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La souveraineté du Québec et les peuples autochtones

Pierre Trudel, extrait d’un texte paru dans les Nouveaux Cahiers du socialisme, no. 18, automne 2017 [1]

 

Premier ministre d’un gouvernement qui allait tenir un référendum sur l’indépendance du Québec, René Lévesque organisa en 1978 une rencontre de plus de 100 chefs des Premières Nations avec des membres importants de son conseil des ministres[2]. Ce texte vise à présenter l’évolution de la politique du Parti québécois (PQ) sur la question du droit des peuples autochtones depuis les discussions tenues en 1978 jusqu’à la politique du nouveau chef, Jean-François Lisée. Celui-ci, dans un livre publié en 2015, explique ce que devrait être la politique de son parti dans l’éventualité d’un prochain référendum[3].

La rencontre de 1978 sous le signe de l’incompréhension 

Quelle était la perception des membres importants du Conseil des ministres péquistes en 1978 sur la question des peuples autochtones ? Les Amérindiens étaient vus, comme le Québec, comme des colonisés par le Canada. La libération du Québec de ce colonialisme menée par le PQ allait du même coup libérer les peuples autochtones. Tout en promettant davantage de droits et leur décolonisation, le PQ affirmait qu’il allait rapatrier unilatéralement cette « compétence » comme toutes les autres compétences fédérales en devenant un pays souverain.

Beaucoup d’hostilité et d’incompréhension émergea alors entre les parties. Surtout devant les propos selon lesquels, dans un Québec souverain, les droits des Amérindiens se limiteraient aux territoires des réserves. Un ministre avait même donné son avis selon lequel, dans les réserves, la Loi sur les Indiens leur donnait beaucoup de droits… Un autre affirmait que les peuples autochtones, pour avoir des droits, devaient inévitablement passer par une entente dans laquelle ils devaient céder tous leurs droits, quels qu’ils soient, comme les Cris et les Inuits l’avaient fait en 1975 lors de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Puisqu’ils appartenaient à des sociétés qui n’étaient pas « organisées », ces droits devaient être définis à l’occasion de leur cession. Ce ministre insultait les Autochtones en parlant du caractère non organisé des sociétés autochtones, sans même s’en apercevoir !

Le chef d’Oka/Kanesatake avait alors vivement réagi sur la question de limiter leurs droits aux réserves, lui qui n’avait pas de réserve officielle, mais des « terres fédérales » enclavées dans la municipalité d’Oka. Expert en droit constitutionnel, le ministre Jacques-Yvan Morin réagissait au chef mohawk en déclarant : « Il y a des choses que je comprends mal. J’aimerais bien comprendre exactement ce qui peut vous paraître agressif dans la démarche du gouvernement à votre endroit ». C’est le ministre-psychiatre Camille Laurin qui avait quelque peu sauvé la situation à propos du « malentendu sur la question des droits indiens » en abordant les thèmes de la fierté et de la dignité des peuples. René Lévesque, quant à lui, comme il l’a souvent fait, tenta de calmer le jeu :

Quand on ne se connaît pas, on ne peut pas savoir ce que l’on doit respecter dans l’identité de l’autre. On ne peut pas savoir ce que l’on doit respecter dans ses aspirations, ses idées. On ne peut rien bâtir sur l’ignorance. La deuxième chose, c’est la confiance. Il faut une confiance réciproque, mutuelle, mais ça demande qu’on partage des expériences, qu’on travaille ensemble[4].

Un dialogue de sourds

Manifestement, les ministres voyaient les réserves comme des anachronismes territoriaux difficilement compatibles avec le projet souverainiste. Et, de l’autre côté, les Autochtones étaient inquiets du fait que le gouvernement ignorait leurs nombreuses revendications sur des terres amputées de leurs réserves et également leurs droits sur leurs territoires traditionnels. En toute justice vis-à-vis la position du Parti québécois, il faut relever que la notion de droit des peuples autochtones à la libre disposition, selon le droit international, était peu connue et revendiquée à l’époque, tout comme les nombreux cas de perte de terres de réserves.

