela va se passer surtout dans le domaine de la santé et des services sociaux, où Couillard, Barrette et compagnie tentent de déconstruire le secteur public. Au lieu de se battre les uns contre les autres pour élargir leur membership, plusieurs syndicats veulent déjouer l’État et refuser la foire d’empoigne qui s’appelle le maraudage. C’est à espérer que tout le monde adopte ce point de vue, quitte à ne pas viser la croissance de ses effectifs. C’est une question de stratégie. Les syndicats qui auront « gagné » seront les perdants d’un rapport de force qui sera encore plus favorable aux patrons. Par ailleurs, à l’échelle plus globale, quelle sera la capacité d’un mouvement syndical fragmenté et divisé ?