AccueilNuméros des NCSNo. 18 - Automne 2017The New Confessions of an Economic Hit Man

The New Confessions of an Economic Hit Man

John Perkins,

The New Confessions of an Economic Hit Man, 2e edition,

Oakland (Calif.), Berrett-Koehler Publishers, 2016[1]

 

The New Confessions of an Economic Hit Man est la réédition revue et augmentée d’un livre à succès publié en 2004. Mea-culpa d’un homme torturé par ses mensonges, il raconte l’histoire d’une profession secrète, celle d’assassin économique (economic hit man), essentielle à la domination des États-Unis sur l’« empire global ». Cet empire, John Perkins le décrit comme une « corporatocratie » sans lieu de complot central, une norme intégrée par les chefs d’entreprises multinationales étasuniennes qui, avec le concours de l’appareil sécuritaire, autoriseraient toutes les ruses pour soutenir l’enrichissement des élites étasuniennes aux dépens du reste de la planète.

L’assassin économique est un personnage clef de cet empire. Employé par une compagnie privée, il produit des prédictions de croissance exagérées afin de convaincre les gouvernements de pays en voie de développement qu’ils auront les reins assez solides pour rembourser les prêts internationaux contractés afin de payer les services offerts par la compagnie. Ces services, souvent des infrastructures majeures, sont censés soutenir cette croissance.

Pour obtenir un tel emploi, John Perkins a d’abord fait un entretien d’embauche à la National Security Agency (NSA) à la fin des années 1960, une information que ne dément pas le gouvernement américain[2]. Il a cependant renoncé à cet emploi pour faire un séjour en Amazonie équatorienne encadré par le Peace Corps. De retour aux États-Unis quelques années plus tard, il a été engagé par la Chas. T. Main, une compagnie de génie-conseil œuvrant dans les infrastructures majeures, dont il a gravi les échelons.

L’histoire n’a jusque-là rien d’incroyable. Elle devient cependant digne d’un roman d’espionnage lorsque Perkins raconte qu’il aurait reçu la formation pour cet emploi d’une mystérieuse agente secrète qui se serait ensuite volatilisée sans laisser ni trace ni preuve de leurs rencontres. C’est elle qui fait le lien entre la NSA et l’emploi dans la firme privée qu’il n’aurait obtenu que parce qu’il avait été évalué par les services secrets. Elle lui aurait expliqué que l’assassin financier, outre la persuasion par des statistiques manipulées, utilise les menaces et la corruption. Les projections économiques gonflées servent à justifier des prêts tout aussi enflés octroyés par des institutions financières internationales. Puisque ces prêts servent à construire des infrastructures d’envergure, les véritables bénéficiaires sont des entreprises étasuniennes, seules à détenir l’expertise nécessaire. L’argent ne fait ainsi que circuler entre des banques sises aux États-Unis. Plus encore, les prêts auraient été sciemment planifiés pour devenir impayables afin de se transformer en leviers par lesquels les États-Unis, qui contrôlent les institutions créditrices, obtiennent des avantages géostratégiques tels que des bases militaires, des votes à l’ONU, des ressources à prix préférentiels, ou autres.

C’est donc sur ce modèle que Perkins raconte ses aventures aux quatre coins du globe, notamment en Indonésie, au Panama, en Iran, en Colombie et en Arabie saoudite, autant de pays où il aurait prédit des miracles, distribué des pots-de-vin et proféré des menaces afin de piéger les dirigeants locaux. Lorsqu’il échouait à les convaincre, ces dirigeants étaient alors soumis aux attaques des chacals, de vrais agents secrets américains, ou plutôt, des assassins tout court. Perkins soutient que ce sont eux qui ont fait s’écraser en 1981 les avions des présidents Omar Torrijos du Panama et Jaime Roldós de l’Équateur. En cas d’échec des chacals, ce sont les militaires qui assurent l’arrière-garde, tel qu’ils le firent au Panama contre Manuel Noriega en 1989, et en Irak contre Saddam Hussein en 1991.

L’assassin financier a ceci de particulier qu’il travaille pour une entreprise privée contractée par l’État victime. Cette stratégie de privatisation de l’espionnage aurait été ingéniée à la suite de l’intervention de la CIA en Iran qui a renversé Mossadegh en 1953. En contexte de guerre froide, la capture des agents risquait de déclencher l’ire internationale. Le fait de procéder par entreprises privées interposées offre une protection supplémentaire au gouvernement américain.

Devenant inconfortable dans ce rôle, Perkins a quitté la profession au début des années 1980. Il aurait tenté à quelques reprises de publier son histoire, mais en aurait été dissuadé pendant une vingtaine d’années par de la corruption (chap. 29) et des menaces plus ou moins voilées, soupçonnant même, dans la nouvelle édition, qu’on ait cherché à l’empoisonner pour l’empêcher de présenter son livre à l’ONU (chap. 34).

