Tremblement de terre, cyclone, choléra… Les Haïtiens semblent accablés par le mauvais sort. Doit-on parler de malédiction ?
Les problèmes de Haïti sont bien antérieurs au séisme. L’ampleur des pertes causées par le tremblement de terre et autres catastrophes, l’épidémie de choléra en tête, sont d’ailleurs le résultat d’une triple absence : celle de l’État, d’une politique sociale et d’un modèle économique en Haïti. Premier problème, l’hyperconcentration démographique autour de la capitale, Port-au-Prince. À partir du début du XXe siècle, sous l’influence des États-Unis qui occupaient Haïti à l’époque, le territoire a été réorganisé autour de la capitale. Conséquence : des familles entières ont été poussées à l’exode rural, sans que des activités économiques aient été développées en ville. Puis, en essayant de faire de Haïti un pays d’exportation, sorte de “nouvelle Taiwan des Caraïbes”, François Duvalier a surtout privilégié le développement d’un secteur industriel très pointu (textile, électronique, cuir), peu créateur d’emplois, au détriment de l’agriculture qui fait pourtant vivre l’essentiel de la population. Ce qui explique le taux d’inactivité très fort dans le pays et la grande pauvreté. Le troisième point, c’est l’État haïtien, répressif et sans aucune politique sociale, sourd aux revendications et constamment affaibli par la communauté internationale durant tout le XXe siècle. Les problèmes de logement en sont le reflet. À l’origine, Port-au-Prince a été construit pour loger 250 000 habitants, alors que plus de 3 millions de personnes y vivaient avant le séisme ! Entre 2008 et 2009, on y comptait près de 15 000 nouveaux arrivants par mois, et aucun programme de logements sociaux pour les accueillir ! Résultat : une densité de population inimaginable, des gens qui s’entassent, des constructions en hauteur… Dans certains quartiers de la ville, avant le séisme, les gens dormaient à tour de rôle tellement l’espace était rare
Quel rôle a joué la présence internationale depuis 2004 ?
L’arrivée de la force des Nations unies pour la stabilité en Haïti (Minustah) a aggravé le climat d’instabilité et d’insécurité. Le bilan est catastrophique. On a vu émerger toute une série de phénomènes de violence, notamment les kidnappings. Le commerce de la drogue s’est développé, et en même temps le trafic d’armes et d’enfants. Sans parler de la flambée des prix qui a suivi, avec l’impact sur le coût de la vie. Quant aux ONG, on en recensait déjà plus de 3 500 ou 4 000 avant le séisme – bien que seulement 400 soient officiellement déclarées. Mais le manque de coordination et de communication entre elles et le gouvernement explique les faibles résultats de leur action. C’est encore vrai aujourd’hui.
L’élection d’un nouveau gouvernement peut-elle modifier la donne ?
L’issue des élections est encore très incertaine et pose beaucoup de questions. Vu l’impopularité du candidat du gouvernement et les réactions qu’ont suscitées les fraudes massives enregistrées lors du premier tour du 28 novembre 2010, on peut s’attendre à une véritable insurrection si ce candidat reste imposé.
Comment la société haïtienne résiste-t-elle à ces crises successives ?
Nous sommes arrivés à saturation. Jusqu’à présent, la population a survécu grâce à la solidarité mais avec l’épidémie de choléra, les limites de la résistance ont été atteintes. Les liens sociaux se brisent. Les gens sont épuisés et réalisent que rien ne va changer. Le pire, c’est l’absence de perspectives. Nous sommes au pied du mur.
Comment sortir de cette impasse ?
Sans volonté politique, sans plan de concertation national, nous allons droit à la catastrophe ! Après le séisme, à aucun moment le peuple haïtien n’a été sollicité par le gouvernement pour participer à la reconstruction. Même la composante haïtienne de la Commission intérimaire de reconstruction en Haïti n’existe toujours pas. Pour moi, la priorité reste la concertation citoyenne. Il y a tellement d’organisations en Haïti qui font un travail courageux et intéressant au niveau local, et qui ne parviennent pas à faire le saut vers quelque chose de plus global. Aujourd’hui, il faut investir dans les réseaux de solidarité, mais aussi dans des réseaux de production intersectoriels (agriculture et industrie), qui sont créateurs d’emplois.