C’est un véritable cri d’alarme que lancent les chercheurs Éric Martin et Maxime Ouellet dans ce court document (une centaine de pages) à tendance pamphlétaire et hautement documenté, publié récemment chez Lux dans la collection Lettres libres. Non seulement s’agit-il d’alarmer les citoyens québécois sur la question de l’endettement des étudiants, mais les auteurs prévoient également que la future bulle spéculative érigée sur cet endettement risque d’être comparable à celle de l’immobilier qui a secoué les secteurs banquiers et financiers ces dernières années.
Le document est organisé en 8 courts chapitres servant à déboulonner 8 mythes largement colportés et servant de base au discours sur la nécessité d’augmenter les frais de scolarité[1]pour sauver les universités québécoises. Il s’agit donc de 8 arguments fallacieux, reposant sur des chiffres tronqués et servant à convaincre la population québécoise sur l’urgence d’emboîter le pas et de suivre le modèle anglo-saxon, au prix de surendetter les étudiants : « Selon le New York Times, certains diplômés en droit ont des dettes de plus de 250 000 $ et font face aux pires perspectives d’emploi depuis des décennies » (p. 40)[2]. Enfin, la dernière section de l’ouvrage offre une tribune à 4 personnalités publiques qui se prononcent contre la hausse des frais de scolarité (Guy Rocher, Lise Payette, Omar Aktouf et Victor-Lévy Beaulieu).
On y démontre particulièrement que le sous-financement des universités est en fait un spectre nuageux derrière lequel se cache le désir commun de l’État, des recteurs et de l’industrie de profiter des recettes d’une économie du savoir. L’arrimage des domaines économiques à ceux du savoir vise à « structurer un espace universitaire générateur de profits. » Un espace appartenant à l’élite industrielle et politique, favorisant la recherche au détriment de l’enseignement : « Il existe bel et bien une Hamburger UniversityMcDonald’s en Illinois, mais qui pourrait sérieusement prétendre que cet établissement destiné à la formation des gérants de la chaîne a quelque chose à voir avec la Sorbonne? On demande pourtant à l’université de s’en inspirer pour répondre immédiatement aux impératifs terre-à-terre de telle ou telle compagnie et de cesser d’être une tour d’ivoire. » (p. 19) Cette tour d’ivoire désignant, bien entendu, toute cette connaissance qui « ne sert à rien » aux yeux de l’industrie. Cette connaissance qui permet à l’humain d’être un peu plus humaniste, d’apprendre à vivre en société et pour la société, au risque d’être un peu moins rentable. Il s’agit de connaissances liées aux valeurs éthiques, historiques et culturelles, permettant de comprendre le monde selon des perspectives diverses et de transmettre un patrimoine commun. L’espace scolaire doit conserver sa mission d’enseignement et permettre le transfert du patrimoine collectif. Il va sans dire que cette mission ne fait pas partie du curriculum de l’Université inc., gérée telle une entreprise pour laquelle on calcule le rendement…
En somme, le texte de Martin et Ouellet est une invitation à réaffirmer la nécessaire solidarité entre les classes sociales, à protéger le système de redistribution des richesses par l’impôt progressif, car c’est ainsi que l’État (celui des citoyens!) confirme ses valeurs d’inclusion, d’ouverture et d’équité.
Les 8 mythes :
Mythe 1 : Il faut augmenter les frais de scolarité parce que les universités sont sous-financées.
Mythe 2 : La hausse des droits de scolarité ne réduit pas l’accès à l’université.
Mythe 3 : La hausse des frais de scolarité sera compensée par une augmentation de l’aide financière aux études et indexera ces frais à la valeur qu’ils avaient en 1968.
Mythe 4 : La modulation des frais de scolarité par discipline est plus équitable.
Mythe 5 : Il est juste d’augmenter les frais de scolarité parce qu’en investissant davantage dans leur « capital humain », les étudiants vont obtenir un meilleur salaire une fois sur le marché du travail.
Mythe 6 : Le bas prix des études universitaires diminue la valeur des diplômes.
Mythe 7 : Les dons privés ne menacent pas l’indépendance de l’université.
Mythe 8 : La commercialisation de la recherche universitaire va servir à financer le système universitaire.
[1] L’expression « frais de scolarité » plutôt que « droit de scolarité » a été majoritairement retenue par les auteurs de l’ouvrage. C’est pourquoi elle est employée dans ce compte rendu.
[2] Citant : David Segal, « Is Law School a Losing Game? », nytimes.com, 8 janvier 2011, www.nytimes.com/2011/01/09/business/09law.html?_r=1
La générale Web, 7 février 2012