Cette nouvelle édition est enrichie d’une quinzaine de nouveaux chapitres qui cherchent à actualiser l’analyse de la corporatocratie. Bien que le récit d’origine puisse servir à éveiller les consciences, la nouvelle édition révèle les faiblesses de sa critique de l’impérialisme davantage qu’elle ne les comble. Cette autobiographie n’est pas un ouvrage de sciences sociales, et si cela lui permet sans doute d’être plus accessible, la dimension critique y est perdante.

La première édition avait soulevé des doutes quant à sa véracité. Une journaliste de Boston raconte comment ses efforts pour retracer les sources de l’ouvrage ont en grande partie échoué, et les quelques témoins accessibles remettent en question certains faits importants rapportés par Perkins[3]. Or l’histoire de « l’ex-assassin financier » devrait attirer notre attention sur autre chose. Doute-t-on vraiment que les États-Unis et leurs entreprises aient utilisé des procédés illégitimes allant du mensonge à la menace, la corruption, la torture et la guerre pour asseoir leur pouvoir mondial ? Le problème est plutôt de saisir pourquoi ces pratiques sont si solubles dans le capitalisme et la démocratie libérale. Alors que Perkins dénonce les manœuvres secrètes qui ternissent le capitalisme en jumelant les profits indus d’entreprises étasuniennes avec l’intérêt géostratégique de leur État, ne faudrait-il pas plutôt constater à quels points ils sont complémentaires ?

En prenant du galon au sein de la Chas. T. Main, Perkins a recruté de jeunes économistes qui ont exécuté les mêmes tâches que lui, allant des prédictions économiques abusives jusqu’aux menaces et à la corruption pour justifier des projets démesurés (p. 147). Il note avec surprise que ses jeunes acolytes n’ont pas eu besoin d’une formation secrète par une aguichante agente de la NSA : ils comprennent très bien par les règles de fonctionnement de la compagnie ce qui est attendu d’eux et elles. Ils reproduisent « l’empire global » avec enthousiasme sans avoir besoin qu’on ne le leur demande explicitement.

Mais son désarroi ne s’arrête pas là. Dans cette nouvelle édition, il regrette que les pratiques des assassins financiers, autrefois réservées aux républiques de bananes, aient maintenant pénétré les États-Unis (chap. 43). Les assassins financiers contemporains font pression sur les autorités publiques des villes et des États des États-Unis pour obtenir des avantages fiscaux en échange de leur installation dans la région. Le virus amoral répandu à l’étranger par l’assassin financier des années 1970 serait devenu la norme au cœur même de l’empire.

Pour s’en guérir, les nouveaux chapitres nous invitent à provoquer une révolution des mœurs de la corporatocratie, à « changer le rêve des corporations » (p. 289-291) et de ceux et celles qui les dirigent. Par des pressions populaires organisées (le « marché est une démocratie après tout », p. 292), il nous invite à substituer l’« amour » aux parts de marché et aux profits dans la tête des dirigeants d’entreprises pour produire la nécessaire révolution, tout comme un bouillon de poulet mijoté avec tendresse remet d’une vilaine grippe. Faut-il rappeler que guérir une maladie n’équivaut en rien à son éradication ?

Ce livre constitue une lecture agréable et suffisamment documentée pour rappeler quelques méfaits par lesquels s’est construit le pouvoir international des États-Unis. Il ne constitue cependant pas une analyse critique de l’appareil d’État des États-Unis ni de son rôle essentiel au maintien des structures du capitalisme mondial. Il est plutôt l’expression du constat que les forces dominantes du capitalisme contemporain ne se limitent pas à la « saine compétition économique » pour croitre. Il est aussi une profession de foi suggérant que s’il était moral, le capitalisme mènerait à une croissance harmonieuse. Une telle conclusion n’est pas surprenante de la part d’un auteur qui se spécialise également dans la psychologie populaire en publiant des recettes pour la croissance personnelle[4].

 

Notes

[1] Traduction française disponible sous le titre de Confessions d’un assassin économique, Montréal, Ariane, 2016.

[2] Un communiqué du Département d’État des États-Unis nie que Perkins ait été formé par la NSA, mais ne nie pas qu’il ait passé une entrevue pour l’organisation. US Department of State, Confessions—or Fantasies—of an Economic Hit Man?, 2 février 2006, <http://iipdigital.usembassy.gov/st/english/article/2006/02/20060202155604atlahtnevel6.165713e-02.html>.

[3] Maureen Tkacik, « Economic hit man », Boston Magazine, juillet 2005, <www.bostonmagazine.com/2006/05/economic-hit-man/>.

[4]John Perkins, Shapeshifting. Shamanic Techniques for Global and Personal Transformation, Rochester (É.-U.), Destiny Books, 1997; John Perkins, The Stress Free Habit. Powerful Techniques for Health and Longevity from the Andes, Yucatan, and the Far East, Rochester (É.-U.), Healing Arts Books, 1989.

 


 

 

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