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Jean Lamarre, Le mouvement étudiant québécois des années 1960 et ses relations avec le mouvement international, Québec, Éd. du Septentrion, 2017

Depuis au moins une vingtaine d’années, un courant historiographique important s’intéresse aux années 1960 dans une perspective transnationale. Des chercheur-e-s ont souligné que les mobilisations politiques de la période ont eu des causes semblables et que les militantes et les militants ont partagé un répertoire commun de pratiques et de références culturelles. Après un tour d’horizon de cette littérature, Jean Lamarre note avec justesse que celle-ci reste souvent vague quant aux réseaux et contacts qui ont permis aux différents mouvements sociaux nationaux de s’influencer mutuellement. Pour tenter de saisir de manière systématique ces influences au sein du mouvement étudiant, l’auteur se penche sur les relations bilatérales que l’Union générale des étudiants québécois (UGEQ) – principale organisation étudiante québécoise, de sa fondation en 1963 jusqu’à sa dissolution en 1969 – a entretenues avec d’autres organisations nationales, soit celles du Canada, des États-Unis et de la France.

Le premier chapitre porte sur la création et l’internationalisation de l’UGEQ et révèle l’importance que l’organisation accorde aux enjeux internationaux. Trois des huit articles de sa charte et sept des dix-neuf résolutions adoptées en congrès s’y rapportent spécifiquement (p. 27). Ces articles et résolutions reflètent une volonté pacifiste et humaniste qui se concrétise par l’adoption en 1965 d’un livre blanc sur l’internationalisation, dans lequel l’UGEQ se voit comme un médiateur prêt à contribuer à l’unification d’un mouvement étudiant international divisé en deux par la guerre froide (p. 41). Dans l’esprit du livre blanc, l’action internationale de l’UGEQ est aussi vue comme un moyen pour le Québec d’affirmer sa présence dans le monde (p. 36-37).

Comme Sean Mills l’a démontré dans son excellent ouvrage Contester l’empire[1], le militantisme politique québécois des années 1960 est profondément imprégné de la pensée postcoloniale et de l’anti-impérialisme, très présents ailleurs dans le monde au même moment. Le mouvement étudiant ne fait pas exception. L’UGEQ soutient donc activement la lutte des Afro-Américains pour leurs droits civiques en organisant en 1965 un sit-in devant le consulat des États-Unis. L’évènement est un succès : il rassemble entre 2000 et 4000 étudiantes et étudiants, un nombre considérable pour l’époque, et reçoit la visite de James Forman, un des leaders du Student Non-Violent Coordinating Committee. Cette manifestation est perçue alors comme le véritable acte de naissance de l’UGEQ (p. 35).

L’organisation accorde aussi beaucoup d’énergies à la lutte contre l’impérialisme américain au Vietnam. Elle fait de l’année scolaire 1967-1968 « l’Année-Vietnam » : une série d’évènements de sensibilisation et de dénonciation qui culmine en novembre 1967 avec 23 manifestations qui ont lieu dans 12 villes du Québec. À Montréal, la manifestation se termine par un rude affrontement avec les forces policières (p. 49). Les pages que Lamarre consacre à la mobilisation contre la guerre du Vietnam sont pertinentes, considérant que Mills s’y est étonnamment assez peu attardé. Or, plusieurs auteurs soutiennent que l’opposition à la guerre du Vietnam constitue un des principaux facteurs de convergence internationale des mouvements étudiants[2].

À plusieurs reprises dans son ouvrage, Lamarre nous montre les répercussions de la guerre froide sur les discours et les pratiques du mouvement étudiant international. En effet, ce dernier n’échappe pas à la division du monde en deux blocs antagoniques. L’Union internationale des étudiants (UIE) est fondée en 1946 pour rassembler toutes les organisations étudiantes nationales, mais l’unité est de courte durée. Lorsque les dirigeants de l’UIE appuient le coup de Prague de 1948, des délégations d’Europe de l’Ouest critiquent cet alignement sur les positions soviétiques et se réunissent dans une conférence internationale à Stockholm. Elles jettent ainsi les bases de ce qui deviendra la Conférence internationale des étudiants (CIE) : « […] à partir de ce moment, le mouvement étudiant international fut alors divisé idéologiquement, l’UIE défendant généralement les positions prises par l’Union soviétique alors que la CIE appuyait les gestes des États-Unis » (p. 30).

