La Chine et l’ordre du monde

La revue Agone (http://agone.org/revueagone/agone52/index.html) publie une sélection d’articles de la New Left Review dédiés à La Chine. Alors que s’ouvre aujourd’hui à Pékin le sommet Chine-Union Européenne, ce document s’avère extrêmement utile pour appréhender les réalités et les contradictions de la deuxième économie mondiale, À noter : huit des dix articles sélectionnés sont l’œuvre de chinois dont la plupart vivent encore en Chine.

Bien évidemment dans ce numéro spécial une place éminente est consacrée au développement économique spectaculaire de la Chine, notamment avec l’étude [1] de Hung Ho-Fung. Celui-ci revient sur la situation et la place paradoxale de la Chine dans la crise mondiale. En tant qu’atelier du monde, ce pays a développé une dépendance commerciale liée à la part de ses exportations dans son PIB. Conséquence, les réserves de change sont utilisées pour acheter de la dette américaine.

Pour avoir des rendements jugés sûrs mais aussi et surtout dans une volonté délibérée de financer le déficit américain et maintenir ainsi les débouchés états-uniens pour le « Made in China ». Cette spirale infernale aura une fin car le déficit des USA ne peut se creuser indéfiniment et la solution théorique est connue avec le développement possible d’un immense marché intérieur. Mais l’auteur montre aussi que ce processus est largement bloqué par les dirigeants et les entrepreneurs des provinces côtières : « Cette faction dominante de l’élite chinoise, en tant qu’exportatrice et créancière de l’économie mondiale, a établi une relation symbiotique avec la classe dirigeante américaine. »

Cette question est l’une des clefs de l’évolution future d’une Chine en pleine mutation et dont la réorganisation postmaoiste n’est pas achevée. L’article de He Qinglian intitulé , La structure sociale vacillante de la Chine, souligne l’ampleur des contradictions qui s’accumulent. Le processus par lequel l’essentiel des hautes sphères du Parti communiste Chinois s’accaparent la richesse du pays ne va pas sans heurts et s’est traduit par une corruption généralisée à tous les niveaux.

Longtemps le développement du capitalisme a pu s’appuyer sur un soutien presque unanime de la sphère intellectuelle. Celle-ci durement meurtrie par la Révolution culturelle jusqu’au milieu des années 1970 a été un point d’appui précieux. Dans une vision très libérale, l’ouverture au marché mondial a ainsi été vécu comme le prélude à une démocratisation du régime. Mais après presque trente ans de développement capitaliste, après Tian’anmen et devant la montée des inégalités et l’ampleur des dégâts écologiques l’émergence d’une « société civile » s’affirme chaque jour un peu plus. La retranscription d’un débat [2] organisé à Harvard autour de trois anciens dirigeants du mouvement de 1989 éclaire tout à la fois les enjeux d’alors et les trajectoires intellectuelles des participants dans leur cheminement politique.

Traiter sérieusement de la Chine, mastodonte économique et démographique, ne saurait passer par le seul prisme des questions économiques et sociales. Une large place est aussi consacrée à la question du nationalisme et à des enjeux géo-stratégiques. Ainsi ce numéro s’ouvre sur un texte de Benedict Anderson qui réfute toute différence de nature entre nationalisme occidental et oriental et s’achève par une interview de Wang Hui qui pointe l’instrumentalisation d’une certaine forme de nationalisme par le gouvernement chinois.

À ces considérations générales s’ajoutent le traitement de deux questions épineuses dans le cadre de la République Populaire de Chine (RPC) : celui du Tibet et celui de Taiwan. Ce dernier pays est une source de tensions diplomatiques majeures. Initialement défini comme la République de Chine légitime et disposant du siège au conseil de sécurité jusqu’en 1971 date à laquelle le siège est revenu à la République populaire et Taïwan évincé de l’ONU. Il en ainsi aujourd’hui encore et il faut souligner la dépendance de fait de Taïwan vis-à-vis des États-Unis. Résumant la situation Wang Chaohua écrit [3], « Dans ces conditions, ni la réunification ni l’indépendance ne peuvent constituer (du point de vue de Pékin, ou de Washington, ou des deux à la fois) des propositions normales ou légitimes. »

La collaboration entre Agone et la New Left Review se révèle donc particulièrement fructueuse avec ce second numéro consacré à l’Empire du milieu. Loin d’une vision fantasmée ou superficielle ce sont bien les modifications et les contradictions d’une société en pleine mutation qui apparaissent tout au long des articles. À lire donc.

20 novembre 2013 

 

Article précédent
Article suivant

Articles récents de la revue

Notes de lecture (Hiver 2024)

Robert Leroux, Les deux universités, Paris, Éd. du Cerf, 2022, Des essais de professeurs d’université annonçant gravement la mort de l’université sont publiés depuis au moins...