Il serait surprenant de voir des grands résultats à la suite de la rencontre de la semaine passée entre Stephen Harper et certains leaders autochtones. Le principal résultat, et ce n’est pas rien, est que le PM a été mis le dos au mur par les mobilisations enclenchées par le mouvement Idle no more. Il semble se produire par ce mouvement une coalition inédite, qui dépasse les cadres habituels. Sans se substituer aux institutions autochtones comme les Conseils de bande et l’Assemblée des premières nations, on peut constater que cette mobilisation « par en bas » réussit à changer les rapports de forces. On le sait de plus en plus, le changement ne survient pas principalement et uniquement « par en haut », dans les tractations entre les acteurs politiques et les institutions. Il faut compter aussi sur les mouvements « par en bas » qui sont capables, à divers moments donnés de dire simplement, « basta » à des systèmes pourris.
Dans le cas qui nous intéresse, il est évident que cette mobilisation exerce une énorme pression sur l’État. Fait à noter, c’est arrivé dans le passé. Par exemple dans les années 1970, les Cris de la Baie-James ont arraché une Convention avec le gouvernement québécois, ce qui leur a donné passablement d’avantages. Les communautés autochtones dans leur majorité rêvent d’avoir des accords similaires. À l’époque — on l’a peut-être oublié — la victoire des Cris n’est pas venue par magie. Pendant des années, cette communauté du nord du Québec s’était organisée en constituant des réseaux d’appui dans le sud, au Québec et au Canada, et même aux États-Unis. Parallèlement, des organisations comme la Ligue des droits et libertés, des mouvements populaires et étudiants et d’autres ont appuyé leurs revendications. Le PQ sous la gouverne de René Lévesque y était également sensible puisque dans une large mesure, la lutte pour le droit à l’autodétermination pour les peuples autochtones repose sur les mêmes principes que celle du peuple québécois.
Par la suite cependant, l’élan des Cris s’est essoufflé. Au début des années 1990, la crise d’Oka a fait basculer les choses. Des Mohawks des communautés de Kanasetake et Kahnawake se sont mobilisés dans des conditions d’une grande adversité. Le côté spectaculaire de leurs actions a pris le dessus, en bonne partie à cause de la posture hostile et agressive des autorités étatiques, également par l’action des médias qui ont chauffé l’opinion publique contre les autochtones. À Montréal pourtant, le Regroupement de solidarité avec les autochtones a mené plusieurs mobilisations de masse, ce qui a sans doute aidé au dénouement négocié de la crise.
Depuis et en dépit de multiples tentatives pour renégocier entre autorités autochtones et institutions à Ottawa et à Québec, la situation sociale et économique n’a cessé de se détériorer pour les peuples autochtones. Les médias et une certaine opinion de droite s’acharnent à diaboliser les autochtones, à les traiter de sans-cœur et de bons-à-rien, en créant une polarisation de caractère raciste.
C’est sans doute ce qui explique en grande partie les évènements actuels.
Pour bien comprendre les revendications autochtones, il faut accepter qu’elles ne sont pas strictement « économiques ». On ne règlera pas le « problème » uniquement avec d’autres subventions ou en améliorant les services de santé et d’éducation sans compter le logement et le travail. La question des droits nationaux ne peut être évacuée, pas plus pour les autochtones que pour les Québécois. Derrière cela, il y a un passé pas si ancien qui s’appelle le colonialisme. Pendant si longtemps, les autochtones ont été subjugués, transformés en êtres sans droit ni identité, si ce n’est que de manière folklorique. Ils constituent un ensemble de peuples qui possède une histoire, une conception de monde et un droit inaliénable au territoire, comme n’importe lequel peuple. Sans hostilité automatique à la société blanche, les autochtones demandent de négocier de peuple à peuple. Ils ne veulent pas seulement être « intégrés », ou avoir les « mêmes droits » que les autres, mais des droits spécifiques, reflétant leur réalité nationale originale.
Aujourd’hui, cette revendication prend une nouvelle ampleur avec les nouvelles générations autochtones dont plusieurs connaissent bien la société blanche parce qu’elles y vivent, notamment à Montréal. Elles ont aussi des moyens qu’elles n’avaient pas avant, et elles ont vu l’impact des Carrés rouges et d’autres mouvements citoyens. C’est de cela dont il est question maintenant.
Pour les mouvements populaires québécois, il existe donc une fenêtre d’opportunités. Une alliance de peuple à peuple est à l’ordre du jour. Car en substance, les revendications autochtones sont semblables à celles des couches populaires et moyennes québécoises. Elles confrontent le 1 % qui profite de la surexploitation des forêts et des ressources qui sont localisées sur un vaste territoire qui est celui des autochtones. En devenant associés des autochtones, il est possible de créer une convergence inédite, apte à fragiliser l’édifice du pouvoir.