Dans ce contexte, l’UGEQ choisit de devenir membre associé des deux centrales dans l’espoir de participer au rassemblement des forces étudiantes mondiales. En 1967, elle est reconnue tant par l’UIE que par la CIE, mais elle se retire de la CIE un an plus tard lorsque l’on découvre les liens qui unissent cette dernière à la CIA (Central Intelligence Agency). Par l’intermédiaire de la National Student Association (NSA) américaine, la Conférence internationale des étudiants est soutenue financièrement par l’agence de renseignement qui espère en tirer des informations utiles dans sa lutte contre le communisme (p. 97-98). On comprend que cette révélation jette un froid entre l’UGEQ et son homologue américaine, organisations toutes deux peu enclines à travailler ensemble étant donné leurs désaccords idéologiques – la NSA est perçue comme trop modérée par les dirigeants de l’UGEQ.

La position de l’UGEQ en faveur de l’unité étudiante internationale s’inspire de celle de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). Dans une entrevue accordée à Daniel Latouche par le délégué international de l’UNEF, Pierre Guiponi, celui-ci affirme que « le premier souci de l’UNEF dans l’élaboration de sa politique internationale, c’est celui de la réunification du mouvement étudiant à l’échelle du globe » (p. 139). Latouche, directeur du bureau des affaires internationales de l’UGEQ, reprend ce thème lorsqu’il rédige le livre blanc sur l’internationalisation du groupe québécois (p. 165). Ce n’est pas la seule position qui rapproche les deux organisations étudiantes. Aux dires d’un vice-président de l’UNEF, l’UGEQ fait partie avec elle d’un « courant syndicaliste » qui regroupe les associations de Belgique, d’Irlande, de Grèce et d’Espagne (p. 144).

Lamarre apporte une contribution intéressante au débat historiographique sur les sources d’inspiration internationales des militantes et militants québécois. Bien que personne ne doute que le mouvement étudiant québécois, doté d’une dynamique propre, ait été influencé par ses homologues américains et ses homologues français, le sociologue Jean-Philippe Warren soutient que la contestation étudiante à Berkeley a davantage servi de modèle que celle de Paris[3]. Nuançant cette affirmation, Lamarre montre que les journaux grand public et étudiants ne couvrent presque pas les évènements de Berkeley et que les délibérations du congrès de fondation de l’UGEQ n’en font pas mention (p. 88).

Sans pour autant essayer de trancher le débat, Lamarre parle de « l’immense influence qu’a exercée le mouvement étudiant français » (p. 163). En adoptant les principes de la charte de Grenoble que les militants étudiants français s’étaient donnés en 1946, l’UGEQ a emprunté une voie progressiste qui a marqué son évolution. En ce qui concerne plus spécifiquement Mai 68, Lamarre publie une lettre fascinante que Claude Charron, alors vice-président aux affaires internationales de l’UGEQ, adresse à Jacques Sauvageot, vice-président de l’UNEF durant les évènements qui ont secoué la France. Dans cette lettre écrite en août 1968, Charron invite Sauvageot à visiter le Québec pour y jouer un rôle de catalyseur (« rajouter de l’huile sur le feu »), en insistant sur « l’énorme influence qu’a sur notre mouvement les luttes que vous avez menées chez vous » (p. 158). Cette visite n’aura pas lieu en raison de la crise interne que vit alors l’UNEF, mais la lettre témoigne de l’attraction que le mouvement français exerce, sur certains leaders étudiants québécois à tout le moins.

Riche d’informations pertinentes, le livre de Jean Lamarre est divisé en quatre chapitres portant respectivement sur l’internationalisation de l’UGEQ (ch. 1), sur ses relations avec l’association étudiante canadienne (ch. 2), avec la NSA américaine (ch. 3) et avec l’UNEF (ch. 4). Cette organisation est pratique pour les lectrices et lecteurs qui veulent se pencher sur les liens entre l’UGEQ et le mouvement étudiant d’un pays en particulier, mais elle mène malheureusement à plusieurs répétitions qui alourdissent la lecture pour celles et ceux qui souhaitent avoir une vue d’ensemble des relations internationales étudiantes.

 

Guillaume Tremblay-Boily

 

Notes

 

[1] Sean Mills, Contester l’empire. Pensée postcoloniale et militantisme politique à Montréal (1963-1972), Montréal, Hurtubise, 2011.

[2] Geneviève Dreyfus-Armand, « L’espace et le temps des mouvements de contestation », dans Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les années 68. Le temps de la contestation, Paris, Éd. Complexe, 2000, p. 28. Ronald Fraser, Daniel Bertaux et al, 1968. A Student Generation in Revolt. An International Oral History, New York, Pantheon, 1988, p. 89.

[3] Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie. Les années 68 au Québec, Montréal, Boréal, 2008, p. 87.

 


 

 

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