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La crise du logement : on peut s’en sortir

Laurent Levesque, IRIS, 24 septembre 2021
Directeur général de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE)

 

Chaque crise du logement nous rappelle que l’habitation obéit, en règle générale, aux règles du marché. Le problème avec cette vision marchande de l’habitation – et, pire encore, avec le fait que ces hausses constantes des valeurs immobilières sont considérées comme bénéfiques puisqu’elles contribuent à la croissance de l’économie canadienne – est que la dynamique de l’offre et de la demande a une conséquence directe sur des vies humaines. Les crises du logement ruinent des vies non seulement à cause de l’offre insuffisante de logements, mais aussi parce que l’offre restante voit ses prix exploser, car elle obéit à ces principes de marché.

En résulte un écart grandissant entre les ménages propriétaires – a fortiori les propriétaires investisseurs qui possèdent plusieurs logements locatifs –, dont les actifs nets augmentent avec la hausse des valeurs foncières, et les ménages locataires, dont les dépenses en matière de logement croissent beaucoup plus vite que leurs revenus. Avant que l’on parle d’une crise du logement touchant tout le Québec et le Canada, cette tendance était déjà visible dans des quartiers recherchés de grandes villes comme Montréal – et ce, avec parfois un simple écart d’un à trois points de pourcentage du taux d’inoccupation par rapport au point d’équilibre.

Cette réalité n’est pas inévitable. Nous avons déjà choisi par le passé de retirer des activités économiques de la logique marchande. Lorsque la demande pour des services de santé augmente (par exemple, pendant une pandémie), les prix n’augmentent pas, car ce sont des services publics. Lorsque la demande pour certains produits agricoles comme le lait fluctue, notre système de gestion de l’offre protège les agriculteurs et les consommateurs. Le contrôle des loyers visait sans doute un objectif similaire, mais force est de constater qu’il n’a pas empêché les valeurs immobilières d’exploser.

À défaut d’implanter un contrôle fiscal ou réglementaire plus serré du marché locatif, qui pourrait entraîner d’autres conséquences complexes, l’on peut envisager une autre solution, qui a déjà fait ses preuves. En effet, lors de la crise du logement actuelle comme durant les précédentes, une catégorie de logements locatifs est restée abordable, car les propriétaires n’ont pas profité du contexte pour augmenter les loyers : il s’agit des logements hors marché, détenus par des coopératives et des OBNL d’habitation. Sans incitatif à augmenter les loyers, ces propriétaires n’ont aucun intérêt à pratiquer des « rénovictions », un des maux de notre époque. Ces logements font donc d’une pierre, deux coups : ils constituent une réponse aux défaillances actuelles du marché, mais aussi un rempart face à celles à venir, lors de futures crises du logement. En comparaison, les logements « abordables » financés par certains programmes gouvernementaux, mais livrés par des acteurs privés n’atteignent pas ces objectifs, car leur engagement d’abordabilité peut ne durer que 10 ou 20 ans, selon le programme, et la logique marchande reprend le dessus par la suite.

Malheureusement, comme le montrent les données d’habitation et les histoires de « rénovictions », les logements hors marché sont présentement trop peu nombreux pour transformer la dynamique du marché. La meilleure solution pour à la fois démêler la situation actuelle et prévenir une telle crise à l’avenir est donc simple : augmenter la proportion de logements hors marché dans l’offre. Pour y arriver, voici deux pistes d’action.

1. Diversifier les approches

Les formules les plus reconnues d’habitation hors marché sont les logements sociaux et communautaires subventionnés, tels que les habitations à loyer modique (HLM) et les projets financés par le programme AccèsLogis du gouvernement du Québec. Ces formules sont essentielles et doivent être adéquatement financées, notamment parce qu’elles font un troisième coup avec la même pierre : elles constituent une réponse adaptée aux besoins des ménages les plus vulnérables, en leur offrant, selon l’immeuble, une subvention au loyer et/ou du soutien sociocommunautaire.

Pour parvenir à protéger une part plus importante du parc de logements de la logique marchande, ces formules ne peuvent toutefois suffire, et il faudra battre de nouveaux sentiers.

D’une part, on doit étendre les approches hors marché à de nouvelles populations cibles, à différents prix, pour s’adresser aux ménages qui ne sont pas visés par le logement social. Des efforts sont faits en ce sens, notamment par l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, avec la population étudiante, et par le Réseau bon voisinâge, avec les aînés de la classe moyenne. À terme, le principe du droit au logement nous amène à espérer que chaque ménage ait accès à un logement décent et sécuritaire, à la portée de son portefeuille. C’est pourquoi la classe moyenne mérite elle aussi des logements hors marché.

D’autre part, on doit expérimenter des approches non marchandes qui vont au-delà du logement locatif et qui répondent à d’autres besoins et contextes. En ce sens, tous les modèles garantissant l’abordabilité à perpétuité et une forme de gouvernance collective méritent d’être explorés : fiducies foncières, coopératives de propriétaires, propriétés à capitalisation partagée, etc.

Pour toutes ces options, si on vise l’objectif de se prémunir contre les prochaines crises du logement, le critère principal qui oriente nos efforts doit être le potentiel de déploiement à grande échelle et de croissance endogène de chaque modèle.

2. Mobiliser chaque ordre de gouvernement

Le logement est un enjeu complexe et comme aucun des ordres de gouvernement n’a tous les leviers pour résoudre la crise, d’aucuns sont tentés de fuir leurs responsabilités. Or, cette réalité devrait plutôt les encourager à user de tous leurs pouvoirs, aussi limités soient-ils.

Sur le plan municipal, il faut aller au-delà de l’inclusion dans de nouveaux projets pour agir au sein du parc immobilier existant et en convertir une part croissante en formules hors marché. Les gouvernements municipaux peuvent également mettre en place des incitatifs fiscaux et réglementaires pour les logements hors marché, et revendiquer auprès du provincial la possibilité de mettre en place des règlements de zonage différenciés selon la nature, marchande ou non, des projets immobiliers.

Sur le plan provincial, le gouvernement a tout à gagner à maintenir un financement prévisible et récurrent du logement social et communautaire à travers des programmes comme AccèsLogis. Il gagnerait aussi à créer des incitatifs fiscaux ou financiers pour la construction et la conversion de logements hors marché, par exemple en offrant un crédit d’impôt aux propriétaires d’immeubles locatifs qui souhaiteraient vendre ceux-ci à une organisation à but non lucratif.

Finalement, la Stratégie nationale sur le logement a marqué un retour important du fédéral dans le monde de l’habitation. Malheureusement, la majorité des milliards investis dans cette stratégie se retrouvent dans les poches de promoteurs privés qui réalisent des projets dont l’abordabilité est partielle, faible et temporaire. Pour maximiser les retombées de ses investissements à long terme, le gouvernement fédéral aurait tout intérêt à reconnaître et à valoriser le caractère pérenne des projets hors marché et à leur consacrer une plus forte proportion de ses fonds.

À la suite de la crise du logement de 2003, nous avons manqué l’occasion d’accélérer la construction ou l’acquisition de logements hors marché, qui auraient constitué un filet de sécurité contre les effets les plus dramatiques de la crise actuelle sur les locataires. La situation d’aujourd’hui est une occasion unique de mettre en branle les chantiers nécessaires pour que la prochaine crise ait moins de conséquences néfastes sur les ménages québécois.
 

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