Accueil- Actualités et conjoncturesQuelques constats sur la crise en Grèce

Quelques constats sur la crise en Grèce

 

Comme beaucoup de militants et militantes de la gauche anti-austérité partout dans le monde, nous avons suivi, d’heure en heure, la crise grecque depuis quelques semaines. Comme tout le monde, nous ne sommes pas heureux du dénouement. Qu’une telle mise en tutelle sur le peuple grec soit mise en place par la commission européenne est une nouvelle triste. Cependant, nous voyons bien que la situation n’est pas figée et que la lutte va se poursuivre sur le plan idéologique, économique et politique. L’histoire ne se termine jamais, encore moins celle de la lutte des classes.

Nous voulons profiter de ce moment pour tirer quelques constats de cette période qui va certes passer à l’histoire de la gauche dans le monde. Nous voulons tirer des leçons pour poursuivre la lutte contre l’austérité, une lutte qui est devenue, par la force de choses, l’enjeu principal qui lie les différentes organisations de la nouvelle gauche radicale que ce soit en Allemagne, en Espagne, en Écosse au Portugal et aussi ici au Québec.

Certains diront que la stratégie électorale empruntée par Syriza était une mauvaise voie comme le démontre l’accord immonde que le gouvernement grec a été obligé d’adopter. Nous entendons gronder les voix des Badiou ou de plusieurs anarchistes qui répètent les variations modernes du slogan « Élections, Pièges à con ». Nous croyons, au contraire, que la voie électorale était nécessaire pour un parti multitendance de gauche radicale comme Syriza. Sans cette voie, le parti serait resté dans l’ombre et le gouvernement grec n’aurait pas réussi à faire trembler les banques centrales et les gouvernements européens aussi longtemps. Et ces gouvernements vont avoir peur encore longtemps, car la lutte, nous l’avons dit n’est pas terminée. Nous reprenons ici la mise en garde de Poulantzas dans son dernier livre qui lui-même reprenait les propos de Rosa Luxembourg. Cette mise en garde est la suivante : la démocratie directe ne peut se passer de la démocratie parlementaire et l’inverse. Dans ce sens, l’opposition interne qu’a constitué la Plateforme de Gauche au sein de Syriza s’est avérée cruciale et son alliance stratégique possible avec Antarsya, ou d’autres courants radicaux et révolutionnaires, des plus importantes pour l’avenir de la lutte de classes en Grèce. Car elle sort ces secteurs de gauche militante de la démocratie parlementaire pour les faire sauter de plain-pied dans la démocratie directe et faire le travail politique qui s’impose en Grèce et partout dans le monde : se battre contre l’austérité et forger une stratégie de rupture avec le capitalisme.

 

 

Cette recomposition, avec son lot inévitable de scissions/regroupements, qui peut apparaitre néfaste pour la gauche ne l’est pas, car elle régénère la démocratie en général et elle permet de réactiver la lutte. Imaginons un instant la situation s’il y avait eu unanimité chez les députés de Syriza au parlement grec. Le parti au grand complet, se serait coupé des mouvements sociaux et aurait pu commencer à se gangrener d’une manière assez rapide. Une vraie gauche militante ne doit pas être fonctionnaliste et chercher par tous les moyens nécessaires à éviter les débats pour maintenir les liens organisationnels. La gauche doit être conflictuelle dans la mesure où elle doit mettre de l’avant le choc des idées sans concession et au risque d’ébranler parfois les organisations politiques qui représentent cette gauche. La Plateforme de Gauche est un exemple courageux de cette volonté de poursuivre la lutte par des moyens extra-parlementaires en symbiose avec les mouvements sociaux. En dernière instance, c’est la rue qui l’emporte sur les urnes, car c’est là que réside le réel potentiel de dépasser le système.

Faut-il cependant accuser d’une manière lapidaire l’autre courant de Syriza représenté par Tsipras et ses collègues? Nous devons le critiquer parce qu’il a trop fait confiance à une tendance centriste pro-européenne qui cherchait plus un accord qu’une véritable amélioration des conditions de vie de la population grecque. Il a commis une erreur fatale en refusant de se donner un plan B et a littéralement gaspillé la victoire éclatante du « non » au referendum. Mais nous ne pouvons rejeter entièrement ce courant et le travail qu’il a accompli pendant ces derniers cinq mois au pouvoir y compris durant la campagne référendaire. Nous croyons qu’une partie de la gauche internationale est trop portée sur l’anathème. Ce n’est pas nouveau surtout lorsque la gauche est portée au pouvoir. Lula, Chavez et aujourd’hui Morales se sont tous fait tirer à boulets rouges, et avec raison très souvent. Cependant, les critiques mêmes les plus acerbes contre des leaders, des gouvernements ou des partis n’éjectent pas automatiquement les destinataires de ces critiques du camp large de la gauche dans lequel nous militons. Nous sommes pour une solidarité internationaliste active, mais elle se doit d’être aussi critique. Au final, c’est la pratique politique qui décidera qui est ou non dans le camp de la gauche authentiquement anti-néolibérale.

Plus que tout, nous devons nous solidariser avec le peuple grec qui n’aura pas d’autre choix que de se battre contre le nouveau mémorandum. Il s’agit de l’enjeu principal. Nous devons nous solidariser avec les populations de l’Europe qui sont aux prises avec des mesures scandaleuses d’austérité. Ces luttes, nous devons l’espérer aussi, pourraient porter d’autres partis politiques de gauche militante au pouvoir ou dans l’opposition quasi officielle.

Mais la meilleure manière de se solidariser, c’est de mener la lutte qui s’impose au Québec contre les gouvernements néo-libéraux à Québec et à Ottawa. Par ailleurs, nous avons les mêmes enjeux qu’en Europe : comment combiner la voie électorale et les mobilisations de masse, comment établir le lien stratégique entre les organisations politiques et les mouvements sociaux, comment développer une stratégie de rupture appuyée par les classes populaires. Par ailleurs, la question de la souveraineté populaire est un déterminant très important de nos décisions politiques comme nous venons de le voir avec le gouvernement grec et son rapport avec l’Europe. Et, la gauche québécoise connait très bien cette réalité!

2015/07/17

René Charest

Roger Rashi

 

 

Articles récents de la revue

Le Chili, après deux refus des propositions constitutionnelles

Depuis 2019, le Chili vit un rythme d’intensité politique inédit depuis la fin de la dictature d’Augusto Pinochet en 1990. À l’automne 2019, un mouvement...