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Questions de méthode : sur la liberté d’expression

J’écris ces lignes en mon nom, comme cela est le cas habituellement. Aux Nouveaux Cahiers du socialisme, on n’a pas un « comité central » qui décide ce que les membres pensent et écrivent. Et donc il y a, sur la plupart des questions, des opinions différentes qui s’expriment librement, sur la base d’un accord général, de principes, qui nous caractérise et qu’on assume, encore une fois, librement (voir notre Déclaration de principes).

Et c’est tant mieux comme cela. D’une part, cela nous permet de penser en dehors du je-sais-tout-isme qui sévit depuis longtemps à gauche. D’autre part, cela contribue à notre rôle, ce qu’on peut appeler notre « niche », qui fait qu’on est justement un espace de débat et non pas un gérant d’estrade quelconque, comme il y en a souvent (trop) dans la mouvance de gauche.

Il faut dire que, contrairement à ce qui prévaut dans le milieu académique, cette ouverture au débat n’est pas une excuse pour ne rien dire et surtout, ne rien conclure. Notre point de vue est clairement partisan, mais c’est une partisanerie critique, ouverte au débat. Il n’y a pas de « ni ceci », « ni cela » dans la trame tragique de l’histoire qui est régie d’abord et avant par la lutte sociale.

Cela me fait penser quand Danny Laferrière avait infligé une sévère leçon à François Legault qui se vantait d’être « ni de gauche ni de droite ». Danny avait tellement raison en lui disant que ceux qui disent cela sont en réalité de droite. Il n’y a pas de « pure objectivité », ni de « pure vérité », mais cela ne nous empêche pas de réfléchir, de comprendre et de prendre position.

Pour être fidèles à ce rôle, les NCS acceptent des contraintes, pour ne pas dire des règles, que nous avons comprises, collectivement, pour que ça « marche ». Il faut évidemment un certain niveau de tolérance, et accepter qu’il y a justement des perspectives différentes. On évite de traiter des personnes, qui sont parfois des camarades, et qui n’ont pas notre point de vue, de « traîtres », de « corrompus », de « mafieux ». Il est fort possible, voire nécessaire, de ne pas avoir le même point de vue. On peut s’exprimer avec passion aussi, ce n’est pas un crime. Mais il faut peser ses mots. Trop souvent, le langage haineux cache mal une incapacité de penser stratégiquement. C’est toujours la « faute des autres », du capitalisme, de la bourgeoisie, des méchants dirigeants, dans une spirale de conspirations à n’en plus finir. C’est une défaillance de la pensée de gauche d’éviter ce qui est plus difficile : se regarder soi-même, voir les « points noirs » plus ou moins évidents qui sont encastrés dans nos pensées, nos façons de faire, et qui expliquent, en partie au moins, pourquoi « ils gagnent » et pourquoi « on perd ».

Un autre impératif qu’on tente de respecter aux NCS est d’éviter de dire les choses trop rapidement, sans rigueur, sans vérification. En réalité, le droit de parole exige de faire ses « devoirs », c’est requis pour élever le débat. On ne peut pas dire n’importe quoi. On ne peut pas citer hors contexte, on ne peut pas faire des amalgames, on ne peut pas ignorer les faits, mêmes lorsqu’ils contredisent nos hypothèses et nos théories. Ces faits, la plupart du temps, ne sont pas donnés tout simplement. Il faut aller les chercher. Il faut enquêter. Je sais que certains vont me traiter de nostalgique, mais je continue de penser que l’admonestation que Mao avait faite à ses camarades, en pensant qu’ils avaient le nez (trop) enfoncé dans leurs livres et leurs théories, reste profondément juste et légitime : « L’enquête est comparable à une longue gestation, et la solution d’un problème au jour de la délivrance. Enquêter sur un problème, c’est le résoudre ». Et il concluait avec sa franchise brutale habituelle : « pas d’enquêtes, pas de droit de parole » . (Mao, Contre le culte du livre, 1930, < http://www.maozedong.fr/documents/culte.pdf)

Pour terminer, les NCS essaient, sans toujours réussir, comme on l’a dit auparavant, de promouvoir une culture de débats. Cela veut dire non seulement écouter et « reconnaître » l’autre, mais aussi, de s’identifier. « J’ai quelque chose à dire, je dis pourquoi, je dis d’où je viens ». En clair, ne pas signer ces textes est une mauvaise idée. Être masqué dans une manifestation, c’est aussi, généralement, une autre mauvaise idée. C’est peut-être déplaisant à dire pour certains, mais nous ne vivons pas dans la clandestinité sous un régime fasciste. Il est important d’être à visage découvert, quitte à assumer les coûts, ce qui peut vouloir dire se défendre contre ceux qui veulent nous censurer ou encore pire, nous marginaliser.

Il serait abusif de demander ou d’espérer de tous ceux et celles qui se réclament d’un projet de transformation une attitude aussi « studieuse ». Cependant, qu’on soit dans un groupe de gauche ou dans un mouvement populaire, on devrait s’imposer des normes de rigueur. Ce qui implique de lutter systématiquement contre ce « syndrome » profondément destructif du je-sais-tout-isme.

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