Lors de la rencontre de 1978, seuls deux chefs de bande ont fait usage du terme « souveraineté » pour leurs propres sociétés, la plupart se limitant à se préoccuper de ce qu’ils identifiaient tout simplement comme leurs « droits ». Outre l’ignorance et la délicate question du rapatriement de la « compétence fédérale en matière indienne », la position du PQ était progressiste, s’inspirant de principes que l’anthropologue Rémi Savard avait établis dans un livre blanc sur la culture, commandé par le ministre Laurin[5]. Par ailleurs, Savard, qui a assisté à ces échanges, a dénoncé le fait que le PQ faisait aux Autochtones ce qu’Ottawa faisait au Québec. Dit autrement, Québec proposait de remplacer un colonisateur par un autre. L’anthropologue annonçait du même coup qu’avec si peu d’imagination, le PQ se préparait à de superbes crises et problèmes. L’histoire lui a donné raison.

Une décolonisation pour qui ?

Outre la question du droit des peuples, la réaction négative d’une partie importante de la population autochtone devant l’éventualité d’un bris du lien fédéral relevait de la même réaction que celle des fonctionnaires de la ville de Québec qui craignaient de perdre leurs emplois ou de celle des gens à faible revenu qui, non sans raison, craignaient la perte de leur sécurité financière, compte tenu du fait qu’ils recevaient des paiements de transfert fédéraux. Rappelons que les Autochtones sont en bonne partie à faible revenu et reçoivent des subsides de l’État fédéral. La majeure partie de leurs paiements de transfert se trouvent ainsi dans une situation sensiblement différente de celle de la population québécoise. De plus, les Autochtones ne voyaient pas le PQ comme une organisation militante d’un mouvement de libération anticolonialiste.

En réalité, la mémoire collective des peuples autochtones ne transmet pas nécessairement une belle image de la libération des colonies des Amériques. Dans les faits, ces indépendances se sont réalisées souvent en même temps que l’avancée de colons et de l’exploitation des ressources de leurs territoires. D’ailleurs, c’est la volonté d’avoir accès sans limites à ces ressources qui contribua à ces mouvements d’indépendance ; ressources qui allaient d’ailleurs assurer le succès économique d’une telle entreprise. L’indépendance des États-Unis, le développement de l’État canadien et les ambitions de développement du Nord québécois à partir des années 1960 ont suivi la même logique. Les Mohawks, eux qui avaient subi l’assaut violent de l’armée des souverainistes étatsuniens, étaient bien placés pour le savoir et n’hésitaient pas à le transmettre aux autres peuples autochtones du Québec. Pour les nations autochtones, l’histoire a montré certains avantages d’avoir un tuteur qui les « protège » devant l’appétit des colons et de leurs gouvernements. Bien ancré dans l’histoire de l’Amérique du Nord, cette idée ne pas se retrouver seuls devant un gouvernement et négocier plutôt à trois leur a servi dans le passé. Ainsi, la symbolique de la libération et de l’indépendance du Québec était loin d’être partagée.

[1] Anthropologue et chargé de cours à l’UQAM.

[2] Éditeur officiel du Québec, La Rencontre des Amérindiens du Québec et du Gouvernement québécois, les 13, 14 et 15 décembre 1978, Conseil exécutif, Secrétariat des activités gouvernementales en milieu amérindien et inuit (SAGMAI), Québec, 1979.

[3] Jean-François Lisée, Octobre 1995. Tous les espoirs, tous les chagrins, Montréal, Québec Amérique, 2015.

[4] Cité dans Pierre Trudel, « Lorsque Rémi Savard rédigeait un “Livre blanc” », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 40, n° 1-2, 2010.

[5] Rémi Savard, Destins d’Amérique. Les autochtones et nous, Montréal, L’Hexagone, 1979, p. 79.

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