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Pourquoi l’État canadien va continuer en Afghanistan

La décision récente de Stephen Harper de maintenir une présence militaire en Afghanistan aura surpris ceux et celles qui ne veulent pas comprendre, car malheureusement, cette option était déjà et depuis longtemps «inscrite dans le béton». Car cette décision est «logique» et «rationnelle» du point de vue de l’État et des dominants au Canada. Elle fait pratiquement consensus au sein des diverses factions de ces dominants et des formations politiques, notamment le Parti libéral du Canada (PLC), qui aurait fait exactement ce que Harper a fait en Afghanistan depuis 2006, à quelques nuances près.

À l’origine de la guerre «sans fin»

En 2001 au moment de l’invasion de l’Afghanistan, les États-Unis sont déjà impliqués dans cette région du monde depuis plus d’une dizaine d’années. En effet après l’implosion de l’URSS, sans compétiteur de grande échelle donc, Washington entreprend une vaste réorganisation de sa stratégie militaire. La première étape est l’attaque contre l’Irak en 1991 et l’installation de bases militaires permanentes dans la région du Moyen-Orient et du Golfe. Par la suite, les forces états-uniennes se déploient en Afrique et en Asie, notamment en Asie centrale dans les anciennes républiques soviétiques. Parallèlement, l’OTAN qui opère sous commandement américain envahit et disloque la Yougoslavie. Cet immense effort de guerre sous les Présidents Bush et Clinton représente une tentative d’imposer au monde une «pax americana», appuyée par plus de 600 000 militaires américains déployés dans le monde et un budget dépassant (et de loin) tous les autres budgets de toutes les autres puissances de ce monde. Dans le langage du Pentagone, les États-Unis veulent s’assurer d’une domination militaire sans partage, aussi bien au niveau opérationnel sur le terrain que via les armes de destruction massive (c’est ce qui est appelé le «full spectrum dominance»). Les rivaux des États-Unis sont mis devant le fait et impuissants. Mais au tournant de la décennie, de sérieux obstacles s’érigént contre cette «réingénierie» du monde. Un certain nombre de pays dits émergents, en particulier la Chine, manifestent leur réticence devant cette dérive militaire. L’Union européenne, enchaînée par les ornières traditionnelles pro-USA, se retrouve en porte-à-faux des États-Unis sur divers dossiers, par exemple la Palestine. Enfin des résistances populaires inédites se dressent sur le chemin de la nouvelle reconquête espérée à Washington.

Le 11 septembre : une «opportunité»

Surviennent alors les évènements que l’on connaît. Dissipons tout de suite une illusion : ces attaques contre New York et Washington ne sont pas une «conspiration» pensée dans le sous-sol du Pentagone ! Ils représentent un processus complexe et contradictoire qui découle de la militarisation et des agressions contre de nombreux peuples au Moyen-Orient et ailleurs, également de l’incapacité des États-Unis, malgré le «full spectrum dominance», de tout contrôler face à un ennemi relativement insaissiable. Mais le plus important se passe le 12 septembre, lorsque le Président Bush déclare la «guerre sans fin» ainsi que le droit et la capacité des États-Unis d’intervenir partout et tout de suite, sans aucune restriction ni cadre imposé par l’ONU. Il le dit lui-même sans gène, l’action d’Al-Qaïda est une «opportunité» qui doit être saisie. De plus, Bush, pour justifier tout cela, donne une nouvelle coloration à cette guerre sans fin qui devient une «guerre de civilisation», une opération demandée par Dieu pour combattre l’«axe du mal». Ce néoconservatisme met les États alliés mal à l’aise, mais au bout de la ligne, ils acceptent, en rechignant parfois, l’invasion de l’Afghanistan qui conduit à l’occupation que l’on connaît depuis.

Les véritables enjeux

Mais rapidement, on se rend compte que l’agenda principal n’est pas celui-là, mais plutôt l’invasion de l’Irak dont le gouvernement répressif de Saddam Hussein, l’ancien allié des États-Unis, n’a rien à faire avec le 11 septembre. Encore là, Washington affirme son droit de réaliser des attaques «préventives», de tuer, kidnapper et détenir sans procès et en dehors de toutes les conventions internationales. L’opinion mondiale est stupéfaite et se mobilise, forçant certains gouvernements (dont celui du Canada) à se distancier de l’agression, tout en maintenant les dispositifs qui font en sorte, via l’OTAN notamment, que les pays dits occidentaux restent subordonnés aux États-Unis.

De la guerre au chaos

Après avoir facilement renversé Saddam en 2003, Bush entreprend de «restructurer» l’Irak en une sorte de Disneyland capitaliste. Mais le rêve devient cauchemar. Les Irakiens se soulèvent et l’armée états-unienne, pourtant si puissante, est incapable de soutenir le choc. Washington tente alors, dès 2005-06, de détourner l’attention de l’échec en préparant de nouvelles agressions, contre l’Iran, contre le Liban, et, via les alliés stratégiques israéliens, contre les Palestiniens. Quelque part au tournant de 2007, on vient à deux cheveux d’attaques nucléaires contre l’Iran, mais elles sont bloquées par les généraux états-uniens qui estiment que cela serait une fuite en avant aussi funeste qu’inutile. Entre-temps, les États-Unis qui dépensent dans l’aventure des milliers de milliards de dollars s’enfoncent dans une crise profonde. En 2008, celle-ci culmine avec le changement de garde à Washington.

