Combattre la droite

Par S. Victor

Le fait est indéniable qu’il y a une montée de la droite au Québec, comme un peu partout dans le monde. L’effroyable gâchis du capitalisme globalisé a détruit les espoirs d’une grande partie de ces couches moyennes qui avaient vu le monde basculer du capitalisme sauvage vers quelque chose où on respectait un peu plus les droits des gens, et où ils pensaient qu’il avaient le droit de vivre, d’envoyer les enfants à l’école, d’avoir des moyens de défense (les syndicats) et de temps en temps même, l’idée d’une démocratie sociale qui ramènerait la paix au village.

À l’époque, les dominants avaient accepté, à rebrousse-poil, ce grand compromis, devant la montée en force des grandes coalitions sociales et politique qui ont pris diverses formes. Mais au tournant des années 1980, les gros décideurs ont changé leur fusil d’épaule : fini les compromis, place au pur royaume de l’argent, à bas les services publics, le « droit » d’exploiter, de mentir, de s’insérer dans le club des milliardaires. Pendant les 40 dernières années, c’est le discours qui a dominé, forçant à tant d’échecs, d’illusions, de confusion. Sous le label néolibéral, c’est l’austéritarisme. Pour le couvrir, il fallait bien des excuses. Comme il n’y avait plus de méchant ours soviétique, on a cherché ailleurs, parmi ces « barbares » qui veulent « nous détruire » : les immigrants voleurs de jobs, les musulmans couteaux dans les dents, réfugiés, paumés, barouettés, qui osent entrer dans notre « périmètre ». Toujours à l’avant-garde, les intellectuels-mercenaires des États-Unis, avec leurs émules bas de gamme dans le genre MBC, qui ont appelé cela le clash des civilisations. De cela se sont engagés des luttes sans fin pauvres contre pauvres au nom de la race, de l’identité, de la religion.

On en est là

Vous lecteurs et lectrices des NCS, de PTAG, du Devoir, vous ne soupçonnez peut-être pas le barrage médiatique qui soutient tout cela. Il y a évidemment la nébuleuse des médias sociaux et des radios poubelles qui restent dominantes, à moins que je me trompe, dans le centre du Québec.

Plus et plus encore, l’empire Quebecor, avec ses experts patentés, parfois subtils, parfois grossiers, qui s’insurgent chaque heure sinon chaque minute contre la femme voilée qui soigne nos vieux, sans dire un seul mot sur le démolissage en règle du système de santé et de protection sociale qui sévit depuis les années 1990.[1] François Legault et Mario Dumont, entre autres, sont des champions toutes catégories de ce grand, de ce très grand mensonge.

OK, ce n’est pas gai, cela va être tout un défi. Mais au moins il faut rester lucides. J’ai été assez surpris qu’un observateur aussi attentif que Jonathan Durant Folco affirme cette semaine sur sa page facebook que cette évolution inquiétante était surtout causée par des défaillances de la gauche.[2] Québec solidaire, affirme-il veut trop gagner les élections et ne va pas chercher la colère légitime des gens. Le cri du cœur du peuple mécontent est capté par la droite. Évidemment, il y a quelque chose de vrai dans cela, si on regarde effectivement comment les Trump de ce monde ont joué leur jeu.

Cependant, la critique de Jonathan me semble étriquée

D’abord, cette droite sans gêne a toujours existé au Québec et ailleurs. Elle était, la plupart du temps, manipulée par les puissants qui avaient besoin de leurs roquets de service pour gueuler contre les syndicats et les profs. Si on reste attentifs, on regarde en arrière il y a 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, il y a une continuité qu’on pourrait dire «logique et rationnelle».  Dans toute société, il y a un secteur réactionnaire infiniment violent, comme le démontre le vote à 40% pour un sbire de Pinochet il y a quelques semaines.

Dit autrement, la droite et l’ultra droite sont des phénomènes durables. De temps en temps dans des circonstances particulières (montées des crises), ça monte et ça descend. Est-ce que la gauche peut faire mieux pour contrer cela ? Bien sûr que oui. Mais sans s’illusionner.

Autre mauvaise bifurcation. Jonathan voudrait que la gauche soit moins craintive. Je partage cette idée, mais jusqu’où ? Est-ce qu’on peut penser une seule minute que QS va marquer des points parce qu’elle va brandir le drapeau de l’écosocialisme ? Allez camarade, soyons sérieux.

