Contre Harper, tel est le titre d’un bref traité philosophique contre la révolution conservatrice au Canada. Le livre de Christian Nadeau a l’avantage de présenter une bonne synthèse des mauvais coups du gouvernement de Stephen Harper depuis que son parti a été porté au pouvoir.
D’emblée, dans son introduction, l’auteur campe le point de vue à partir duquel il fera sa critique : “Que voulons-nous protéger au juste ? La plupart d’entre nous sont profondément attachés aux principes de base de la tradition libérale : la liberté de parole et de mouvement, l’égalité devant la loi, l’équité des rapports sociaux, la transparence de l’État et l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’égard du pouvoir politique.” (Page 13)
La spécificité du conservatisme d’Harper se base, écrit Christian Nadeau, sur son évaluation que la droite a déjà écrasé le point de vue de gauche sur le terrain économique et qu’il faut favoriser maintenant assurer la victoire du conservatisme dans le domaine des moeurs, de la morale et des traditions religieuses. Il faut en finir maintenant avec la vision d’une société juste.
L’auteur passe en revue les gestes qui concrétisent les objectifs du gouvernement conservateur
La prorogation du parlement est un mécanisme qu’Harper utilise à deux reprises. Pour défendre son gouvernement face à la menace d’une motion de censure des partis d’opposition constitués en coalition à l’automne 2008. Malheureusement notre auteur, ne démonte pas ce mécanisme anti-démocratique de l’État canadien qui permet à un premier ministre en s’appuyant sur le pouvoir symbolique des institutions royales de proroger le parlement. La souveraineté de l’État canadien ne repose pas sur la souveraineté populaire, mais sur ces institutions. De décembre 2009 à mars 2010, le gouvernement Harper proroge une nouvelle fois la session parlementaire pour ne pas s’expliquer sur l’affaire des prisonniers afghans au moment des Jeux olympiques. Christian Nadeau nous rappelle que “L’usage abusif de mécanismes comme celui de la prorogation montre quel point nous ne sommes pas protégés contre les formes d’autoritarisme et d’abus de pouvoir.” (Page 52) Mais c’est bien l’existence de ces mécanismes qui constituent un rejet des droits démocratiques les plus élémentaires qui devraient être remis en question. La prorogation est un mécanisme parmi d’autres des possibilités d’imposition des formes autoritaires de pouvoir. Au Québec, nous avons fait l’expérience de “mesures de guerre” qui est un autre mécanismes anti-démocratique à la disposition de la classe dominante quand il s’agit de défendre leurs intérêts. La présentation du Sénat comme un contre-pouvoir permettant d’éviter des choix précipités est un autre exemple des limites du point de vue libéral dans la nécessaire critique des institutions politiques de l’État canadien.
La suite du livre est plus intéressante car elle nous permet de mieux saisir le caractère systématique de la nature régressive des politiques conservatrices :
– contrôle de plus en plus étroit de l’information politique
– rapetissement du droit à l’information par le contrôle des commissions parlementaires et le refus discrétionnaire du Premier ministre de permettre le témoignage de certains responsables gouvernementaux
– multiplication des cas de censure
– formatage par le Bureau du premier ministre des informations pouvant être délivrées au mass medias
– Obsession sécuritaire de plus en plus omniprésente
-volonté de maintenir la loi anti-terroriste qui sera abrogée sur aux pressions exerces sur les organismes exercées sur les organismes de défenses des droits -maintien des certificats de sécurité qui paralysent les processus ordinaires de la justice et qui lèvent le principe canonique des pratiques juridiques, celui de l’habeas corpus
– déchainement de la répression policière comme lors des sommets du G8 et du G20 à Toronto – mises en place de nouvelles mesures punitives centrées sur la sévérité des peines et rejet des mesures de réinsertion sociale des contrevenant et la prévention
– Soutien étatique aux valeurs traditionnelles
-loi pour remettre en questions le droit à l’avortement comme la loi c-485 ou la loi c538 (défense du droit de conscience des professionnels de la santé refusant de poser des actions à l’encontre de leur religion, ou le projet loi C-338 dont l’objectif était l’interdiction de l’avortement après 20 semaines de grossesse. Ils n’ont pu imposer ces projets de loi mais ils martelés leurs idées sans jamais entrer franchement dans une discussion publique sur la question. Et mentionnons le refus d’inclure l’avortement dans les discussion sur la santé maternelle dans les pays en voie de développement -mépris affiché pour la reconnaissance des droits des gaies et lesbiennes
Mépris flagrant des conservateurs à l’égard des arts et des lettres quand ils ne représentent pas les bonnes moeurs et les bonnes valeurs.
– Rejet de toute perspective de contribution gouvernementale à la justice sociale
-Rejet des politiques d’équité salariale. La loi C-10 (2009) qui retire aux femmes le droit de déposer des plaintes en matière d’équité salariale -Refus d’une augmentation de prestations d’assurance chômage restrictions budgétaires frappant les groupes de femmes
– Économie en faveurs de grandes entreprises pétrolière et au complexe militaro-industriel
-augmentation de 50% des budgets de l’armée entre 2000 et 2009
-achat de 65 avions de combat F35 au coût de 16 milliards – coût d’entretien compris
– Refus de tout politique environnementale conséquente
-rejet du protocole de Kyoto et abaissement radical de toute les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre -rejet de demande de moratoire de forage à Terre-neuve projet d’exploration pétrolière de l’Arctique
– Une politique d’accompagnement des politiques américaines
-guerre en Afghanistan et report d’une année à l’autre du retrait des troupes canadiennes. Investissements important dans cette guerre. Ottawa évaluait le coût total de la mission en 2009 à 18,3 milliards de dollars.
-Inscription de la politique militaire canadienne dans une politique d’accès aux ressources énergétiques partout sur la planète.
Pour l’auteur, le danger du conservatisme de Harper, c’est qu’il cherche à remodeler les institutions du Canada pour faire de l’État lui-même un organe du conservatisme. Que ce soit le mépris affiché des institutions parlementaires, la montée des politiques sécuritaires, les limites imposées à la liberté de conscience, les reculs imposées à la justice sociale ou sur le terrain de la politique internationale, le livre cherche à lier les politiques du gouvernement Harper dans ces différents domaines à un tableau d’ensemble de la pensée et des valeurs de Harper et des conservateurs. Il s’agit écrit-il dans sa conclusion de montrer “la cohérence entre les idées et les gestes concrets de Harper et de son équipe…” (page 160) Malheureusement sa défense d’une philosophie libérale enlève à sa critique beaucoup de son mordant car elle fait l’économie de démontrer comment les valeurs défendues sont en fait le reflet des intérêts qu’il veut défendre.