Faire la même chose avec d’autres mots

Le nouveau président Obama promet de mettre fin à la guerre contre l’Irak : en réalité, il propose de réorganiser cette guerre. Les soldats états-uniens sont redéployés en dehors des grands centres urbains, pendant que les forces mercenaires (irakiennes et autres) sont renforcées pour perpétuer l’occupation. Du côté des autres «fronts» (Liban, Syrie, Iran, Palestine), Obama propose une «pause», sans changer rien de fondamental dans la stratégie poursuivie, qui est de sécuriser l’ensemble de la région sous commandement états-unien, y compris au niveau militaire. Entre-temps, il promet de relancer la «bonne guerre», celle en Afghanistan qui a au moins le mérite, à ses yeux, d’être «légitime», puisqu’il s’agit de tuer et de capturer les «terroristes». De nouvelles troupes sont amenées sur le terrain et on presse la main des «alliés» (lire les subalternes) de l’OTAN pour qu’ils contribuent à l’effort de guerre. Trop peu ou trop tard, cette stratégie états-unienne arrive à une impasse, qui est celle d’aujourd’hui. Rien n’indique en effet que les «terroristes», qui sont en grande partie des nationalistes afghans, seront «éradiqués».

Gestion de crise

On se retrouve finalement avec une «gestion de crise» qui permet d’éviter le pire, comme l’arrivée à Kaboul des Talibans. Ceci cependant, du point de vue des États-Unis, a au moins un avantage, soit de maintenir en place un immense dispositif militaire, juché au cœur du Moyen-Orient et de l’Asie centrale. Probablement, on espère à Washington que cette stratégie d’usure affaiblira peu à peu les opposants, et notamment l’Iran qui continue cependant d’être un sérieux empêcheur de tourner en rond. En même temps, les États-Unis envoient un sérieux message à la Chine et à la Russie, qu’ils sont encore et pour longtemps les «king-pin» de cette stratégique Eurasie, à cheval entre les riches ressources énergétiques de la région et les immenses flux économiques qui peu à peu lient les pays «émergents» en dehors de l’influence états-unienne.

Montrer ses dents

Voici ce qui est donc le contexte dans lequel un État secondaire, traditionnel subordonné des États-Unis, tente d’agir. D’emblée, c’est assez mauvais, car traditionnellement, le Canada, l’«honnête courtier» comme on le désigne par dérision, ne peut plus, comme avant, jouer le «gentil intermédiaire» à la manière onusienne. C’est ce qui donne des maux de tête à Jean Chrétien, avant la spectaculaire élection en 2006 d’un homme qui n’a pas d’état d’âme et qui déclare avec fracas qu’il aurait amené le Canada dans l’invasion de l’Irak en 2003. Dans cette logique, Harper veut se «racheter». Avec son compère Bush et plus tard avec Obama, il propose rien de moins que de remilitariser le Canada, de faire du Canada un «partenaire» direct (et non indirect) de la guerre sans fin. Non seulement les troupes sont déployées sur la ligne de front en Afghanistan, mais on dépense des milliards pour remilitariser le pays. Tout cela est bien sûr accompagné des mêmes politiques adoptées aux États-Unis pour contrôler, détenir, torturer (via des relais complaisants) et tuer. Comme le pitbull qui accompagne son maître, le Canada de Harper se voit réjoui de pouvoir montrer ses dents.

Un «consensus» sordide

Mais le problème n’est pas seulement le pitbull. Les dominants canadiens ont décidé, depuis longtemps, de rester le larbin des États-Unis. Un larbin, on s’entend, qui se présente de manière «respectable», avec un vernis d’autonomie au moins. Cette logique est à l’œuvre depuis 60 en fait et avec des soubresauts ici et là, conduit cet État à être un supplétif généralement utile. Face à la guerre sans fin et la «réingénierie» du Moyen-Orient, le Canada ne peut que se ranger derrière le maître, avec parfois quelques petites chicaneries. La domination du monde par les États-Unis, dont l’une des pièces est le contrôle de l’Eurasie, fait leur affaire, du moins le pensent-ils, quitte à transformer encore plus le pays en une vaste réserve de ressources naturelles qu’on peut exploiter à volonté pour maintenir à flot un Empire déclinant. Il n’est donc pas surprenant, ni de la part d’Harper, ni de la part d’Ignatieff, qu’il faille aider l’Empire en Afghanistan. Il est «rationnel» de soutenir les États-Unis dans leurs préparatifs de guerre contre l’Iran, tout en se rangeant (comme toujours) aux côtés des militaristes israéliens qui espèrent bientôt relancer les attaques contre les Palestiniens et le Liban. Au-delà de ses terribles échecs et de l’impasse politico-économique dans laquelle il s’est mis, l’Empire états-unien doit être soutenu, affirment les dominants, toutes tendances confondues. Ce «consensus» signifie qu’il faudra lutter fort et longtemps, pour renverser le cours, car cette politique n’est pas seulement celle d’un néoconservateur «extrémiste», mais d’une constellation puissante de dominants.

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