A la porte des Etats-Unis, les problèmes s’accumulent : difficultés économiques et financières défis géopolitiques qui tendent à creuser le déficit intérieur et extérieur, sous-développement des infrastructures et inégalités sociales. L’Amérique entend-elle rebondir ou au contraire circonscrire son territoire d’influence ? La crise des crédits hypothécaires est révélatrice de l’état général de son économie. Elle fut le déclencheur de la crise financière actuelle. Toutefois, le point de départ se situe sans doute en amont des difficultés de l’immobilier. Il pourrait résider dans la baisse des revenus de 80 % des travailleurs américains. Depuis 2006, leur salaire ne cesse de diminuer en valeur absolue. C’est ainsi que leur feuille de paie hebdomadaire a été amputée de 3,55 dollars en avril 2008. Les augmentations de salaires des douze mois précédents ont été absorbées par les hausses du prix de l’essence et des denrées alimentaires.
Par Hervé de Carmoy
Le nombre de travailleurs à mi-temps est passé de 4,9 millions à 5,2 millions en un mois. Le chômage a augmenté en un an de 326.000 personnes, sans compter tous ceux qui ont été mis au chômage partiel ou qui ont été encouragés à ne pas rechercher un emploi ; la précarité se répand et les classes moyennes commencent à être laminées, illustrant ainsi un passage à vide de l’économie américaine.
Lourdes imprudences. Cette crise, d’un ordre de grandeur de 80 à 130 milliards de dollars, n’aurait pu être qu’un incident de parcours si les institutions américaines n’avaient commis de lourdes imprudences. Par jeu et par appât du gain, elles ont transformé la gestion de capitaux en casino. Elles ont créé des montages opaques et difficiles à dénouer. Elles ont pris des risques inconsidérés. En conséquence, les pertes seront un multiple élevé des sommes annoncées à l’origine. Elles pourraient atteindre, selon des responsables avertis, un chiffre situé entre 800 et 1.200 milliards de dollars. On comprend dès lors que les autorités de tutelle américaines aient accepté un étalement dans le temps, de trois à cinq ans, de la dépréciation de ces actifs. Il ne s’agit pas d’une première dans l’histoire récente des banques centrales.
À la fin des années 1980, le pragmatisme britannique avait conduit la Banque d’Angleterre à consentir un lissage sur trois à cinq ans des pertes sur les crédits à l’Amérique latine. Cela signifie que la Banque centrale américaine continue à injecter des montants considérables dans le système bancaire. Sa dernière intervention s’élève à 150 milliards de dollars à 2 % et permet aux banques de reconstituer leur marge et leur liquidité. La Fed donne ainsi le temps au temps, faisant confiance à l’esprit d’entreprise des Américains pour retrouver le chemin de la création de richesses. L’Amérique en aura besoin. En effet, la crise financière ne se limite pas aux défaillances dans le secteur des subprimes. Elle pourrait s’étendre à une autre catégorie d’actifs, celle des crédits à la consommation octroyés parle débit des cartes de crédit. Ces concours sont utilisés par les 80 % les moins aisés de la population ; ils ont souvent été octroyés sans un discernement suffisant et représentent plusieurs milliers de milliards de dollars. L’analyse de l’ampleur et des conséquences de la crise financière aux Etats-Unis implique aussi de prendre en ligne de compte l’évolution de la parité du dollar. Il s’agit certes d’une équation à plusieurs inconnues. Mais une constatation s’impose : aux Etats-Unis, la monnaie passe après l’exercice d’un pouvoir géopolitique. En tout état de cause, il est légitime de penser que l’accroissement de son déficit externe et interne et la fragilisation de sa position relative au Moyen- Orient et en Asie seront des facteurs importants dans la persistance ou l’aggravation de la faiblesse du dollar, notamment à l’égard de l’euro et du yen. Les choix géopolitiques seront aussi lourds de conséquences.
En fait, les États-Unis ont deux rivaux qui se font la courte échelle : la Chine et l’Iran. Chacun d’eux veut éloigner les Etats-Unis de la région où ils entendent exercer leur prééminence historique. Ensemble, ils manoeuvrent à plusieurs niveaux : la Chine construit une gigantesque base pour ses sous- marins et missiles nucléaires, dans l’île de Hainan ; elle contrôlera ainsi ses routes maritimes qui lui assureront l’approvisionnement en pétrole et en matières premières. À un terme de deux ou trois ans, la Banque de Chine pourrait avoir accumulé des réserves de changes de 2.300 à 3.000 milliards de dollars, montant suffisant pour peser d’un poids certain sur la gestion du déficit extérieur américain, soit par le biais des taux, soit par celui des renouvellements. L’Iran, à échéance de deux à trois ans, pourrait avoir développé l’arme nucléaire. Le franchissement de cette étape poserait alors d’immenses problèmes géostratégiques, dont celui de la sécurité d’Israël. L’arme atomique pourrait conférer à l’Iran une position centrale au Moyen-Orient. Le pays fait déjà pression sur ses voisins pour qu’ils facturent leurs ventes de pétrole aux États-unis dans une monnaie autre que le dollar Son entrée dans le club qui possède la bombe atomique lui donnerait un ascendant régional significatif, d’autant qu’il dispose de 20 % des réserves de gaz dans le monde et de 7 % des réserves de pétrole.
Dans ce contexte, une réalité s’impose : l’accentuation d’une politique de déficit budgétaire et de la balance commerciale ainsi que le choix de la manière forte en politique étrangère pourraient se traduire le cas échéant par de graves secousses financières et monétaires à l’échelle mondiale.