Christophe Aguiton, membre du conseil scientifique de l’institut a publié « La Gauche du XXIè siécle – Enquête sur une refondation ». Dans les InRocks, Mathieu Dejean publie un article qui en fait une présentation stimulante.
Comment la gauche s’est réinventée au XXIe siècle
Des gouvernements anti-libéraux d’Amérique latine aux expériences de Syriza et Podemos en Europe, Christophe Aguiton s’interroge sur les expériences concrètes de refondation de la gauche.
Le “court XXe siècle”, borné par 1914 et par la chute de l’URSS en 1991, et rebaptisé “l’âge des extrêmes” par l’historien marxiste Eric Hobsbawm, aurait pu être le tombeau de la gauche. A l’issue de cette période, le “socialisme dans un seul pays” a montré son vrai visage, éclaboussant le camp progressiste dans son ensemble. La révolution conservatrice, initiée par Ronald Reagan aux Etats-Unis et par Margareth Thatcher en Angleterre, commence à contaminer la social-démocratie, qui se convertit doucement au règne de la concurrence libre et non faussée. Et l’extrême gauche, minée par ce changement de conjoncture et gagnée par le narcissisme des petites différences, se perd dans les nimbes de la marginalité politique. Défiant les pronostiques des militants les plus avancés de Mai 68, qui pensaient avoir vécu une “répétition générale”, le monde n’a pas changé de base, et à l’orée du XXIe siècle, il revient à la gauche de se reconstruire intégralement – tant dans ses orientations, dans ses stratégies, que dans sa forme. Comment y est-elle parvenue ?
De la classe ouvrière “moteur de l’histoire” au populisme de gauche
C’est toute la question que se pose Christophe Aguiton, militant altermondialiste qui a notamment participé à la création d’Attac en 1995, dans son livre La Gauche du 21e siècle, Enquête sur une refondation (éd. La Découverte). Dans une logique pragmatique, il rassemble toutes les expériences de ces vingt dernières années qui ont suscité de l’espoir dans le camp de la transformation écologique et sociale de la société, pour en faire l’analyse critique. Dans un contexte de crise générale du système politique, “il faut relever quelques succès et tentatives de renouvellement du côté de la gauche radicale qui, à la différence des partis de tradition sociale-démocrate ou travaillistes, ont pu créer la surprise et occuper un espace laissé vacant”, énonce-t-il. Parmi celles-ci, il s’attarde en particulier sur les gouvernements anti-libéraux d’Amérique latine, l’exercice du pouvoir de Syriza en Grèce, et la percée de Podemos en Espagne, pour “saisir ce qui a fragilisé les formations traditionnelles de gauche, mais aussi pour commencer à entrevoir des perspectives, propositions politiques et stratégies efficaces à mettre en œuvre dans un monde incertain”.
A l’ère de la mondialisation néolibérale, la gauche doit selon lui prendre en compte les mutations sociologiques de la société, et ne pas survaloriser son passé, pour épouser les revendications émergentes. Les nouveaux mouvements sociaux, dès la fin des années 1990, ont précipité la fin de la centralité du clivage capital / travail, et fait la preuve que la gauche ne pouvait pas reléguer les luttes féministes, antiracistes ou encore environnementales au second rang, en donnant la priorité à la lutte ouvrière seule. Ainsi, “les mouvements sociaux, comme les partis politiques de gauche, utilisent désormais des notions plus englobantes [que celle de “classe ouvrière”, ndlr], rendant la question du rôle des partis très problématique”, observe-t-il.
“Soutenir des luttes de natures différentes”
C’est à cette “propension à soutenir des luttes de natures différentes” (salariés, retraités, jeunes), pendant le mouvement des places en Grèce en 2011, que Syriza doit son succès initial, ainsi qu’à une volonté affichée de prendre le pouvoir, sur une orientation clairement anti-austéritaire. De même, Podemos – qui est parvenu en deux ans à peine à devenir le troisième force politique en Espagne – a pris soin d’articuler la culture politique “mouvementiste” du 15M (le mouvement des “Indignados“) avec une personnalité charismatique comme Pablo Iglesias. Dans la lignée du “populisme de gauche” théorisé par Chantal Mouffe et Ernesto Laclau, ces mouvements, comme celui de Jean-Luc Mélenchon en France, se sont attelé à “construire un peuple”, opposé aux élites ou à la “caste”.
Pour que le pari soit réussi, la gauche doit selon Christophe Aguiton s’adapter à une nouvelle culture politique, déjà en germe dans le mouvement zappatiste en 1994, réticente vis-à-vis du “centralisme démocratique” des partis et du rôle autoritaire de l’Etat. Ainsi, au nationalisations massives et autres planifications caractéristiques du socialisme au XXe siècle, il faudrait substituer d’autres formes d’appropriations collectives fondées sur l’idée de “biens communs” : les coopératives, le secteur de l’économie sociale et solidaire, ou encore les logiciels libres.
Contester “l’Etat comme outil essentiel de transformation sociale”
Selon l’auteur, ces secteurs auraient pu permettre aux gouvernements de gauche en Amérique latine (Bolivie, Equateur, Venezuela) et à la Grèce d’aller au bout de la transition du modèle de développement qu’ils avaient entamée. S’ils se sont fracassés face aux marchés financiers, aux institutions internationales et européennes, c’est qu’ils n’ont pas pu s’appuyer sur des espaces autonomes et autogérés. “C’est d’autant plus vrai lorsque l’outil principal de la transition est un appareil d’Etat déficient, parfois corrompu et dont les cadres ne sont pas tous acquis au nouveau pouvoir comme on l’a vu pour la Grèce”, suggère l’auteur. C’est la critique qu’il adresse aux tenants du populisme de gauche, qui entraîne à ses yeux une “personnalisation discutable”, ainsi qu’“une politique centrée sur le rôle de l’Etat comme outil essentiel de transformation sociale”.
Concluant sur une note d’optimisme, Christophe Aguiton constate que la gauche radicale peut réussir à offrir une alternative crédible au capitalisme par le voie des urnes, en s’opposant frontalement aux partis de gouvernement, “y compris ceux qui se réclament de la gauche”. Le succès de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, qui a supplanté de loin le PS, en a encore fait la démonstration en France.
La Gauche du 21e siècle, Enquête sur une refondation, de Christophe Aguiton, éd. La Découverte