L’hypothèse d’une rupture systémique et d’une transition en profondeur apparaît maintenant dans le débat public, et c’est encourageant, surtout parmi les jeunes générations. Ne serait-il pas un plus réaliste de dire qu’on a encore devant nous quelques années voire décennies avant d’aider ces secteurs à construire un nouveau projet ?

Entretemps, qu’est-ce qu’on fait ? On avance à petit pas. On pose des jalons. On critique le bricolage capitaliste-vert. On promet des alternatives à notre portée, en tant qu’entité semi étatique aspirant à l’émancipation. Au total, c’est ce que je reçois de l’action de l’aile parlementaire de QS, que cela soit sur la transition ou encore sur d’autres thématiques complexes, la question autochtone par exemple. N’importe qui d’un peu sérieux va remarquer le changement de ton et de contenu du troisième parti politique au Québec sur cette question aussi fondamentale.

Mais attention, tout ne se limite pas à cela. Il y a une autre vie en dehors du terrain politique parlementaire. Et quelques fois, on a su comment y intervenir. Quand il y a eu le massacre de la Mosquée de Québec, il y a une forte mobilisation par en bas, notamment impulsée par des syndicalistes, dont un certain Sébastien Bouchard. Sébastien a eu le réflexe d’un cri du cœur organisé. Il n’a pas pensé qu’il fallait juste un texte, mais un travail méticuleux, discret, d’organisation, pour coaliser une grande partie de Québec et ainsi infliger le plus grande échec de l’extrême-droite raciste qui empoisonne cette ville.

Un autre exemple, Jonathan se plaint du fait que seule la droite canalise la colère des gens contre l’autoritarisme vaccinal. Je ne pense pas que cela soit juste. Dans les centres médicaux un peu partout, j’ai rencontré des tas de gens à tous les niveaux du vaste appareil qui se sont battus et qui continuent de se battre pour avoir, pour eux et elles-mêmes et aussi pour les usagers, des protections adéquates. Ils et elles sont excédées des mesures stop-and-go du gouvernement. Ces héros ont beaucoup d’appui dans le peuple qui n’ira pas dans la lutte brailler la « libarté » de refuser le vaccin.

Une juste réponse, s’inscrivant dans une démarche longue d’organisation, de mobilisation, d’éducation populaire, découle de ses pratiques qui sont tout autour de nous, peut-être moins visibles et successives que les enragés de l’anti vax. Selon ce que je comprends, il y a des syndicats qui sont au front sur ces luttes, notamment la FIT et la FAE.

Dernier exemple, les enjeux municipaux. Une certaine gauche socialiste a promu durant cet exercice une démarche critique, certes intéressante, mais glissante. Tout en étant à 100% d’accord pour les écovillages et les budgets participatifs, il me semblait prioritaire de vaincre des lubies réactionnaires de Coderre, notamment. Un retour en arrière à ce niveau aurait été catastrophique pour tout le monde. Était-ce alors trop demander que la gauche se mobilise contre cela ? C’est ce qui est arrivé finalement. La victoire contre les réac à Montréal et à Sherbrooke, par exemple, ouvre la voie, ne les ferme pas. On doit apprendre du fait que nos ancêtres, les socialistes du vingtième siècle, ont raté le bateau face à la grande vague réactionnaire qui a tout emporté pendant si longtemps, en se divisant, en s’acharnant les uns sur les autres, en ne coopérant pas.

OK je termine par le début. Vaincre la droite, c’est une lutte opiniâtre, acharnée, qui doit s’infiltrer partout. C’est aussi une approche prudente, un peu réservée : on peut mobiliser beaucoup et avancer sur des choses tangibles, où il y a des victoire possibles. La gauche ne doit pas se censurer, mais avoir la décence de ne pas brandir ses drapeaux comme si les masses attendaient le grand signal. Les petites victoires ne sont jamais si petites que cela, à condition qu’on scrute l’horizon à long terme.

Trouvons-nous 500 Sébastien Bouchard et nous irons loin!


 

  1. Les Libéraux et aujourd’hui leurs successeurs rétrécis de la CAQ argumentent contre le système de santé et d’éducation publique depuis toujours. Quand le PQ a passé l’arme à droite avec Lucien Bouchard et son « déficit zéro », il est entré dans le même cimetière.
  2. Jonathan Durand-Folco, Réflexions sur l’ascension d’Éric Duhaime, la stagnation de la gauche et la perte de rêves collectifs, page Facebook, 26 janvier 2022

 

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